Les boutiques d’aéroports portées par l’explosion du trafic

6e106693bfad7c10dd01e1d8b9547a8cfa0a75d2.jpg
éroport de Dubaï, en 2008 (Photo : Marwan Naamani)

[11/04/2014 11:54:11] Paris (AFP) Incontournables sur le parcours des passagers, les boutiques assurent des revenus de plus en plus substantiels aux aéroports qui cherchent à les adapter constamment à leur clientèle mouvante.

Ceux-ci veulent attirer les voyageurs, ciblés notamment selon leur nationalité et leur pouvoir d’achat, dans ces temples de la consommation sans leur faire craindre de rater leur avion.

“Le marché mondial est estimé entre 38 et 40 milliards d’euros dont environ 20% sur les bars et restaurants, 13% sur les nécessaires de voyage (valises, produits de première nécessité, etc.) et 67% sur le duty free”, explique Didier Bréchemier, spécialiste du transport aérien au cabinet de conseil Roland Berger.

Cette manne représente aujourd’hui 20 à 30% du chiffre d’affaires selon les opérateurs, qui perçoivent des loyers en partie indexés sur les ventes des boutiques. Et plus l’aéroport est grand, plus cela leur rapporte.

Ce marché, quoique cyclique, est amené à croître de 5 à 6% par an dans les dix prochaines années, porté par l’essor du trafic, estiment en outre les experts du secteur.

Rien de surprenant à ce que les aérogares se muent en centres commerciaux géants où tout s’achète: de l’alimentaire aux vêtements en passant par les cosmétiques, jouets, souvenirs etc., jusqu’aux produits de luxe tels que des bouteilles de vin ou de champagne millésimé à plus de 30.000 euros pièce.

– Foule de clients potentiels –

Les marques de luxe, autrefois réticentes à s’implanter dans ces espaces duty-free pour des questions d’image, les considèrent désormais “comme un levier de croissance supplémentaire”, souligne Philippe Mesnesplier, spécialiste transport du cabinet Kurt Salmon.

8b1608e3a0afb5aa7d0c7906b862f542f6f2d3f5.jpg
éroport de Roissy-Charles de Gaulle, en 2012 (Photo : Bertrand Guay)

Avec leurs exigences. L’une d’elles a ainsi refusé de répondre à un appel d’offre à Madrid, car l’emplacement pouvait nuire à sa valeur, raconte Didier Bréchemier.

Mais “elles ont bien compris l’intérêt d’être au plus près des clients”, reprend M. Mesnesplier.

Surtout quand les clients potentiels se comptent en dizaines de millions dans les principaux aéroports de la planète: 94,4 millions de voyageurs pour le n°1 mondial Atlanta, suivi de Pékin (83,7 millions) et de Londres (72,3 millions), selon le classement 2013 d’Airports council international.

Pour s’assurer les faveurs des passagers, dont le nombre devrait doubler en vingt ans, les gestionnaires d’aéroports scrutent l’évolution des habitudes de consommation.

“Les opérateurs travaillent à l’identification des nationalités des passagers par zone d’embarquement pour implanter telle ou telle enseigne”, explique ainsi M. Bréchemier.

– Russes au sommet –

Les clients des compagnies à bas coûts, des tour-opérateurs et les Américains sont ceux qui dépensent le moins (1 à 2 euros seulement).

“Les Russes et les Chinois sont en revanche les champions de la consommation dans les aéroports, suivis des Coréens, des Japonais, des Hongkongais, des Taïwanais, des Vietnamiens”, commente M. Bréchemier, avec un panier moyen qui peut dépasser les 100 euros.

“Pour les passagers chinois, la qualité des commerces dans un aéroport est un des critères explicites de choix”, souligne de son côté Edward Arkwright, directeur financier d’Aéroports de Paris (ADP), gestionnaire de Charles de Gaulle et Orly.

Si les Français assurent encore plus de 40% du chiffre d’affaires global d’ADP, les Chinois sont de loin les numéros un en termes de dépense par individu: 115 euros en 2013 contre une moyenne de 17,70 euros tous passagers confondus.

“Les Russes, les passagers de certains pays d’Afrique Sub-saharienne tels que le Gabon, le Congo, le Nigeria, le Cameroun, sont aussi d’importants clients”, suivis par d’autres pays asiatiques, ajoute Mathieu Daubert, directeur des commerces du groupe français.

Et si l’on prête aux femmes un goût prononcé pour le shopping en ville, ce sont les hommes qui consomment le plus dans les aéroports, souligne Armand de Vallois, expert de Kurt Salmon. Car ils achètent beaucoup de cadeaux…

“Alors que les hommes représentent souvent moins de 20% des acheteurs en centre-ville, ils représentent environ 50% des acheteurs sur les aéroports” parisiens, confirme Mathieu Daubert.

Dans cette compétition mondiale, les spécialistes insistent par ailleurs sur la nécessité d’une adaptation permanente.

“Nous travaillons sur notre offre commerciale, il faut qu’elle s’adresse au plus grand nombre et pas seulement aux clients de produits de luxe”, explique ainsi Edward Arkwright d’ADP.

A Roissy, 8e aéroport mondial avec 62 millions de passagers, les commerces occupent 42.000 m2. Les marques prestigieuses (Hermès, Bottega Veneta, Gucci…) ont considérablement gagné du terrain ces dernières années au détriment d’enseignes grand public.

ADP, qui surfe sur l’image de Paris capitale mondiale de la mode, s’efforce donc d?élargir ses produits, en particulier dans le segment “mode et accessoires” pour répondre à la demande française et à la nouvelle clientèle asiatique.

La mode parisienne passe par les maisons de grande couture mais aussi par des marques comme Mango, H&M, Zara, “qui disent la mode et qui sont recherchées par ces clients”, souligne M. Daubert.

– Rassurer pour faire consommer –

Une obsession du client tout sauf désintéressée. “Il existe une corrélation directe entre satisfaction des passagers et consommation dans les commerces. Plus les passagers sont satisfaits, plus ils consomment. Simultanément, l’offre de commerces renforce le sentiment de satisfaction”, décrypte Edward Arkwright.

Le préalable est de faciliter le parcours du passager entre son enregistrement et la porte de son avion. Il ne s’agit pas seulement de jalonner son parcours de boutiques, le passager doit être rassuré car prendre l’avion reste pour beaucoup un épisode stressant.

“Un passager, qui est sûr d’être à l’heure à son avion, consommera plus facilement”, observe Didier Bréchemier. Ensuite, “il faut lui proposer de valoriser son temps et que ce temps soit du bon temps”, dit-il.

Et innover aussi. Demain, les aéroports attractifs seront ceux qui, au-delà des boutiques, proposeront une panoplie de services et de loisirs, estiment les experts de Kurt Salmon.

A l’instar de Séoul Incheon, déjà équipé d’un spa, de coiffeurs, d’une nurserie mais aussi d’un jardin et d’un espace culturel.

On peut également imaginer la généralisation du “pick and drop” par des acteurs comme eBay ou Amazon: des services permettant au voyageur de “récupérer dans la zone de duty-free des commandes passées plus tôt sur internet”, explique Philippe Mesnesplier. Une formule déjà à l’essai à Dubaï et aux Etats-Unis.