A défaut de réalisations significatives, ces trois dernières années, en matière de partenariat tuniso-français, les adeptes du «parti de France en Tunisie» sont sortis, en cette période printanière, de leur hibernation pour se faire entendre, et ce en exploitant la moindre bonne nouvelle pour l’amplifier et lui donner une portée exagérée.
Il faut dire que la France, qui n’a pas vu venir la révolution tunisienne, a observé, durant les trois dernières années de la révolution, un profil-bas illustré par la fameuse directive «ni indifférence ni ingérence» et s’est employée, depuis, à faire plaisir aux laïcs comme aux religieux.
Les gallomanes au secours de la France
Qu’à cela ne tienne. Ses collaborateurs en Tunisie, recrutés parmi les patrons, les médias, les Atugéens, la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie et autres institutions satellites, seraient décidés à mener une propagande, parfois à contre-courant, pour relancer leurs intérêts avec la France.
A titre indicatif, une radio privée, considérée par certains comme un des logisticiens médiatiques du parti de France en Tunisie, apparemment alertée par son co-fondateur basé en France, a amplifié une toute petite bonne nouvelle pour la Tunisie, à savoir le quasi doublement par rapport à février 2013 des réservations touristiques (84% pour les départs et 93% en volume d’affaires).
Ces révélations ont été publiées en février dernier dans le baromètre mensuel du Syndicat français des agences de voyage (SNAV) sur les départs et prises de commandes concernant la destination Tunisie.
Ne retenant que la bonne nouvelle, la radio en question n’avait pas rappelé que tout parallèle entre les mois de février 2013 et février 2014 était une aberration dans la mesure où le mois de février de l’année écoulée a été marqué par l’assassinat du leader Chokri Belaid, meurtre qui avait impacté négativement le tourisme tunisien.
Richard Soublet, responsable de ce baromètre, n’a pas manqué, à son tour, de mettre en garde contre «tout optimisme débridé», car la tendance ne peut se confirmer que dans les mois qui viennent.
De son côté, Adel Fekih, ambassadeur de Tunisie à Paris et dirigeant d’un parti francophile convaincu, Ettakatol, s’est attelé à amplifier une petite phrase prononcée par Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, au cours d’une somptueuse cérémonie organisée à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance à laquelle mille personnalités avaient été conviées (démonstration de prestige aux frais de la princesse en cette période de précarité).
Dans cette déclaration non reprise par les médias, le chef de la diplomatie française a fait état de sa disposition à passer ses vacances d’été en Tunisie à condition que son patron l’y autorise.
«Admiratif», l’ambassadeur y a vu déjà un succès, voire une campagne de promotion réussie de la destination Tunisie, une campagne devant encourager les touristes français à venir massivement, cet été, en Tunisie. Adel Fekih avait omis que Laurent Fabius est en chute libre dans les sondages d’opinion en France, et contrairement à son homologue allemand qui a visité quatre fois la Tunisie, lui n’a pas daigné le faire une seule fois.
François Gouyette, ambassadeur de France en Tunisie, était également de la partie. Invité par une radio privée locale, il a fait l’éloge de l’aide financière apportée par la France à la Tunisie.
Il en a notamment cité la conversion d’une partie de la dette française auprès de la Tunisie, soit un montant de 60 millions d’euros, une aide financière de 345 millions d’euros destinée à cofinancer la mise à niveau des ports commerciaux et la modernisation du réseau ferroviaire, outre un apport financier de l’Agence française de développement, pour 2013-2014, d’un montant de 150 millions d’euros dont 50 millions d’euros serviront à cofinancer des projets d’adduction en eau potable et de réhabilitation des quartiers populaires.
Et pour plaire davantage aux francophiles tunisiens, il a annoncé l’ouverture, pour fin 2014, d’un centre culturel français sur le site de l’ancien Lycée Carnot à Tunis, et rappelé que quelque 1.300 entreprises françaises sont implantées en Tunisie, que 15.000 étudiants tunisiens suivent des études en France, que les demandes de visas sont satisfaites au fort taux de 90%…
Ceci pour dire que tout est pour le mieux entre la France et la Tunisie. Autrement dit, la France est toujours le premier partenaire commercial de la Tunisie, premier fournisseur d’aide au développement, premier employeur de main-d’œuvre tunisienne à l’étranger, premier investisseur étranger en Tunisie hors énergie, premier pourvoyeur de touristes hors Maghreb…
Un partenariat asymétrique à plus d’un titre
Pourtant, à regarder de près, la coopération avec ce pays est asymétrique. Elle profite plus à la France qu’à la Tunisie.
Est-il besoin de rappeler que les échanges économiques tuniso-français s’élèvent, en moyenne annuelle, à quelque 8 milliards d’euros, soit l’équivalent du montant des échanges assurés avec chacun des deux grands pays de plus de 32 millions d’habitants comme l’Algérie et le Maroc?
Est-il nécessaire de rappeler que l’investissement moyen par société française implantée en Tunisie s’élève, selon la CTFCI, à 50 mille euros (le quart du prix d’un appartement à La Marsa) et que les rares sociétés off shore qui ont quitté le pays sont des entreprises de l’Hexagone (une cinquantaine)?
Est-il encore nécessaire de rappeler que sur les 15.000 étudiants tunisiens en France seuls un millier ont une bourse dont 600 pour des séjours courts (6 mois à deux ans)?
Et pour ne rien oublier, est-il besoin de rappeler que l’aide financière française y compris la conversion d’une partie de la dette sera dépensée beaucoup plus pour rémunérer les experts français (assistance technique) que pour financer de véritables projets de développement viables?
Donc, un débat national sur les relations Tunisie–France
Par delà ces vérités occultées à dessein par le parti de France en Tunisie, les relations franco-tunisiennes sont devenues, depuis quelque temps, aléatoires et à haut risque pour les Tunisiens en ce sens où elles sont de plus en plus tributaires des humeurs de la classe politique au pouvoir, qu’elle soit de gauche ou de droite.
Rappelons, à ce sujet, au temps de Sarkozy, la circulaire xénophobe du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, le filtrage sélectif des demandes de visas, et au temps de François Hollande, la décision d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif (devenu ministre des Finances dans le gouvernement Valls), de combattre les délocalisations en Tunisie, entre autres.
Ceci pour dire que les Tunisiens, après leur révolution, sont en droit d’engager un débat national sur la refondation sur de nouvelles bases de leurs relations avec la France, ce pays dont on enseigne la langue, depuis le primaire, sans résultats significatifs en retour.
A bon entendeur.