Le diagnostic des observateurs crédibles de la chose tunisienne est des plus clairs et des plus objectifs. Ils sont unanimes pour reconnaître que la reprise de la croissance et du développement du pays est tributaire de la réalisation de réformes structurelles. Celles-ci devraient toucher, en priorité, la sécurité, les disparités régionales, la fiscalité, la compensation, les banques, le code d’investissement, les entreprises publiques, les circuits de distribution, la contrebande, etc.
Ils ajoutent que c’est en fonction de la mise en œuvre de ces réformes que l’Etat tunisien pourrait collecter des nouvelles ressources significatives à même de l’aider à réduire l’inflation, à équilibrer son budget et ses échanges commerciaux, et surtout, à retrouver, son crédit d’antan auprès des bailleurs de fonds.
Malheureusement, en réponse à ces exigences, les responsables politiques et technocrates qui se sont succédé, depuis l’avènement de la révolte de janvier 2011, ont fait la politique de l’autruche et traîné du pied pour la mise en œuvre de ces réformes, pourtant d’une extrême urgence.
Préoccupés par des soucis électoralistes, ils se sont souciés de préserver, au prix de dépenses publiques excessives et inconsidérées, une paix sociale et une stabilité précaires.
Résultat: le pays, qui dépense plus qu’il ne produit, est aujourd’hui au bord de la récession, s’il n’est pas déjà en récession.
Le nouveau gouvernement de technocrates de Mehdi Jomaa, qui est en principe, à une dizaine de mois de son départ, n’a pas fait mieux que ces prédécesseurs. Pis, ses membres ont cette fâcheuse tendance à jouer à la sinistrose, à n’annoncer que les difficultés et, partant, à angoisser davantage des Tunisiens hyper-déprimés.
Tendance à annoncer les mauvaises nouvelles
Au lieu de concentrer ses efforts sur l’accélération de ces réformes structurelles, les ministres se délectent à annoncer, qu’à défaut de recettes, les fonctionnaires risquent de ne pas être payés, d’ici le mois de juillet prochain, et à continuer à brader les ressources naturelles du pays en octroyant, à titre indicatif et contrairement aux nouvelles dispositions de la nouvelle Constitution, à la “Compagnie générale des salines de Tunisie” (COTUSAL), une nouvelle concession d’exploitation, d’une durée de 30 ans, des salines de “Sebkhat El Gharra”, une concession de 11.200 hectares située entre les gouvernorats de Mehdia et Sfax, au sud-ouest d’El Jem.
Les ministres de la Santé et de l’Industrie ont osé même rejeté toute corruption dans leurs secteurs respectifs alors que la Tunisie est listée, à l’international, parmi les sites les plus corrompus du moment.
Le gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari ne s’affiche à la télévision que pour révéler soit une nouvelle dépréciation du dinar, soit une aggravation du déficit commercial alors qu’il ne fait rien pour le trafic illicite de devises hors des circuits officiels, et pour intervenir afin que les licences d’importations des produits superflus (grosses cylindrées, lunettes de soleil, aliments pour chiens et chats…) soient tout simplement interdites, du moins jusqu’aux prochaines échéances électorales.
M. Ayari évoque peu l’audit des banques publiques lequel a pour objectif d’améliorer la compétitivité de ces établissements de crédit. En attendant, leur personnel, plombé qu’il est, craint une privatisation de ces banques, ce qui est loin d’être exclu.
Le ministre de l’Economie et des Finances a annoncé, au début de sa nomination, la publication au mois de mars 2014 des résultats de l’audit des banques publiques, mais rien n’a pointé à l’horizon pour le moment. Aux dernières nouvelles, cet audit peut durer encore après la résiliation du contrat pour l’audit de la Banque nationale agricole (BNA).
Et la liste des nouvelles décevantes annoncées par l’équipe de Mehdi Jomaa est loin d’être finie…
Grande marge de manœuvre
Pourtant, le gouvernement dispose d’une grande manœuvre pour surmonter l’ensemble des difficultés rencontrées et entamer les réformes structurelles précitées.
Concernant la sécurité, le gouvernement Mehdi Jomaa, fort de son indépendance, peut hâter le projet stratégique de la police républicaine en relançant la mise en place d’une «FBI tunisienne», une agence, qui se veut, selon ses fondateurs, républicaine, indépendante politiquement (absence d’instructions extérieures), neutre et moderne en phase avec les exigences d’un Etat de droit et du strict respect de la loi, et à même d’anticiper les actes terroristes déstabilisateurs pouvant porter préjudicie aux intérêts supérieurs du pays. Une telle agence peut être un outil efficace pour la lutte contre la contrebande et le terrorisme.
S’agissant de la fiscalité, la réforme, annoncée, au plus tard pour la fin du premier semestre 2014, tarde à voir le jour, d’où l’enjeu de la relancer.
Pour mémoire, cette réforme, pour peu qu’elle soit exécutée, peut rapporter d’importantes recettes à l’Etat. Elle se propose de moderniser l’administration fiscale (amélioration du système d’information et regroupement des textes), de promouvoir la fiscalité locale et de favoriser la justice fiscale: renforcement du contrôle fiscal et dissuasion de la fraude (-50% des recettes actuellement), élargissement de l’assiette fiscale à l’informel (40% de l’activité économique en fraude de fisc, soit -20% des recettes). Elle tend également à conférer à la fiscalité l’efficience souhaitée (abandon des barèmes et taux non rentables, révision et simplification du régime forfaitaire (450 mille personnes concernées). Il s’agit de faire migrer ce régime vers le régime réel simplifié, et ce pour les bénéficiaires de taille moyenne économiquement, pour une durée maximale de 5 ans. Mention spéciale pour les professions libérales (commissaires aux comptes, avocats, médecins …). La tendance consistera à renforcer la crédibilité et la véracité des déclarations sur le chiffre d’affaires.
Le nouveau code d’investissement, en dépit de l’opposition de certains lobbies (l’offshore et ses relais dans les organisations patronales), gagnerait à être adopté dans les meilleurs délais dans la mesure où il comporte d’importantes améliorations de l’environnement des affaires dans le pays.
Pour n’en citer que quelques unes: la fourniture aux éventuels investisseurs locaux et étrangers d’importantes garanties en matière de concurrence loyale, de transparence, de bonne gouvernance, de neutralité de l’administration, d’arbitrage et d’indépendance de la justice.
A rappeler, également, au plan des innovations institutionnelles, la création du Conseil supérieur de l’investissement qui sera chargé de valider les stratégies d’investissements sectoriels (agriculture, industrie, services….).
Et pour ne rien oublier, la délicate problématique de la compensation, le gouvernement n’a qu’à mettre en œuvre, au plus vite, son projet d’institution de l’«identifiant unique», mécanisme devant permettre aux familles qui ont vraiment besoin de la compensation de bénéficier d’une aide directe sous forme d’avances monétaires régulières et réduire au maximum la compensation, particulièrement celle qui profite aux entreprises et secteurs rentables, comme cela a été le cas pour les cimenteries.
Comme on peut le constater, le gouvernement n’a pas beaucoup à cogiter sur les solutions. Elles sont à portée de main.
Conséquence: le mot d’ordre est clair. Il s’agit pour lui d’agir, de mettre en œuvre ces réformes tant attendues, et par conséquent, de cesser de coasser et d’angoisser le peuple par l’annonce de difficultés.