Journalisme d’investigation en Tunisie : Le jeu en vaut-il la chandelle?


investigation-26042014f.jpgLes
médias tunisiens peuvent-ils faire de l’investigation? Si la tâche n’est pas
impossible, elle n’est pas non plus aisée. Le vécu des médias ne serait
d’ailleurs pas de nature à favoriser pareille pratique.

Suspension de journaux, privation de ressources publicitaires et même assassinat
de journalistes. Il ne fait pas toujours bon d’être journaliste d’investigation
en Algérie. Du moins au cours des années difficiles connues par l’Algérie: entre
1991 et 1997. Le constat de Faouzi Kanzai, professeur à l’Université de Skikda
(ville située à 345 km d’Alger), vaut vraiment le détour.

L’universitaire algérien a convaincu plus d’un sur les dangers de la pratique de
l’investigation. Souvent source de désagréments pour les médias dans le monde
arabe, le journalisme d’investigation n’est pas du reste une sinécure.

Très souvent, assure Hanène Zbiss, journaliste tunisienne d’investigation, dans
un colloque organisé par l’Institut de presse et des sciences de l’information
de Tunis (IPSI), les 24 et 25 avril 2014 sur «Le journalisme d’investigation et
pouvoir des médias», nous devons faire de l’investigation en continuant de nous
acquitter des quotas de papiers fixés par la rédaction. En clair: le journaliste
doit faire de l’investigation sur son temps de repos. Très rarement au cours de
son temps de travail. «Et lorsque c’est le cas, nous sommes interpellés au bout
de deux ou trois jours en vue de rendre le papier», a-t-elle précisé.

Or, un journaliste d’investigation a toujours besoin de temps. Il a besoin de
construire des hypothèses, de les valider, de lire des centaines de documents,
de faire des repérages, d’imaginer un procédé pour obtenir une information que
l’on souhaite lui cacher…

Les recettes publicitaires ne suivent pas!

Un temps synonyme d’argent. Car, les entreprises de presse se doivent de payer
des salaires et d’autres frais de déplacement ou encore des per diem qui coûtent
très cher à une trésorerie mise à mal par la révolution qui a fait exploser la
concurrence et tarie, de ce fait, mais aussi en raison de la crise qui frappe le
pays, les ressources publicitaires.

Des sources publicitaires qui sont loin d’accompagner les besoins du marché:
149,9 millions de dinars si l’on croit les chiffres avancés le 25 janvier 2014
par le cabinet Sigma Conseils. Qui reconnait, qui plus est, que ces 149,9
millions de dinars sont bien en-deçà de la réalité des faits. Ils ne prennent
pas en considération notamment les gratuités offertes par les médias.

Et si le journalisme d’investigation souffrait par un marché de la presse
combien exigu. Une exiguïté qui s’explique par la faible population du pays et
par ses faibles revenus. Eux aussi mis à mal par une inflation galopante et
autres difficultés économiques du pays.

Le journalisme d’investigation est également un produit nouveau introduit depuis
la révolution du 14 janvier 2011 par un ensemble d’opérateurs étrangers. Dont un
certain groupe européen d’appui aux médias tunisiens et une institution
universitaire américaine, l’Institut Albany-Sun de New York.

Ces opérateurs sont-ils intéressés? Souhaitent-ils imposer un agenda aux médias
tunisiens? La question n’a pas été éludée. C’est du reste le cas de toutes les
sociétés en transition. Avant la Tunisie, les anciens pays de l’Est européen
(Bulgarie, Roumanie, Pologne…) ont vécu pareilles expériences.

Des fuites plutôt que de l’investigation

Dans le même ordre d’idées, des questions: les produits de l’investigation en
Tunisie sont-ils réellement de l’investigation journalistique? Ou plutôt des
fuites? Voulues en vue de nuire à un adversaire ou à un concurrent politique ou
économique?

Chokri Mabkhout, recteur de l’Université de La Manouba, venue clôturer le
colloque de l’IPSI, n’a pas manqué de traiter de la question. Tant elle
travaille, bien au-delà de l’hôtel où s’est tenue ce colloque, les esprits de
bien d’observateurs.