Une évidence : le terrorisme est un phénomène nouveau en Tunisie. Aucune institution de la République n’y était préparée. Toutes les institutions, en l’occurrence l’armée, la police, la justice, les politiques, les médias, la société civile ont été pris de court, ces trois dernières années, par l’ampleur du phénomène et par la capacité des terroristes à infiltrer toutes les professions.
Résultat: les Tunisiens en ont fait l’apprentissage par le choc généré par les images des victimes du terrorisme: soldats égorgés, hommes politiques assassinés, policiers, gendarmes et de civils tués dans des embuscades…
Les politiques, les médias et la justice, qui ont particulièrement pris beaucoup de retard pour comprendre le phénomène, assument, par l’effet de leur inculture et leur laxisme vis-à-vis de ce fléau, une grande responsabilité dans sa propagation/prolifération.
Pourtant, il aurait suffi aux intellectuels du pays de s’informer des nombreux essais écrits par des spécialistes antiterroristes à travers le monde aux fins de comprendre, d’abord, le phénomène, et d’expliquer, ensuite, ses mécanismes et stratégies à l’opinion publique.
Dans cette perspective, nous vous proposons quelques éléments d’information et d’analyse publiées dans une étude menée par la chercheuse canadienne Angela Gendron de l’université Carleton (Ottawa).
Cette étude sur la stratégie médiatique et de propagande d’Al-Qaïda présente l’avantage de rappeler que le terrorisme n’est pas une réalité nouvelle.
Pour l’éminent expert du terrorisme, David Rapoport, cité dans cette étude, il s’agit d’un vieux phénomène qui se produit par vagues reflétant une idéologie dominante.
Le rapport distingue quatre vagues: la période d’anarchisme à la fin des années 1890, la période d’anticolonialisme après la Deuxième Guerre mondiale, la vague gauchiste des années 1970 et la vague religieuse qui a remplacé le marxisme comme idéologie radicale dominante dans le monde arabe contemporain.
C’est donc au terrorisme de l’islamisme radical que la Tunisie et le reste des pays du Maghreb sont, aujourd’hui, confrontés. Selon ses théoriciens, ce terrorisme, perceptible à travers le mouvement Al-Qaïda, mène une guerre multiforme contre l’incroyance-mécréance et lutte pour en convaincre Al oumma, l’ensemble des peuples islamiques.
Inspirée des préceptes de Sayyid Qutb, qui a déclaré que le but du jihad est de «détruire le royaume des hommes pour établir le royaume de Dieu sur la Terre», la vision eschatologique d’Oussama Ben Laden, chef historique d’Al-Qaïda, est celle d’un État islamique pour régi par un califat auquel on aurait rendu son pouvoir —un organisme politique transcendant qui unirait la communauté musulmane du monde entier et la gouvernerait comme il le faisait depuis des centaines d’années avant la chute de l’Empire ottoman en 1923.
Objectifs d’Al-Qaïda
Les objectifs d’Al-Qaïda sont de deux ordres. Religieux d’abord, dans la mesure où ils visent à imiter ceux qui ont vécu à l’époque du Prophète Mohamed, à accepter le jihad comme le devoir personnel (plutôt que collectif) de défendre les territoires musulmans ainsi que la promesse de la victoire sous forme soit d’une aide divine, soit du martyre et des récompenses auxquelles il donne droit au paradis. A cette fin, Al-Qaïda procède à un recours sélectif à des versets du Coran et à des traditions ne correspondant pas aux enseignements du Prophète et à l’islam «tolérant» que la majorité des musulmans ont adopté.
Politiques, ensuite, en ce sens où ils tendent à rétablir le califat pour unir les pays islamiques à majorité musulmane sous un même régime politique et offrir à la grande communauté musulmane une forme de gouvernement qui garantit la primauté de la religion dans les affaires sociales et d’État.
Pour ce faire, Al-Qaïda appelle à renverser les dictateurs qui gouvernent actuellement les États laïcs à population musulmane (le quasi-ennemi), à briser l’ordre international imposé par l’Occident et l’influence que celui-ci exerce sur le monde islamique, à mener le jihad contre les occupants des États islamiques —surtout les États-Unis et leurs alliés en Irak, mais aussi des pays comme Israël, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Indonésie et les Philippines (l’ennemi lointain), à éliminer, bien sûr, l’État d’Israël, à venger l’oppression que l’ennemi a fait subir aux musulmans et à rétablir l’équilibre des pouvoirs.
La stratégie d’Al-Qaïda
Pour y arriver, Al-Qaïda recourt à deux mécanismes: la violence armée et la propagande médiatique et religieuse.
Concrètement, la stratégie d’Al-Qaïda s’articule autour de deux principaux objectifs: faire le plus de tort physique et psychologique possible à l’ennemi au moyen d’actes terroristes meurtriers (cas des soldats égorgés au mont Chaambi) et valoriser ces actes, par le biais des médias (compassion des spectateurs avec les terroristes ou leurs parents), en tant qu’exploits et victoires remportées contre les mécréants (Taghuts et Etats laïcs).
L’accent est particulièrement mis sur la gestion des impressions dans les médias. Celle-ci consiste à intensifier et à maximiser les effets psychologiques des actes terroristes accomplis pour susciter les réactions voulues chez le public cible d’Al-Qaïda.
Dans cette optique, l’aile d’Al-Qaïda chargée de la propagande, le Front islamique mondial de l’information (FIMI), ainsi que ses dirigeants et principaux propagandistes, Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri, ont fait un usage habile et novateur des technologies des communications et de l’information du 21e siècle pour accentuer les répercussions psychologiques de ses attentats terroristes.
Ainsi, à travers la gestion des impressions, ils peuvent transformer un échec opérationnel en victoire et faire d’une simple réussite un triomphe. Ils peuvent mettre en doute les valeurs et les principes de l’adversaire.
Certains médias tunisiens font le jeu du terrorisme
C’est exactement le piège dans lequel sont tombés, ces derniers temps, moult journalistes et animateurs d’émissions télévisées lorsqu’ils ont, au nom de la liberté de la presse, invité des terroristes de retour de Syrie, des salafistes djihadistes ou des parents de terroristes…
Malheureusement, en dépit des rappels à l’ordre et mises en garde des institutions de régulation (HAICA…), certains médias continuent à faire le jeu du terrorisme et à en faire, indirectement, la propagande.
C’est le cas également d’autres sites électroniques qui ont récemment reproduit une vidéo, une sorte de documentaire sur Ansar Chariaâ, organisation classée terroriste partout dans le monde. Ce qui est frappant dans ce documentaire concocté par le journaliste algérien Yassine Ben Rabii pour le compte de son journal Chourouk (Algérie), c’est la séquence dans laquelle un djihadiste islamiste raconte, en transe, comment il s’est séparé de sa mère pour aller au Djihad. Il dit en substance que, plus sa mère pleurait, plus sa foi dans le Djihad se renforçait, le tout agrémenté par des cris d’Allah Akbar…
Cela pour dire que certains médias font le lit du terrorisme et que le moment est venu pour mettre de l’ordre dans ce secteur.