éée à Hanoi, au Vietnam (Photo : Hoang Dinh Nam) |
[08/04/2014 15:24:40] Hanoï (AFP) Au Vietnam, un blog critiquant le régime communiste risque de vous envoyer derrière les barreaux. Mais une image satirique de Cendrillon se moquant de l’élite au pouvoir? elle a des chances de passer les foudres des censeurs.
Bien plus que les dizaines de dissidents blogueurs emprisonnés, les 33 millions d’internautes du pays, avec l’arme de l’humour et un ordinateur portable, sont ainsi les moteurs de changements sociaux, selon les experts.
La ministre de la Santé Nguyen Thi Kim Tien, critiquée pour une série de morts de bébés après des vaccinations de routine, a ainsi fait l’objet de photos peu flatteuses avec les mots “Sans moi, comment prospèreraient les services funéraires?”.
“Les jeunes qui créent et qui partagent ces images ne voient pas ça comme du militantisme. Ils ne font pas nécessairement campagne pour quelque chose, ils font juste des blagues”, commente Patrick Sharbaugh, spécialiste de la culture numérique.
“Un ersatz de société civile émerge de tout ça”, insiste-t-il.
Dans un régime à parti unique, où les hauts-parleurs diffusent dans les rues les informations officielles deux fois par jour et où les médias sont contrôlés par l’Etat, l’internet crée un espace pour la société civile.
Au premier rang de cette révolution se trouvent les “mèmes”, idées ou contenus détournés ou modifiés avant d’être rediffusés.
S’ils ne sont pas aussi répandus qu’aux Etats-Unis ou en Chine, il y a une marge de progression importante, note Ben Valentine, du site internet spécialisé The Civil Beat. “C’est très excitant (…). Alors que la censure est extrêmement nocive socialement, elle peut provoquer une intense créativité”.
Empêcher la propagation de ces contenus est un défi pour le gouvernement. Facebook fait déjà l’objet d’un blocage partiel et informel, facilement contourné par quelque 22 millions de Vietnamiens ayant un compte. Interdire totalement le réseau social mécontenterait, voire risquerait de conduire à une radicalisation, des citoyens autrement sans histoire.
– Théorie des “chats mignons” –
C’est une illustration de la “théorie des chats mignons et du militantisme numérique” énoncée par Ethan Zuckerman en 2008.
éée à Hanoi, au Vietnam (Photo : Hoang Dinh Nam) |
Selon cette théorie, des outils comme Facebook, surtout utilisés à large échelle pour diffuser des vidéos de “chats mignons”, des photos de bébés ou des “selfies”, peuvent aussi servir pour des militants à partager un contenu politique. Les autorités peuvent peut-être fermer un site militant sans faire trop de vagues, mais si elles empêchent les gens de regarder des images de chats mignons sur la toile, elles créeront du mécontentement dans l’opinion publique et du soutien pour les opposants.
“C’est un défi” pour les régimes autoritaires, souligne l’artiste et écrivaine américaine An Xiao Mina, qui décrit les “mèmes” comme “l’art urbain d’internet”.
Ainsi, pour montrer leur soutien à l’artiste et dissident chinois Ai Weiwei, dont le nom a été bloqué sur le site de microblogs Weibo, les internautes ont ainsi utilisé des images, comme des photos de graines de tournesol, référence à une de ses oeuvres.
L’un des incubateurs les plus populaires de “mèmes” au Vietnam est HaiVL (“hilarant” en vietnamien) qui génère 1,5 million de visites par jour, après deux ans d’existence.
Le site censure les contenus ouvertement politiques et bloque même les récidivistes. Mais la plupart des messages évoquent des sujets de société sensibles, sur un ton humoristique.
“Tout le monde veut être heureux. Je pense que HaiVL a aidé beaucoup de gens à être plus heureux en les faisant rire”, note Vo Thanh Quang, cofondateur et PDG de AppVL, qui gère le site.
Le collectif Tuyet Bitch, qui a récolté 250.000 abonnés sur Facebook en seulement sept mois, détourne de son côté des dessins de Disney.
“Dire quelque chose avec des mots peut mettre les gens mal à l’aise, surtout les Vietnamiens. Utiliser une image, surtout de Disney, rend cela plus acceptable”, expliquait de son côté récemment Duy An, l’un de ses fondateurs du collectif, dans une interview au site Vietmeme.net.
Des vidéos tournées par des smartphones, devenues virales, participent également à cette révolution, comme celle de deux policiers surpris en train de se bagarrer dans la rue. Les images ont vite été modifiées pour faire apparaître des sabres laser sur la musique de Star Wars.
“Nous pouvons rire de la police et des autorités. Parce que tout le monde est au courant de la corruption par exemple”, explique An Minh Do, du site d’informations spécialisées Tech In Asia, estimant que “révéler les abus de pouvoir” est un des accomplissements importants de ce nouvel internet vietnamien.
“Ce genre de choses arrive sous les projecteurs”, se réjouit-il.