L’évènement diplomatique de cette semaine sera, de toute évidence, la visite franco-allemande qu’effectueront, les 24 et 25 avril, les chefs des diplomaties allemande et française, respectivement, Frank-Walter Steinemeier et Laurent Fabius.
Zoom sur des scénarios possibles.
Officiellement, selon le porte-parole du Quai d’Orsay, ce type de déplacement conjoint franco-allemand constitue un symbole politique fort: «les diplomaties française et allemande, a-t-il-dit, se rejoignent pour défendre des valeurs, des principes et des objectifs communs».
Concernant la Tunisie, il s’agit, pour Paris et Berlin, «d’accompagner ce pays initiateur des printemps arabes, qui a, aujourd’hui, adopté une Constitution et se trouve sur la voie du redressement économique».
Comme on le constate, cette déclaration est très évasive et ne fournit aucune information utile.
Conséquence: les observateurs se posent de légitimes questions quant au timing et aux non-dits de cette visite qui intervient à un moment où la Tunisie connaît une grave crise multiforme perceptible à travers la persistance des disparités sociales et économiques entre les régions, chômage élevé des jeunes, terrorisme, crime organisé, contrebande…
Pourquoi ce timing?
Concernant le timing, elle est compréhensible pour Laurent Fabius qui s’est déplacé à Tunis pour préparer la visite qu’effectuera, le 29 avril, en France, le chef du gouvernement Mehdi Jomaa à la tête d’une importante délégation.
Quant à celle de Walter Steinemeier, elle aurait pour objectif d’annoncer, en cette période de crise, une nouvelle aide financière significative. Celle-ci serait peut-être la ligne de crédit évoquée il y a un mois au cours d’une interview radiophonique du nouvel ambassadeur d’Allemagne en Tunisie, Andreas Reinicke. D’un montant de 50 millions d’euros, ce crédit sera mis à la disposition de banques commerciales tunisiennes pour financer des microprojets lancés par des jeunes.
Cette visite franco-allemande aurait également pour objectif de se rattraper, au nom de l’Union européenne, après la décevante dixième réunion du Conseil d’Association Tunisie-Union européenne (14 avril 2014) laquelle n’a pas abouti, comme les Tunisiens le souhaitaient, à une aide massive conséquente à la mesure des défis qu’elle doit relever.
La déception des Tunisiens est telle que son ministre des Affaires étrangères n’a pas daigné coprésider cette réunion qui intervenait, en plus, après un geste inamical, celui de l’adoption, le 8 avril 2014, par la Commission européenne «d’un nouveau règlement établissant de nouvelles valeurs forfaitaires à l’importation pour la détermination du prix d’entrée de certains fruits et légumes en provenance de pays tiers, dont la Tunisie»; un règlement qui affecterait a priori les exportations tunisiennes d’huile d’olive, d’agrumes, de dattes, de fruits de mer et des primeurs.
Moralité: la France et l’Allemagne, respectivement premier et troisième partenaire commercial de la Tunisie, entendent, à travers cette visite conjointe, corriger le tir et rassurer Tunis quant à leur engagement ferme à accompagner, de manière significative, la transition démocratique. L’enjeu est de taille pour les deux pays lorsqu’on sait que la Tunisie, de par son positionnement géostratégique au sud de la Méditerranée, et par ses succès en matière de transition démocratique et l’effet multiplicateur que ces performances peuvent générer sur les pays voisins, est, plus que jamais, dans le focus de la diplomatie des deux locomotives de l’UE (Allemagne et France). «Le principe est simple, selon Andreas Reinicke: si la Tunisie va bien, l’Europe va bien».
Dimension stratégique
Conséquence: c’est au plan géostratégique que cette visite aurait, à notre avis, plus de sens. Et pour cause. Elle intervient à un moment où beaucoup de nouvelles donnes régionales commencent à se manifester.
Au plan méditerranéen, il y a lieu de signaler la recrudescence du terrorisme et le kidnapping des diplomates en Libye et la menace qu’elle fait peser sur la stabilité de la Tunisie, et partant, de l’UE. Dans cette perspective, il faudrait s’attendre à un partenariat pour la surveillance de la frontière sud et le délogement des terroristes du mont Chaambi.
Vient ensuite la problématique générée par la décision de l’Etat de Qatar d’abandonner les Frères musulmans et d’arrêter de les soutenir. Cette décision risque d’impacter négativement les nahdhaouis en Tunisie et la diaspora des frères musulmans égyptiens réfugiés à Doha.
Le journal électronique, Elaph, basé à Londres et proche de Ryad, affirme que Qatar s’est engagé, sous la pression de l’Arabie Saoudite, à transférer la direction des fréristes à une autre capitale arabe, et misé, à cette fin, sur la Tunisie.
Compte tenu des bonnes relations qu’entretiennent la France et l’Allemagne avec l’Etat de Qatar (alliés dans la guerre en Syrie) et du plaidoyer éternel de ces deux pays européens pour la compatibilité de l’Islam avec la démocratie, les chefs de la diplomatie de ces deux pays pourraient intervenir auprès des Tunisiens pour les convaincre de l’intérêt qu’il y a pour eux à accueillir, même provisoirement, ces «pestiférés», moyennant une aide financière conséquente à même de mettre fin à la situation délétère dans lequel leur pays se débat.
Au demeurant, ce genre de transaction humaine n’est pas nouveau pour la Tunisie. Elle avait accueilli, en 1982, les réfugiés palestiniens moyennant une aide américaine. L’Histoire ne serait donc qu’un éternel recommencement.
Les entretiens qu’auront les deux ministres français et allemand avec les trois présidents tunisiens (Moncef Marzouki, Mehdi Jomaa et Mustapha Ben Jaafar) ne manqueront pas soit de démentir soit de confirmer de tels recoupements.
Il serait donc important de suivre les dessous de cette visite.