Il ne faut surtout pas diaboliser les banques publiques: elles n’ont pas joué notre argent au casino», soutient Dhafer Saïdane qui rappelle que les banques en question, sujettes à autant de critiques, avaient servi de manière «patriotique» la politique économique des années de construction et d’édification de la Tunisie moderne.
D’aucuns pensent qu’après des décennies de bons et loyaux services, voilà que la STB, la BNA et la BH sont jetées en pâture aux critiques des économistes et autres politiques atteints d’amnésie.
Ces banques, rappelons-le, ont été pendant des décennies le fleuron de l’économie nationale et le bras financier de l’Etat. Elles ont contribué à la construction de la Tunisie moderne. Mais peut-être ont-elles mal vieillies après tant d’années de bons et loyaux services.
Des banques pionnières : une histoire, des symboles et une mission
Les banques d’un pays constituent souvent sa mémoire et projettent son future. Revenons brièvement sur l’histoire et la mémoire que constituent nos « BigThree » nationales.
La Société Tunisienne de Banque est née le 26 mars 1958 au lendemain de l’indépendance. La STB est lapremière banque spécifiquement tunisienne. Elle a été imaginée par les artisans de la jeune Tunisie indépendante pour « contribuer efficacement au développement économique et social du jeune Etat indépendant et ce, dans un contexte de désinvestissement, de désorganisation du marché de crédit et d’une véritable hémorragie de capitaux vers l’étranger » (STB).
La Banque Nationale Agricolea été créée trois ans après l’indépendance le 1er Juin 1959. Elle se voulait le symbole d’une souveraineté nationale naissante. Le gouvernement a voulu aussi envoyer un signal fort portant sur l’organisation et l’unificationdu crédit agricole visant l’encouragement et le développement du secteur agricole.
La Banque de l’Habitat a été créée en 1989 suite à la conversion de la Caisse Nationale de l’Epargne Logement en « banque universelle ». La Banque de l’Habitat a pour mission de financer l’économie en général et de favoriser le développement et le financement de l’habitat.
Des banques qui ne sont pasaujourd’hui à 100% la propriété de l’Etat tunisien
Il convient de rappeler que dans le capital de ces banques dites publiques la part de l’Etat avoisine les 50% seulement.
Dans le capital de la STB la participation publique et para publique n’est que de 52,47 %, la participation privée de 37,59 % et la participation étrangère de 9,94%
Le capital de la BNA est détenu par l’Etat et les entreprises publiques à hauteur de 50%. Les entreprises para publique et autres détiennent les autres 50%.
La BH est détenu par le secteur public à hauteur de 56,7% et par le secteur privé à hauteur de 43,3%.
Mais hélas aujourd’hui leurs comptes se sont dégradés par l’accumulation de créances douteuses et sans doute aussi par l’essoufflement de leur modèle économique. De banque spécialisée dans une mission à vocation publique, ces banques ont joué au grand écart en voulant à tout prix devenir universelles et diversifiées.Mais était-ce leur vocation initiale ?
Essoufflement du modèle étatique bancaire et accumulation des difficultés
Les difficultés qu’elles rencontrent aujourd’hui ne sont-elles pas induites par des raisons très anciennes? Les indicateurs ne sont-ils pas passés au rouge il y a déjà presque une décennie lorsque la STB affichait régulièrement et tous les ans dans ces états financiers des crédits accrochés de plus de 30% du total des crédits qu’elle alloue? Le montant des risques encouru n’a cessé d’augmenter si bien que le ratio de solvabilité s’est dégradé régulièrement par insuffisance de fonds propres. Depuis le début des années 2000 la STB était entrée dans un déséquilibre chronique entre ses engagements risqués et le montant de ses fonds propres.
Alors coupables ou victimes? Victime oui, coupable peut-être. Ces banques ontété des « banques politiques à la chinoise » c’est-à-dire de simple rouage d’une politique budgétaire expansionniste visant le développement économique. Elles ont servis d’instrument de relance. Si bien que les crédits accrochés ne seraient en fait aujourd’hui qu’une sorte de déficit budgétaire.
Il est bien connu par ailleurs que dans ce type de véhicule très souvent les conflits d’intérêt croissent à mesure que le temps passe et la gouvernance devient progressivement défaillante.
Ces banques auraient tout de même leur part de responsabilité car elles ont été fascinées par le modèle de la banque universelle au sens de la loi n° 2001/65 du 10juillet 2001. Ces banques ont cherché la diversification tous azimuts en voulant devenir des supermarchés de la finance. La loi de 2001 ne serait-elle pas une sorte de cadeau empoisonnée ? Oui, sans doute pour ces banques spécialisées mues par une mission publiques à leur création. Elles ont succombé à l’appel du marché concurrentiel et au charme du principe « BigisBeautiful » pour lesquelles elles n’étaient pas préparées.
L’affaire de la restructuration des trois banques publiques est donc bien une affaire d’Etat. Ses origines remontent à des choix et parfois à des erreurs de politique économique. C’est donc par la politique économique qu’il convient de résoudre ce problème.
L’Etat ne devrait pas se défausser sur le marché en lui déléguant la mission de régler ce problème par des privatisations. La conséquence d’une telle démarche serait dramatique sur la stabilité et la croissance.
Les collaborateurs ne doivent pas constituer la variable d’ajustement des restructurations
On réduit souvent les restructurations bancaires à une simple réduction des charges d’exploitation et plus particulièrement à une réduction des frais de personnels qui représentent environ 70% de ces charges. Or des restructurations réussies ne doivent pas reposer sur un simple calcul de court terme de réduction des coûts. L’emploi bancaire ne doit pas être une simple variable d’ajustement. Les 6000 employés de ces banques publiques méritent mieux que cela après tant d’années de bons et loyaux services. Car la banque aujourd’hui est certes une firme concurrentielle mais une firme qui repose sur des compétences et une ressource humaine. Le sureffectif chronique dont souffrent notoirement aujourd’hui les trois banques publiques tunisienne doit faire nécessairement l’objet d’abord de négociations avec les partenaires sociaux mais aussi de solutions innovantes fondées sur l’incitation et la responsabilisation.Ces solutions sont tout à fait envisageables
Est-ce la fin du modèle étatique ?
En ce début de 21ème siècle, la banque tunisienne ne peut plus être une simple excroissance de l’administration publique comme ce fût le cas à l’indépendance. La mission publique qu’ont assumée les banques détenues en majorité par l’Etat doit être transférée vers la CDC (Caisse des Dépôts et Consignation)et ses satellites naissants à vocation publiques et para publiques. Les banques dites d’Etat vont devoir revoir leur business model et leurs gouvernances afin qu’elles soient plus conformes aux exigences du marché mondialisé. Il est temps de s’adapter à la mondialisation car autrement la sanction du marché sera terrible.
Conclusion: des questions sans réponses
Comment identifier les lignes de métiers à arrimer dans les banques dites publiques à restructurer ? Comment à l’intérieur de ces structures dissocier l’activité encore saine de celle qui ne l’est plus ?
Comment construire de nouvelles banques répondant aux réels besoins de l’économie tunisienne?
Une chose est sure, la restructuration du secteur bancaire tunisien sera une opération sera coûteuse, longue et complexe, certains diront chirurgicale.
Dans tous les cas l’Etat ne doit jamais perdre la main en tant que régulateur et non en tant que propriétaire dans le domaine financier tant ce secteur est sensible et hautement systémique. En d’autres termes, un Etat régulateur oui, un Etat propriétaire à voir ou revoir.