Dix-neuf ans après son deuxième et dernier amendement en date, la loi sur le redressement judiciaire des entreprises en difficultés économiques va –enfin- être de nouveau remaniée. Il était grand temps. Car ce texte, adopté le 17 avril 1995 –dans la perspective de l’accord d’association avec l’Union européenne, qui sera conclu deux mois plus tard- a mis en place pour la première fois un dispositif digne de ce nom destiné à aider les entreprises tunisiennes –jusqu’alors très protégées- aux difficultés que n’allait pas manquer de leur causer l’ouverture de l’économie tunisienne sur celle de l’Union européenne, en particulier, et du reste du monde, en général. Mais au fil des ans, il s’est avéré que le dispositif, si utile soit-il, avait de très nombreux inconvénients et faiblesses.
En dix-huit ans, 2.648 entreprises –appartenant principalement aux secteurs des services (49%) et de l’industrie (48%), et 3% de l’agriculture- ont demandé à bénéficier du règlement judiciaire, dont 1.017 –près de 40% du total- ont pu être sauvées. 91% de ces entreprises ont un endettement inférieur à 5 millions de dinars et comptent moins de 100 emplois.
L’idée d’amender, pour la troisième fois la loi dite relative aux procédures collectives, a vu le jour en 2007. Mais le vrai chantier n’a été véritablement ouvert qu’en 2012, explique Salma Abid, présidente du groupe de Travail au Centre des études juridiques et judiciaires, parce que ce texte fait partie de ceux dont la promulgation a été exigée par les bailleurs de fonds internationaux, dont la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) qui a aidé à l’élaboration du nouveau projet envoyé en novembre dernier par le gouvernement à l’Assemblée nationale constituante (ANC).
Les amendements projetés sont très nombreux. S’il maintient le caractère hybride –contractuel et judiciaire- de la procédure, le nouveau texte y introduit de nouvelles dispositions. Ainsi va être créée l’institution du «conciliateur» dans le but, souligne Mme Abid, «de combler les failles ayant entravé la réussite de cet outil dans la pratique et qui concerne notamment le flou entourant cette institution et la limite de son rôle».
Les autres nouvelles dispositions ont trait à l’encadrement des procédures et des délais durant le règlement amiable «afin que cette phase n’aggrave pas la situation de l’entreprise», l’annulation de la phase précédant l’ouverture de la période d’observation dans le règlement judiciaire -limitée à neuf mois-, l’implication effective de l’entreprise en difficulté/débiteur dans le processus puisqu’il est tenu désormais –alors qu’il se réfugiait jusqu’ici dans une attitude plutôt passive en se contentant de déposer son dossier- de proposer un programme de redressement qui sera examiné et validé par l’expert, le renforcement du rôle des créanciers qui seront à l’avenir habilité à avaliser ce programme, l’octroi d’une plus grande latitude au tribunal en matière de rééchelonnement de la dette –qui ne pourra plus aller au-delà de 5 ans, contre 15 actuellement-, etc.
Mais malgré ces changements, le législateur a en quelque sorte tourné autour du pot et refusé d’en envisager de plus profond et plus important. Comme l’introduction de la possibilité pour le juge de décider un abattement sur le principal de la dette et les intérêts –suggérés par les bailleurs de fonds internationaux qui y voient l’une des conditions de réussite d’un programme de sauvetage.
La nouvelle loi n’autoriserait –si elle était adoptée par l’ANC- qu’un abattement sur les taux d’intérêts. D’ailleurs, s’il lui reconnaît des aspects positifs (restriction du privilège du Trésor en matière de récupération des créances, possibilité pour le chef d’entreprise d’injecter de nouveaux fonds durant le règlement amiable et de proposer un conciliateur, etc.), Mbarek Khamessi, ex-président de la Commission nationale de suivi des entreprises en difficultés économiques, relève également quelques aspects négatifs dans le projet de loi qu’il convient de corriger, parmi lesquels cette propension du législateur à se soucier plus de comprimer les délais que de trouver des solutions, la multiplicité des mesures coercitives (condamnation du chef d’entreprise à des amendes et mêmes des peines de prison) –qui est de nature à avoir un impact négatif sur l’investissement et la création de projets- une restriction du rôle de la Commission nationale de suivi au lieu de le renforcer, etc.
Autant de faiblesses sur lesquelles la table ronde organisée mercredi 16 avril par le Centre tunisien des études économiques (CTEE) de l’IACE a jeté une lumière crue et que le législateur et l’ANC ont encore le temps de corriger.