Frederico Mayor, utopiste, rêveur ou pragmatique? L’ancien secrétaire général de l’UNESCO se lance dans une entreprise peu commune. Il veut, à l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, faire adopter par l’ONU une Déclaration universelle de la démocratie. En soi, le projet est, on ne peut plus enthousiasmant. Au concret, peut-il imposer la démocratie? Un nouvel ordre mondial est-il possible?
Comme tous les Latins, les Arabes et tous les autres peuples de la Méditerranée, Docteur Frederico Mayor est délicieusement humaniste et “rien de ce qui est humain ne doit lui rester étranger“. Il tente de soulever une ola mondiale en vue de l’adoption de son projet de Déclaration universelle de la démocratie.
Invité par l’Association Tunisie-Nations Unies, dirigée par Ahmed Ounaies et Dr Neziha Mezhoud, l’ancien SG de l’UNESCO fait comme un “pèlerinage“ en Tunisie, laisse-t-il sous-entendre dans une interview pour Webmanagercenter.com.
Son périple planétaire, pour la promotion de son projet, le met en contact avec les opinions publiques du monde mais également tous les experts de bonne volonté. Des figures illustres du combat pour la démocratie, tel Edgar Morin ou Robert Badinter, pour ne citer que l’univers francophone, ont apporté leur contribution au projet de base de sa Déclaration.
A Tunis, Pr Ghazi Gherairi et, à travers lui, tous les constitutionnalistes tunisiens sont sollicités.
Il n’existe pas de régime étalon dans le droit international
Lors d’une conférence commune, à Tunis, Pr Ghazi Gherairi, démontre, science à l’appui, le bien-fondé de l’initiative de Frederico Mayor. Du fait du souverainisme inter étatique dominant, la communauté internationale se fait discrète. Elle n’est pas regardante sur le choix des systèmes politiques nationaux. Les peuples -ou les classes politiques dominantes- font un choix souverain. Le droit international n’impose pas le standard démocratique, comme modèle d’Etat. La seule règle à observer est que les systèmes politiques ne violent pas les règles du droit international.
Cependant, il y a une poussée de plus en plus nette en faveur du régime démocratique, comme unique choix recevable et acceptable. Mais cela se fait progressivement, plus par tendance éthique que des suites d’une exigence du droit. Et Pr Gherairi de citer un autre éminent constitutionnaliste tunisien, Pr Slim Loghmani lequel soutient qu’il se crée une coutume démocratique dans le monde.
La démocratie ne s’imposerait donc pas par le droit mais par la morale. C’est là un parallèle avec la Déclaration des droits de l’Homme qui a tout du texte moral et politique et non juridique contraignant.
Le droit arrivera lentement et, bien entendu, finira par régner de manière irréversible. Ce ne sera pas rattaché à un bord géographique ou civilisationnel déterminé, mais ce sera le basculement de l’humanité dans son ensemble. Le référent du régime démocratique finirait donc par s’imposer comme repère unique.
Alentour, rappellera Pr Gherairi, tout y contribue. Les droits régionaux et non des moindres, tel celui de l’UE ou de l’Espace africain et celui infra américain, œuvrent en ce sens. Un pas important a été franchi cependant par le droit onusien. Actuellement, des références nominatives sont adoptées. Il est clairement spécifié que les systèmes politiques doivent recourir à des élections “libres, périodiques et honnêtes“. Et, en ce sens, l’ONU propose désormais et de manière systématique son assistance électorale aux nouvelles démocraties.
Pareil pour l’interdiction des coups d’Etat contre les régimes légitimes où les actions de rétorsion peuvent aller jusqu’au recours à la force comme à Grenade ou à Haïti. C’est ainsi que l’ONU procède toujours par démarche progressive le temps que se bâtit une culture de la démocratie dans l’esprit des hommes.
Frederico Mayor : La démocratie, exigence matérielle, intellectuelle et morale des peuples
Quelle verve, chez Frederico Mayor! L’entame de son discours plante le décor de son combat. La démocratie, c’est d’abord le partage, martèle l’ancien SG de l’UNESCO, qui conserve toute l’aura de celui qui peut interpeler la conscience des hommes. Il y a, par conséquent, un besoin matériel, intellectuel et moral pour les impératifs de justice, d’égalité, de liberté et de… solidarité. Et cette dernière est garante de la cohésion des peuples. Les peuples sont les socles des Etats et de l’humanité, tout entière.
La Déclaration des Nations unies ne commence-t-elle pas par “Nous, les peuples…” de préférence aux Etats ou aux gouvernements. Les peuples sont synonymes de la démocratie. Voilà la messe est dite.
La liberté est à conquérir, alors commencer par user du droit d’expression
Dr Mayor insiste sur le fait que les peuples doivent secouer leur inertie et d’abord commencer par user de leur droit d’expression et refuser de plier à la répression. Dans cette perspective, les individualités ont leur poids. Chacun doit pouvoir oser dire “assez, c’est assez“.
Frederico Mayor rappelle que Rosa Parks a donné l’étincelle, en 1963, qui a suscité une vague de solidarité communautaire, laquelle a permis, en bout de course, aux noirs américains de recouvrer tous leurs droits sociaux.
Cette dame de couleur, citoyenne de l’Etat de l’Alabama, Etat qui conservait une législation ségrégationniste, a osé briser le mur du silence et de la soumission. Elle a refusé, tout net, de céder son siège à un passager blanc, dans un autobus. La communauté noire de la ville l’a soutenue et a boycotté la compagnie de transport en question. Celle-ci, mise à mal par la perte de son chiffre d’affaires, avait fait marche arrière et depuis, blancs et noirs peuvent s’asseoir ensemble dans les autobus.
Cet incident a eu d’énormes répercussions. De simple fait individuel, il s’est métamorphosé en cause communautaire et d’un incident l’autre, un leader s’est imposé et, en 1968, soit cinq ans plus tard, Martin Luther King a interpellé l’Amérique et par-delà l’humanité, grâce à son fameux “I have a dream“. Et cette apostrophe a eu un écho célèbre qu’on doit à JFK “Le peuple est appelé à créer, innover et dépasser, après tout la liberté est à conquérir, dira Frederico Mayor.
“Devenir les acteurs de notre vie, le droit ne se donne pas, se reconnaît“, Frederico Mayor dixit
Des actes individuels et si singuliers, Dr Mayor en cite quelques autres tout aussi décisifs que celui de Rosa Parks. La résolution de Nelson Mandela revient souvent dans ses propos. Et là il s’arrête sur leur finalité, rappelant que tout acte de courage social et de bravoure se nourrit d’une logique de désir d’avenir. Et, de rappeler que Mandela soutenait que “l’engagement suprême, c’est les générations futures“. La charte des Nations unies leur reconnaît le droit d’être éduqués, libres et responsables. Cela signifie que la démocratie doit être la boussole universelle. L’ONU doit y jouer un rôle clé. Sa refondation devient un impératif universel. Sa réhabilitation devient salutaire. Elle doit être le réceptacle de l’affranchissement de l’humanité.
Dans le préambule du projet de Déclaration universelle de la démocratie, il est bien spécifié qu’il faut libérer les hommes de la peur, pour qu’ils s’expriment. Faute de reconnaître leurs droits aux hommes, les soulèvements populaires deviennent inéluctables. Une mécanique populaire finira par réaliser la démocratie pour tous.
La Tunisie a initié un parcours en ce sens. Elle n’est pas au bout de ses peines. Et la démocratie n’est pas garantie sur facture. Plus on sera nombreux à appuyer Frederico Mayor et plus on sécurise la transition vers la démocratie qui est la “vallée de la mort“ sur la route vers l’Etat de droit et des institutions.
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