Stefan Füle, commissaire européen pour le Voisinage, était parmi nous. Son déplacement nous rappelle qu’à la mi-avril aura lieu, à Luxembourg, la reprise du round des négociations autour du nouveau Statut privilégié que l’UE envisage d’accorder à la Tunisie. Un autre partenariat est-il possible avec l’UE?
A l’issue de sa visite, et lors des échanges avec la presse, Stephan Füle n’a pas manqué d’énumérer, en plus des réalisations convenues avec la Tunisie, les “largesses“ financières consenties en soutien à la transition. On ne sait trop si c’est le planning du partenariat qui semble patiner quelque peu ou si c’est parce que les besoins de la Tunisie post-révolution sont considérables, mais on n’arrive pas à chasser l’idée que ça n’avance pas fort avec l’UE.
Par ailleurs, la “générosité“ européenne, certes utile et précieuse, ne représente, de notre point de vue, qu’un appoint en regard des besoins énormes de financement de la croissance en Tunisie.
Le partenariat entre la Tunisie et l’UE, initié depuis 1995, était ressenti, du moins de de ce côté-ci de la Méditerranée, comme un pari sur le co-développement. Force est de constater que nous demeurons, dix neuf ans plus tard, sur le même standard d’échange, soit la sous-traitance avec quelques percées de-ci de-là de co-traitance. Sans plus. Il n’y a pas eu à proprement parler un saut de palier.
La partie européenne ne réalise-t-elle pas que la démocratie sans le secours de la prospérité fera fausse route? L’heure est peut-être venue pour reconsidérer le deal avec l’UE.
La Tunisie doit compter sur elle-même…
Stefan Füle nous expliquait qu’il n’était pas venu les mains vides. Et il est vrai qu’à chacune de ses cinq visites, il n’a pas manque de faire un chèque. D’ailleurs, on lui a suggéré de revenir plus souvent, ce qu’il a accueilli, avec le sourire.
Le Commissaire européen a réitéré le soutien indéfectible de l’Europe au succès de la transition, en Tunisie. Mais il a également glissé que la Tunisie doit compter sur elle-même. L’une des exigences de l’amitié sincère est de se dire les vérités en face. C’est nécessaire pour avoir des rapports sains et durables. Il est vrai que la Tunisie sollicite l’Europe mais elle ne s’exonère pas de sa part d’effort.
Robert Van Der Meulen, ambassadeur de la Commission européenne, en poste en Tunisie en 1995, était agréablement surpris de constater que la Tunisie avait commencé par ouvrir ses frontières aux importations européennes dès la signature de l’accord. La Tunisie l’avait fait avec une juste approche technique en lançant le Programme de mise à niveau. Il s’agissait de permettre aux opérateurs locaux de résister à la concurrence européenne avec une riposte technologique.
Du reste, l’Europe n’avait pas montré la même promptitude, par exemple pour le déblocage de sa part de subventions dans le Programme de mise à niveau. Qu’importe. Mais le mal ne vient pas de ce que la Tunisie est friande des soutiens de l’Europe mais parce que le principe de rattrapage de l’économie des partenaires du pourtour sud de la Méditerranée faisait partie de l’accord. Entre 2004 et 2006, les dotations par tête d’habitant à destination de la rive sud étaient de 5 euros contre 500 en faveur des pays de l’Est. Cela fait la différence. Passons !
Un partenariat de régime maigre
A la fin de la période des douze années, soit au terme de la libéralisation des produits industriels en 2007, le ministre de l’Industrie de l’époque avait fait une évaluation du partenariat avec l’Europe. Au bout du compte, la Tunisie avait réalisé moins de 1% de croissance supplémentaire. A qui la faute? Au partenaire du nord qui est plongé dans une morosité persistante ou au partenaire du sud qui piaffe d’envie vers plus d’intégration sans trouver la contrepartie? On a tant espéré du Med partenariat mis en place lors de l’Accord de Barcelone en 2000.
Manuel Marin, prédécesseur de Stefan Füle, à chaque visite en Tunisie, promettait monts et merveilles et des lendemains qui chantent. Ils n’ont chanté ni au nord ni au sud. On ne va pas pousser plus loin dans la polémique. Cependant, ce qu’il faut en retenir c’est que la Tunisie a joué à fond la carte de l’Europe sans toutefois parvenir à passer à la vitesse supérieure de croissance. Est-ce que la perspective du Statut privilégié suffirait? Au regard de l’ampleur des besoins de la Tunisie, la réponse ne fait pas de doute. Que faire en ce cas?
Faites donc votre proposition!
A l’évidence, l’heure a sonné pour reformater l’accord de partenariat entre la Tunisie et l’Europe. Nous avons fait part à Stefan Füle de deux propositions dans cet esprit.
Hors l’accès aux Fonds structurels, dédiés au développement régional, on ne voit pas comment la Tunisie, avec ses maigres ressources budgétaires, pourrait financer la croissance inclusive.
Hors l’accès au “Mécanisme de stabilité financière“, la Tunisie pourrait difficilement défendre sa monnaie. Pour accéder à ces deux mécanismes, au lieu du Statut privilégié, la Tunisie pourrait demander le “Statut de membre sans l’adhésion“. Pour reprendre l’expression de Romano Prodi, c’est “Tout sauf les instituions, c’est-à-dire le Parlement et la Commission’’.
Nous croyons dur comme fer que le potentiel économique intra européen sature. Plus de 70% du commerce européen se fait intra Europe. Quand l’Amérique a connu pareille situation, elle est passée à la phase d’exportation du capital, c’est-à-dire qu’elle a délocalisé ses industries nobles. C’est là toute la Thèse de Raymond Vernon qui justifiait ainsi le déferlement des multinationales américaines sur le reste du monde.
De notre point de vue, l’Europe est à ce stade. Or, on ne la voit pas, ni collectivement ni au plan des Etats, accepter cette solution. D’ailleurs, sous Nicolas Sarkozy, on agitait le spectre de la relocalisation des centres d’appels. L’Europe est frileuse par principe. C’est-à-dire qu’elle nous regarde comme son atelier à la manière dont l’Amérique toise la Chine. C’est plausible. Ne ferait-elle pas fausse route, dans cette hypothèse? Cependant, nous devons à la vérité de rappeler que Stefan Füle n’a pas été surpris de notre suggestion pour l’accès de la Tunisie aux mécanismes de soutien, et sa réponse, en substance, était la suivante: “Rien ne vous empêche de tenter le coup!“.
A bon entendeur!
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