«Une syndicaliste qui a pu stopper net les activités d’Aérolia Tunisie, une filiale d’Airbus, premier fabricant d’avions de transports commerciaux et militaires de par le monde et briser la chaîne d’approvisionnement de la compagnie aéronautique, cela mérite non seulement d’être consigné dans les records du Guinness Book mais plus encore, selon un haut responsable d’Aerolia France, de voir sa photo fixée sur le mur de l’un de ses bureaux, juste pour qu’on n’oublie pas… »…
C’est de l’humour noir mais cela reflète aussi la situation dramatique du tissu industriel privé national et étranger en Tunisie.
Il ne s’agit pas non plus de mettre en cause les droits de travailleurs, mais tout simplement le cadre dans lequel doit se dérouler toute négociation impliquant la préservation de ces droits sans chantages, sans surenchères, sans menaces et sans prises d’otages.
Car en ces quatre années, nous avons vu et souffert de nombre de mauvaises pratiques sous couvert de revendications syndicales mais qui frappaient en plein cœur le tissu économique tunisien, touché par l’ambiguïté d’une phase postrévolutionnaire difficile à gérer et par la déstructuration des toutes les composantes de l’Etat. Un Etat censé préserver les droits des uns et des autres, protéger le patrimoine économique national, car il ne s’agit pas autant de privé que de public que de richesses nationales dilapidées pour les mauvaises raisons. Et quand un Jean Luc Mélenchon, qui n’a jamais gagné les élections en France, s’en mêle, cela tourne carrément au drame car tous ses conseils ne tombent pas dans des oreilles sourdes mais dans celles très réceptives. Lesquelles ne réalisent pas que le but de la manœuvre n’est pas aussi humain que cela, mais il vise en premier lieu la récupération des entreprises délocalisées en Tunisie par les Français. Pareil pour les représentants des syndicats français en Tunisie, soucieux du bien-être de leurs «frères de lutte» tunisiens…
Les défenseurs des droits des ouvriers peuvent croire à l’Internationale socialiste et même au père Noel, si cela n’ampute pas la Tunisie d’une partie de son tissu industriel et n’allonge pas encore plus les listes des demandeurs d’emplois…
Sans tomber dans des thèses tragiques, il faut quand même tirer la sonnette d’alarme quant à la situation économique du pays qui se caractérise, depuis 3 ans selon des observateurs avisés par:
– une croissance nulle ou négative du secteur productif; la croissance globale affichée est le fait du secteur administratif dont la croissance ne reflète que des augmentations salariales;
– une chute très importante de la productivité; on aurait même remarqué que les ouvriers marquaient présents lorsque les usines fonctionnent au ralenti et absents lorsque les commandes affluent avec de fortes montées des revendications sociales;
– une détérioration des services publics, car les administrations ne sont plus aussi disciplinées qu’auparavant, en l’absence d’une rigueur managériale et administrative conséquence du syndrome du «dégage» et à défaut de création d’emploi par le secteur productif due à la perte de compétitivité. Sans oublier la fragilisation des entreprises travaillant pour l’Etat et les collectivités publiques, lesquelles ont des difficultés à voir leurs créances recouvertes et leurs marchés reconduits. Les zones “défavorisées” sont paradoxalement les plus touchées par cette situation.
Les prix des produits alimentaires et énergétiques et ceux importés ont augmenté portant un coup dur au pouvoir d’achat. Qui ne le sent pas? Qui ne le sait pas? Mais il faut en comprendre les causes, expliquent certains opérateurs économiques. Elles sont liées tout d’abord à la dépréciation du dinar à cause du recul des exportations, la stagnation de la production, la régression de la productivité, parallèlement à l’augmentation des dépenses de l’Etat (distribution de primes aux chômeurs, emplois fictifs, recrutement massif dans l’administration, financement d’associations «caritatives», hausses importantes des salaires en 2011-2012).
Le commerce et la finance parallèles ont fait le reste grâce à la contrebande des produits subventionnés et ceux agricoles. «Si on n’agit pas sur la productivité, si on laisse faire la contrebande, si on continue à tolérer des entrées monétaires qui ne proviennent pas du travail (contrebande, drogue, armes et financement douteux d’associations et de partis politiques), si on ne remet pas au travail les entreprises publiques, et si on ne prend pas de mesures effectives contre les réseaux mafieux nous contentant d’une simple augmentation salariale, nous pousserons le pays vers la catastrophe et la ruine».
Siffler la fin de la récréation
Il est temps pour le gouvernement en place de siffler la fin de la récréation, et grands temps pour les partis politiques et les organisations syndicales d’assumer leurs responsabilités dans la préservation de ce qui reste du tissu économique tunisien. En un mot, sauver les meubles. Les entreprises nationales ou internationales ont besoin d’être compétitives, pour ce, il faut qu’il y ait plus de productivité. Le taux d’absentéisme en Tunisie est en moyenne de 12% sur toute l’année et de 25% au mois de ramadan. Les administrations doivent reprendre leur efficience et leur réactivité, et l’Etat doit oser prendre des décisions courageuses pour munir les régions du minimum d’infrastructures et de commodités pour inciter le secteur privé à l’intérieur du pays à commencer par l’aménagement de zones industrielles clés-en-main et pourquoi pas dans le cadre du partenariat public/privé.
A l’UTICA, la demande pressante est la création d’une commission permanente d’arbitrage UTICA-UGTT pour trouver des solutions et éventuellement imposer des solutions pour résoudre les conflits sociaux de manière à ne plus voir les employés recourir à la grève et les employeurs choisir le au lockout. Pour ce, les syndicats doivent stopper net les surenchères et ne plus prétendre que leurs bases les dépassent, car s’ils n’ont pas d’autorité sur elles, qui le pourraient. Au pire, il faudrait arrêter de les couvrir. Quant aux employeurs, ils doivent s’engager à respecter les conventions signées entre partenaires sociaux et respecter les droits de leurs mains-d’œuvre.
Sur un tout autre volet, et cela a été l’objet de la rencontre organisée entre le ministre de l’Economie et les représentants du BE de l’UTICA tout récemment, il serait pertinent d’introduire plus de cohérence dans le système fiscal des salariés, stipulé dans la loi des finances 2014 de manière à l’alléger pour les revenus les plus faibles et l’augmenter pour les revenus les plus élevés sans réduire les revenus du trésor.
Mais plus que tout, les temps sont venus pour que toutes les composantes de la société tunisienne s’engagent, ensemble, dans une démarche commune de lutte contre les abus et l’attentisme de certaines administrations, contre la montée en force de la contrebande et de l’économie parallèle, les abus de certaines composantes de la justice tunisienne qui ne rassurent pas quant à la suprématie de la loi ou de la construction de l’Etat de droit et l’implication dans le processus de la réédification des institutions d’un Etat qu’on s’est acharné à détruire pendant plus de trois ans avec pour grand titre: le chaos créateur, il faut aujourd’hui nous enrôler tous dans le génie constructeur.