Les visites que vient d’effectuer le chef du gouvernement Mehdi Jomaa dans deux régions frontalières, Médenine au sud et Jendouba au nord-ouest, augurent d’une véritable volonté politique de conférer à nos frontières continentales avec la Libye et l’Algérie une véritable dimension développementale.
L’enjeu est de taille pour l’économie nationale lorsqu’on sait que, rien que pour le tourisme, quelque 2 millions de touristes libyens et d’algériens transitent, chaque année, principalement par les postes frontaliers de Ras Jedir à Ben Guerdane et de Melloula à Tabarka.
Le mot d’ordre est, désormais, clair. Il s’agit de fidéliser cette précieuse clientèle dépensière et de lui réunir toutes les conditions de confort.
Le chef du gouvernement, Mehdi Ben Jomaa, qui a eu l’intelligence de consacrer sa première visite à l’Algérie sœur, entend valoriser la bonne facture du geste et le capitaliser en invitant les touristes algériens à venir plus nombreux, cette année, en Tunisie.
Par ailleurs et en toute objectivité économique, il n’y aucune raison pour que les postes frontaliers terrestres soient moins hospitaliers que les postes frontaliers aériens et maritimes. Le principe étant: un touriste est un touriste quelle que soit sa nationalité.
Les touristes maghrébins comme les autres…
Conséquence : Il est inadmissible de tolérer qu’on offre du jasmin et qu’on déroule le tapis rouge pour des touristes européens, le plus souvent des rapiats, lors de leur débarquement alors que nos touristes voisins doivent subir toutes sortes de tracasseries pour entrer en Tunisie. Il est également intolérable de voir les précédents ministres du Tourisme promouvoir la destination touristique Tunisie sur des marchés lointains et hypothétiques (Chine, Japon…) alors qu’il existe un énorme potentiel à nos frontières. C’est tout simplement scandaleux.
Le gouvernement de Mehdi Jomaa et sa ministre du Tourisme, Amel Karboul, auront marqué de leur empreinte le processus du développement du pays et auront réussi avec éclat leur mandat si jamais ils parviennent, seulement, à enclencher –bien à enclencher- une dynamique touristique irréversible de l’ensemble de la frontière tunisienne (3.000 kms) aux fins de fidéliser la clientèle libyenne et algérienne et de valoriser la frontière maritime avancée (les îles du pays).
Des pôles de développement…
Le moment est venu pour que les zones frontalières cessent d’être une pépinière de sous-hommes (indignés, pauvres, contrebandiers, terroristes et autres candidats à la mort…) et se transforment, enfin, après plus de 50 ans d’indépendance, en véritables pôles de développement, voire en une nouvelle industrie frontalière à même de diversifier la base économique du pays et de contribuer à la création de richesses et d’emplois.
La promotion du tourisme sur les marchés voisins et sur nos îles constituerait un bon début pour le démarrage de cette industrie qui pourrait être multiforme (toutes sortes de services, enseignement supérieur, tourisme médical, tourisme sportif…).
Néanmoins, il ne suffit pas de le souhaiter, il faut s’y préparer en adaptant entre autres l’offre touristique aux exigences de la clientèle libyenne et algérienne. Car, nos voisins du sud et de l’ouest sont des touristes d’un genre particulier. Ils se déplacent le plus souvent en famille et par voie terrestre. Ils préfèrent les formules para-hôtelières et les locations résidentielles. Globalement, il s’agit d’un marché diffus et peu organisé.
Communiquer autrement…
Wahid Ibrahim, ancien directeur général de l’Office du tourisme tunisien (ONTT), a réfléchi sur les moyens de fidéliser ce marché. Dans son essai, «Le tourisme tunisien, jeux de mots jeu de maux», il estime que «tout intérêt pour ce marché ne doit pas relever d’un quelconque opportunisme de circonstance mais d’une stratégie cohérente devant toucher l’offre, la commercialisation et la communication».
En ce qui concerne l’offre, il plaide pour un contrôle rigoureux de la qualité de l’offre para-hôtelière et extra-hôtelière et pour une amélioration des conditions d’accueil aux frontières.
Au chapitre de la commercialisation, Wahid Ibrahim recommande aux agences de voyage et hôteliers tunisiens de créer des succursales dans les grandes villes algériennes et libyennes. L’objectif étant de jouer la proximité et de mieux faire connaître leur offre.
Au rayon de la communication, il propose d’orienter les dépenses promotionnelles vers l’organisation de manifestations sportives (rencontres amicales de football entre les équipes nationales des trois pays), culturelles (grand festival de rap et de rai pour le cas de l’Algérie) et médiatiques (organisation de jeux télévisés grand public: remise de prix sous forme de séjours, concours de SMS, organisation de caravanes, communes…).
Pour revenir à l’amélioration des conditions d’accueil aux postes frontaliers terrestres et l’aménagement d’aires de repos décentes, cette initiative ne doit pas être une fin en soi. Elle doit s’inscrire dans le cadre d’une stratégie à moyen et long terme. C’est tout juste un début heureux pour la réalisation de zones de libre-échange génératrices d’emplois, de sources de revenus et de richesses.
L’exemple de la Reine Didon…
C’est pour dire in fine que la frontière du pays, en cette ère d’ouverture et de globalisation de l’économie, peut constituer une tête de pont pour l’extension du marché étroit tunisien et pour la conquête de nouveaux débouchés pour les produits et services du pays. Elle permettrait ainsi une extension virtuelle du marché tunisien tout comme l’avait fait la Reine Didon, pour le territoire qu’elle avait acquis en débarquant sur les côtes de l’actuelle Tunisie, vers 814 av. J.-C.
Pour mémoire, elle obtint une terre pour s’établir «autant qu’il en pourrait tenir dans la peau d’un bœuf». Elle choisit alors, pour fonder Carthage, de faire découper une peau de bœuf en lanières extrêmement fines. Mises bout à bout, elles délimitent l’emplacement de ce qui deviendra plus tard la grande cité de Carthage.
A bon entendeur.