à Boyarka près de Kiev (Photo : Genia Savilov) |
[11/04/2014 07:08:39] Moscou (AFP) La Russie temporise face à l’emploi de l’arme gazière contre l’Ukraine, qui risque de lui coûter une partie du marché européen et d’affaiblir sa position dans les difficiles négociations en cours pour accéder au marché chinois.
Pour la première fois cette semaine, le président russe Vladimir Poutine a repris la menace à son compte en laissant planer la possible mise en place d’un système de prépaiement pour ses livraisons de gaz.
Autrement dit: couper le gaz à l’Ukraine, dont les caisses sont vides et qui accumule 2,2 milliards de dollars d’impayés, au risque de perturber les livraisons vers l’Union européenne comme lors des “guerres du gaz” de 2006 et 2009.
Pour autant, le Kremlin semble avoir choisi de temporiser.
Si mercredi, l’organisation à la dernière minute d’une réunion du gouvernement russe avec Vladimir Poutine, consacrée aux relations énergétiques avec Kiev, avait alimenté les spéculations sur une fermeture immédiate des robinets, à la place, le président russe a demandé à Gazprom d’attendre de nouvelles négociations.
Et jeudi, il a demandé aux pays de l’Union européenne de s’impliquer dans la résolution de la crise et de mettre la main au portefeuille pour que Kiev règle ses dettes.
Même très réduite, cette ouverture tranche avec la position des autorités pro-européennes de Kiev, qui sont allées à la confrontation. Elles refusent l’augmentation de 80% imposée par Gazprom au 1er avril et ont cessé tout versement.
Pour Moscou, le jeu est risqué. D’abord, l’arme a perdu de son efficacité. En effet, contrairement à 2006 et 2009, la crise intervient en fin d’hiver et les répercussions seraient limitées. L’UE est aussi moins vulnérable, alimentée désormais en partie par le gazoduc Nord Stream via la mer Baltique, et assise sur d’importants stocks de gaz.
L’UE s’est vite mise en branle pour mettre en place un plan de réduction de sa dépendance au gaz russe (plus du quart de sa consommation), en se fournissant davantage en Norvège, Algérie en gaz naturel liquéfié transportable par voie maritime.
“Comme son économie, actuellement chancelante, reste très dépendante des revenus des exportations d’énergie, la Russie a intérêt à des livraisons de gaz fiables vers l’UE”, relève Lilit Gevorgyan, du cabinet IHS.
-Difficultés avec la Chine-
ouest de Minsk (Photo : Viktor Drachev) |
Avec les Etats-Unis, l’UE s’est aussi engagée à aider Kiev à se fournir, en renvoyant vers le territoire ukrainien du gaz importé de Russie vers l’Europe centrale pour un prix moindre, un procédé jugé d’ores et déjà illégal par Gazprom.
“Cette fois, l’Ukraine trouverait du gaz de l’autre côté, ce qui accélèrerait son affranchissement de sa dépendance au gaz russe”, observe l’expert Alexeï Malachenko, du centre Carnegie.
La Russie “peut perdre ce marché pour de bon. Et si on doit rediriger complètement notre gaz vers la Chine, ce seront les Chinois qui dicteront les prix”, ajoute-t-il.
Gazprom négocie depuis des années un contrat qui lui donnerait pour la première fois accès au gigantesque marché chinois.
Après avoir résolu l’an dernier les questions techniques (itinéraire, volumes…), le groupe peine désormais à s’accorder avec Pékin sur le prix et a dû repousser la signature du contrat, espéré l’an dernier.
“Il serait contreproductif pour la Russie d’interrompre ses livraisons de gaz à l’Ukraine avant de conclure ses négociations avec la Chine”, ont souligné les analystes de Bank of America Merrill Lynch.
Les négociations se sont intensifiées ces dernières semaines, avec pour objectif un accord lors d’une visite de Vladimir Poutine en Chine prévue en mai.
Le patron de Gazprom, Alexeï Miller, s’est rendu à Pékin cette semaine avec de hauts responsables gouvernementaux. Sans succès tangible pour l’instant.
“La signature de ce contrat est plus importante que jamais, car il n’y a plus d’espoir d’augmentation des livraisons vers l’Europe et la CEI”, l’ex-espace soviétique, a estimé l’experte Natalia Mitrova, citée dans le journal Vedomosti. “Mais la Chine est un négociateur difficile et ne manquera pas de profiter de la situation pour obtenir des avantages supplémentaires”.