Pourquoi un emprunt national en trois phases, 7, 13 et 15 ans ?
C’est très simple. Les finances publiques passent par une phase critique. Mais pour autant, nous nous devons de respecter nos engagements à l’international. La Tunisie est réputée comme étant un pays solvable et n’a jamais fait de défaut de paiement. Elle a toujours assuré, en dépit des difficultés qu’elle a traversées. Même en 1985, lorsque le pays souffrait d’une crise économique sans précédent, nous n’avions pas failli à nos promesses de remboursement envers nos prêteurs.
Le choix porté sur un emprunt national en trois cycles est justifié par le fait que nous voulons éviter d’être trop exigeants avec nos emprunteurs et éviter à l’Etat d’être en défaut de paiements à la date du remboursements de ses dettes. Donc 7, ensuite 13 et 15 ans représentent pour l’Etat les délais de grâce avant le remboursement.
Pour nous, en tant qu’Etat, les ressources que nous comptons apporter, qu’elles proviennent du national ou de l’international, relèvent toujours de l’emprunt et aggravent notre endettement. Notre problème fondamental, depuis 2011, est l’éclatement des dépenses qui n’ont pas été liées à la création de richesses et de ressources. Il y a peu de pays au monde qui puissent s’enorgueillir d’avoir un budget équilibré, c’est un fait rarissime. C’est ce qui fait que l’on a toujours recours à l’endettement. Mais en Tunisie, il y a eu une accélération très importante des dépenses qui n’a pas été suivie par un accroissement important des ressources. Jusqu’en 2010, à peu près 85% du budget de l’Etat étaient pourvus par les ressources propres du pays. A commencer par les revenus fiscaux, non fiscaux, et ceux des entreprises publiques.
La CPG et la STAM fonctionnaient à plain gaz et assuraient des revenus importants et conséquents à l’Etat. Aujourd’hui, deux tiers du Budget sont assurés par nos ressources propres ce qui tourne autour de 20 milliards de dinars et les presque 8 milliards de dinars restants dépendant des marchés extérieurs et des ressources à pourvoir. Ce qui a aggravé le plus le déficit budgétaire, c’est la masse salariale. Mais aussi les subventions. C’est ce qui fait que la situation des finances publiques est intenable. Il y a des efforts à faire dans les deux sens, accroissement des recettes et maîtrise des dépenses.
Ne pensez-vous pas que le gouvernement est jusqu’à ce jour incapable d’expliquer au peuple tunisien les risques des subventions sur la survie même de l’économie mais surtout le programme de réduction des subventions ne touchera pas aux classes défavorisées?
C’est vrai. Il y a deux facteurs déterminants dans le système de subvention: il y a actuellement une augmentation très importante des subventions dans le budget de l’Etat liées à l’accroissement des prix internationaux du pétrole et matières premières. Car, contrairement à ce que nombre de personnes croient, nous ne sommes pas autosuffisants en matière d’approvisionnement en hydrocarbures comme c’était le cas durant les années 70. La hausse du dollar s’est traduite aujourd’hui par un renchérissement de la facture d’importation et aussi de la facture de subvention. Ceci est un premier point qui est très important.
Le deuxième point qui me paraît aussi important est que les subventions sont accordées sans distinction à toutes les classes sociales, riches ou pauvres, qu’il y en a qui peuvent subvenir à leurs propres besoins sans recourir à l’aide de l’Etat. Ce n’est pas équitable. Celui qui possède une voiture de 14 chevaux bénéficie aussi bien que celui qui en possède une de 4 chevaux ou qui prend le bus, de la compensation sur le prix du carburant.
C’est la véritable question: devons-nous faire profiter tous les Tunisiens, milliardaires, millionnaires et nantis des aides de l’Etat ou aider ceux qui en ont le plus besoin? Il y a une mauvaise distribution des subventions étatiques. Alors que le pays est aujourd’hui au bord du gouffre, il nous paraît logique de revoir les aides et les subventions de l’Etat à chacun selon ses moyens et ses besoins.
Il y a aussi le problème des secteurs industriels énergivores, en direction desquels tout un programme de rationalisation des subventions a été mis au point l’année dernière et dont l’application a démarré en janvier 2014.
C’est un programme qui a plusieurs objectifs: premièrement, réduire le coût des subventions pour les secteurs énergivores, telles les cimenteries, les entreprises de fabrication de matériaux de construction, et ensuite rationaliser la consommation.
Les conséquences de ces décisions n’affecteront pas, d’après vous, ces secteurs et sur les consommateurs, surtout les couches défavorisées?
Il y a eu des augmentations des prix pas très importantes et qui n’ont pas touché les couches défavorisées. Trois seuils de consommation ont été identifiés: le premier correspond aux classes populaires, celles qui n’ont pas la capacité de consommer au dessus de leurs moyens et donc elles n’ont pas souffert des augmentations de prix; il y a ensuite un deuxième seuil où l’augmentation des prix reste dérisoire, et un troisième seuil où l’augmentation est relativement importante. Il y a eu de la part de l’Etat une volonté affirmée de préserver les classes défavorisées, en tout ce qui touche les produits de première nécessité ainsi que ceux énergétiques. Nous ne disons peut être pas assez que nous tenons à préserver les classes défavorisées et nous sommes conscients qu’il y a un déficit de communication à ce propos. Il est important de communiquer et de montrer le véritable sens de la rationalisation de la subvention et son utilité.
D’une manière générale, dans la gestion des crises socio-économiques, il y a une volonté de la part des Etat de préserver les intérêts de ceux qui souffrent de précarité et faire en sorte que le poids de la crise soit porté par les classes favorisées et l’Etat dans la mesure du possible. C’est le cas pour notre gouvernement.
N’avez-vous pas peur de l’effet d’éviction que peuvent produire les emprunts nationaux que vous comptez lancer très bientôt?
La question se pose et c’est pour cela que nous avons tenu dans le gouvernement à ce que les emprunts ne soient pas trop élevés. C’est pour éviter le risque d’éviction et inciter nos banques à financer l’économie. Et je ne parle pas que des opérateurs privés mais aussi de l’Etat. Parce que l’Etat finance en partie ses dépenses par des emprunts sous forme de bons de trésors. Tous les mois nous en avons pour à peu près 200 ou 300 millions de dinars. Nous ne voulons pas que l’emprunt national ait des conséquences malencontreuses sur les entreprises privées et les particuliers. Un emprunt de l’Etat est un emprunt qui a une garantie beaucoup plus importante, un Etat ne fait jamais de défaut de paiement. Nous avons pour cela limité les montants que nous voulons mobiliser et encourager les professions libérales (médecins, ingénieurs, experts et bureaux d’études, commerçants, etc.) à participer à cet emprunt aussi bien par sens patriotique que par confiance en la capacité de l’Etat de les rembourser.
J’ai eu l’occasion de rencontrer les représentants des associations des émigrés, des Tunisiens à l’étranger (TRE) et fort heureusement, ils veulent être partie prenante dans cette opération. Nous verrons comment les associer…