Comment expliquer le dernier rapport de la Banque mondiale et son timing quant à la possession de 21% du secteur privé en Tunisie par les proches de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, si ce n’est par une volonté délibérée de nuire au processus de justice transitionnelle que l’on veut enclencher au plus tôt ou par celle de faire du pays une zone ouverte à tout gendre d’investissements étrangers et sans aucun garde-fou?.
Pendant 23 ans, la BM n’a jamais, du moins ouvertement, tancé la Tunisie de corruption. Eu égard au respect dû aux autorités tunisiennes de l’époque et par souci de préserver leurs susceptibilités, elle faisait passer les malversations, passe-droits ou népotisme pour de la mauvaise gestion. D’où les appels répétitifs lancés au pouvoir tunisien de l’époque par la «respectable» institution mondiale à améliorer sa gouvernance.
Le rapport qui vient d’être publié est pour le moins étonnant pour une organisation qui a toujours considéré la Tunisie comme un modèle en Afrique et dans les pays arabes. «Nous sommes en droit de nous poser la question “pourquoi aujourd’hui, et pourquoi maintenant?“ Car la BM est supposée aider ses pays membres. Pourquoi elle s’est tue sur les mauvaises pratiques de l’Etat tunisien pendant près de deux décennies? Pourquoi elle n’a pas tiré la sonnette d’alarme à temps pour secouer les pouvoirs publics et les alerter quant à la gravité de leurs actes? Aucun rapport, aucune correspondance officielle de cette teneur n’a émané de la Banque mondiale. Pire, les rapports sur le climat des affaires publiés par une de ses filiales a toujours fait l’éloge du climat d’affaires en Tunisie, en témoigne l’amélioration continue de son rating jusqu’à 2010», assure l’un des experts économiques les plus compétents en Tunisie.
Le Forum économique mondial sur l’Afrique avait classé en 2007 la Tunisie comme étant la 1ère économie la plus compétitive d’Afrique, devant l’Afrique du Sud, et la 29e sur 128 pays au niveau mondial et décrit comme ayant un degré d’insertion dans les échanges mondiaux parmi les plus élevés du monde. Ce même pays est aujourd’hui, à chaque fois, donné comme exemple en matière de népotisme!
Remettre à l’ordre du jour la gestion prétendument catastrophique des gouvernements successifs de Ben Ali paraît aujourd’hui déplacé, et ce pour nombre de raisons.
Tout d’abord, celles d’offrir un prétexte aux «militants» anticorruption l’occasion de se remettre de nouveau en selle pour s’adonner à leur sport favori: la chasse aux sorcières. Ceux-là mêmes qui sont sujets à discussion et n’offrent pas les meilleurs exemples en matière d’intégrité. Et pour preuve, lors de leur court passage au gouvernement, ils n’ont pas fait montre d’un grand souci pour une gestion crédible et rentable des biens publics.
Une cession du patrimoine national en faveur des investisseurs étrangers…
La Banque mondiale ne se soucie pas autant de notre bien-être que de l’ouverture de l’économie nationale sans aucun frein aux investissements étrangers. L’Etat tunisien prés-14 janvier avait mis en place tout un mécanisme (28 décrets) pour protéger certains secteurs dont la primauté en matière d’investissements doit revenir aux enfants du pays. «Ce rapport de la BM est loin d’être neutre mais s’intègre dans un agenda précis: celui d’ouvrir ces secteurs aux investisseurs étrangers. Il prône ainsi une nouvelle colonisation prêchée par le rapport en lui-même».
Pire, le rapport a omis de préciser que tout le patrimoine légitime ou illégitime de la famille de l’ancien président a été confisqué et que l’usage qui en a été fait à ce jour a profité uniquement aux étrangers.
Un exemple édifiant: celui de Tunisiana dont l’acquisition de 25% du capital aurait été bénéfique pour le pays si ce n’est que l’acquéreur n’était autre que Sakhr El Matri, enfant chéri de Leila Trabelsi. Le choix du groupe Princess holding était malheureux et indéfendable mais l’opération en elle-même était justifiable. Pour y remédier, les successeurs au pouvoir après le 14 janvier auraient dû constituer un consortium d’opérateurs privés nationaux sur la base d’un appel d’offres. Mais le gouvernement Nahdha a préféré vendre à un étranger et lui donner le monopole pouvant causer par-là même de plus grandes sorties de devises à chaque fin d’exercice.
Pour rappel, Tunisiana a généré, en seulement trois ans, 600 MDT de bénéfices sortis du pays en devises. Pour les prochaines années, grâce aux 90% du capital détenu par les Qataris, les montants seront plus importants.
La Banque mondiale, qui veut aujourd’hui nous renvoyer dans de nouvelles campagnes de haine, n’a pas non plus parlé du mauvais usage fait des biens confisqué et lequel, dans le contexte actuel, est plus grave que leur constitution. Nous pourrions même aller jusqu’à émettre des doutes sur l’exactitude des chiffres émis par l’honorable institution.
La seule donnée sûre de ce point de vue -car elle relève du simple recensement- concerne les engagements bancaires de ces groupes apparentés à l’ancien président. Tout le reste étant du ressort des évaluations et dont l’exactitude reste d’ailleurs à vérifier.
Les données de la BCT ont avancé le chiffre de 7% en la matière. «Le taux d’actifs accrochés de ces crédits sont les mêmes que ceux prévalant pour l’ensemble des engagements bancaires. Indépendamment parlant de tout, il nous paraît évident que ces groupes se placent dans des secteurs rentables mais de là à ce que leurs bénéfices représentent plus de 20% des bénéfices du secteur privé, cela me paraît peu crédible». Le plus grave est que l’usage fait de ces actifs confisqués est catastrophique. Car, au-delà de la loi sur la confiscation considérée comme étant arbitraire puisque la décision en elle-même ne peut être qu’une mesure complémentaire prise suite à un jugement rendu prouvant l’implication du prévenu et la nécessité de le déposséder de ses biens… (avis aux défenseurs des droits de l’Homme), les actifs en eux-mêmes ont été très mal gérés.
Le mauvais usage des biens confisqués
Durant trois années et de l’avis de tous les experts, ces actifs ont été mal gérés et ont perdu beaucoup de leurs valeurs. Certains actifs ont été classés par les banques durant ces trois dernières années et sont devenus inéligibles aux financements nécessaires pour leur développement ou leur fructification comme il se doit. Un exemple révoltant, celui de l’accélérateur nucléaire confisqué à Houlia Matri, très utile pour le traitement des cancers, unique en Afrique et qu’on laisse tomber en petits morceaux alors que l’Etat aurait pu en faire meilleur usage dans ses hôpitaux.
La contribution des biens confisqués au PIB du pays a sensiblement baissé. Leur dévalorisation par opportunisme, haine ou populisme politique sale, bête et méchant, devrait être considérée comme l’une des opérations les plus nocives pour l’économie du pays après le 14 janvier.
«Parmi les biens confisqués, l’Etat a vendu 60% d’Ennakl (238 MDT), 15% de Tunisiana (576 MDT), 66,7% de City-cars (114 MDT), 13% de la Banque de Tunisie (217 MDT), 66% de la firme Peugeot (165 MDT). Si on y ajoute les 1,9 Milliard de dinars prélevés sur les ressources de la cession de 35% de Tunisie Télécom laissés par l’ancien régime, c’est près de trois milliards de dinars qui auraient été consacrés par les pouvoirs publics post-14 janvier 2011 pour couvrir les dépenses de fonctionnement. C’est-à-dire les salaires des nouveaux recrutés en sureffectifs ou pour couvrir la compensation. Voilà un pays qui vend les joyaux de la couronne pour couvrir des dépenses quasiment inutiles. Les 3 milliards de dinars auraient pourtant permis d’achever tout le réseau autoroutier de la Tunisie et de décloisonner les gouvernorats de Kairouan, Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine et Tozeur. Soit un grand gâchis pour un pays démuni de ressources. Les choix de cession sont parfaitement problématiques», estime notre expert économique. Car au-delà des procédures de cession, céder des actifs rentables à des étrangers est plus que discutable: «C’est notamment le cas de la vente de 15% de Tunisiana à Qtel, l’opérateur de télécom le plus rentable, de 13% de la BT au français CIC et de 50% de la TQB aux Qataris. Ces cessions seront une source continue de sortie de devises d’une Tunisie qui n’en a pas beaucoup sur de longues périodes».
Mais la Banque mondiale ne s’en soucie pas du tout. Tout ce qu’elle veut est de renvoyer le pays de nouveau vers de nouvelles guerres entre nantis et militants politiques populistes. Cette institution n’a pas d’état d’âme tout comme le FMI d’ailleurs. Avec le poids des Etats-Unis d’Amérique qui ont été l’un des plus importants maîtres d’œuvres des accords de Bretton Woods portant création de ces deux institutions et faisant d’eux et du dollar les piliers de la nouvelle architecture économique mondiale, il ne faut pas s’étonner de leur intervention dans la gestion intérieure de la BM pour servir leurs agendas. Les USA ont toujours défini leur politique étrangère en fonction de leur sécurité économique et intérêts stratégiques, cela ne changera jamais.
Une petite lueur d’espoir pour les pays démunis, la décision prise par les BRICS de créer une institution monétaire à l’instar de la BM et du FMI, soit une solution alternative au système bancaire occidental dominant composé des institutions de Bretton Woods.
La nouvelle banque fournira, d’après ses initiateurs (Russie, Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud), une réserve collective de devises étrangères ainsi qu’un fonds visant à financer des projets de développement afin de s’adresser aux besoins des économies pauvres et émergeantes.
Fini le monopole du FMI et de la BM et surtout de l’usage qu’on en fait pour mettre à genoux les pays émergents, en développement ou pauvres.