Il
leur faut interagir, pour être en phase. Administration et jeunes entrepreneurs
doivent comprendre que pour changer la société, chacun doit faire l’effort de
son côté. En coaching, on parle d’un “travail sur soi“. Cela étant, nous savons
d’expérience que c’est plus facile à dire qu’à faire! Il n’existe pas de mode
d’emploi, à proprement parler. C’est pour cela qu’il leur faut se mettre en
intelligence. Autant prévenir, c’est plutôt “coton“.
Il faut saluer cette initiative que nous devons à British Council à initier
décideurs et jeunes entrepreneurs à “bien“ communiquer entre eux. Vous avez bien
lu, il s’agit de les faire “bien“ communiquer. Pour faire court, nous dirons
qu’il s’agit pour les deux de se mettre en interactivité. De la sorte,
l’écosystème de l’entrepreneuriat dans le pays ferait la mutation que les jeunes
attendent de lui. En un mot, il s’agit de réfléchir à la manière d’aller vers
une société qui marche.
Une société en mouvement
En réalité, dans notre pays la motivation de réactivité est ancienne, et la FIPA
n’avait-elle pas comme slogan “Tunisia, a country that works“? Mais bien
entendu, dans la conscience collective, cela relève de l’utopie. La finalité de
ce cogito n’est pas d’arriver, en bout de course, à réaliser un saut de palier,
ni même une simple vague de réformes. Non c’est encore plus en profondeur, il
faut une nouvelle façon de faire.
Pour appeler les choses par leur nom, on dira qu’il s’agit d’une refondation de
la société, pas moins. En cours de débat, lors du séminaire organisé par British
Council, on parlera de “Moving Society’“. Selon nous, ce dialogue tendrait à
faire émerger une société du XXIème siècle, en totale démarcation par rapport à
la société actuelle minée par les archaïsmes et autres anachronismes.
Nous ne voyons pas d’autre interprétation à cette action qui pousse toutes les
composantes de la société, c’est-à-dire administration, opérateurs en tous
genres, acteurs de la société civile, et la jeunesse à se défaire de la
pesanteur qui caractérisait jusque-là les relations d’affaires et d’échanges.
L’un des traits distinctifs de cette rencontre était que le débat se soit
déroulé dans la langue de Shakespeare. Ce fut, à n’en pas douter, un débat fort
et fécond. Quel panache!
Les panélistes ont bien joué le jeu, mouillant le maillot à l’extrême. Le
casting parle de lui-même: Amel Karboul, ministre du Tourisme, Jaloul Ayed,
ministre des Finances dans le gouvernement de Béji Caïd Essebsi, Mondher Khanfir,
consultant en politique, et Pr Jalel Ezzine, DG de la coopération internationale
au ministère de l’Enseignement supérieur. Tous quatre ont en commun de s’être
heurtés à l’inertie de l’administration. Tous quatre portent en eux cette
volonté de changer les choses et d’aller enfin vers un monde qui bouge.
L’Etat c’est autre chose qu’une “pompe à fric“
Amel Karboul, en bonne anglophone, sait user de self control. On la voit décrire
avec le sourire des situations qui feraient rugir plus d’un. Elle les décrit
avec force détails et beaucoup de pédagogie. C’est que la ministre a envie de
secouer le cocotier et de faire avancer les choses. Son constat est qu’il y a de
l’agitation que du mouvement. Les schémas restent figés. Rien n’est jamais remis
en question. Le ronron administratif, en somme. Cela ne fera pas bouger les
lignes. Du fond de son être, elle hurle de rage pour faire savoir que le monde
bouge et qu’il faut en prendre acte. Continuer à ruminer les réalisations en
nombre de nuitées ne sert à rien, dit-elle avec un rire nerveux. Et les
hôteliers lesquels, invariablement, lui réclament des primes et des subventions
et on en sait quelles autres incitations. Demander des secours, oui, ça peut se
concevoir, admet-elle. Cependant, se bouger et trouver des business plan de
secours, c’est encore mieux.
D’entendre les professionnels se focaliser sur l’objectif de 7 millions de
touristes la fait sursauter mais pourquoi ne pas se donner pour ambition d’avoir
10 ou 15 et même 20 millions de touristes?
La ministre est ahurie de voir que dans le nord-ouest, région qu’elle a
sillonnée de bout en bout, aucune des richesses de cette partie de la Tunisie
n’est correctement mise en valeur. Et quand elle pose la question, on lui
demande des subventions. Il faut savoir troquer la subvention pour le sponsoring
et passer de l’état d’assisté à celui de promoteur.
Elle s’insurge contre toute forme de démobilisation managériale. Mais l’Etat
est-il en posture d’être réceptif et de collaborer avec cette nouvelle
génération de citoyens?
Une méthodologie payante et un mode opérationnel efficace
Jalloul Ayed, intervenant à la suite de la ministre du Tourisme, viendra
corroborer le constat du déphasage entre l’Etat et les forces vives. Fatalement
cela se ressent sur l’écosystème qui reste inefficient. Et c’est toute la
collectivité qui en pâtit. Au ministère des Finances, il s’était heurté, à son
tour, à des anachronismes révoltants.
Il fait remarquer autour de lui que le tissu économique national est fait de
petites et moyennes entreprises. Elles emploient plus de 60% de la main-d’œuvre.
C’est donc une structure qu’on doit appuyer avec des structures dédiées. Et le
ministre de regretter que le système financier ne leur ait pas réservé de
structure dédiée ni en fonds propres ni en crédits. Pourquoi s’étonner que le
pays cumule les contreperformances les unes après les autres, laisse-t-il
entendre en substance.
Et c’était l’occasion pour Jaloul Ayed de donner une indication sur la manière
de refonder l’Etat. Il compare un pays à un bateau. Logiquement il lui faut
s’équiper de vivres, de carburant et qu’il ait un équipage et point d’orgue, un
capitaine pour fixer le cap. On retient donc une esquisse de mode d’emploi: des
troupes, mais surtout un chef.
La notion d’efficacité globale
En réactivité à ce qui avait été dit, Mondher Khanfir, conseiller en politique,
a cadré son intervention en ligne avec le thème du séminaire, ainsi formulé:’’Le
rôle des jeunes dans la conception et l’analyse des politiques publiques’’.
Faute de structure permettant aux jeunes d’intervenir dans la conception des
politiques publiques, comment peuvent-ils se faire entendre de l’administration?
Il leur faut se débrouiller pour trouver la faille.
Mondher Khanfir citera son itinéraire propre. Jeune promoteur d’un projet
industriel off shore, il a dû affronter les affres de la bureaucratie et de la
défaillance de l’infrastructure logistique dans nos ports commerciaux. Par
sentiment de “dette sociale“ envers le pays, il s’oblige à appeler l’attention
des décideurs pour une prise en charge de la situation.
Quelle solution a-t-il trouvée? Il s’arrangera pour présenter, lors d’un
séminaire public, les surcoûts des pesanteurs dans les flux export-import et de
prouver, calculs à l’appui, qu’ils sont au triple de l’estimation de
l’administration. A cette échelle, cela représente un handicap pour la
compétitivité nationale.
Ayant réalisé qu’il s’agit d’une question d’intérêt national, l’administration a
fini par réagir. Plus tard, quand le Programme de développement des exportations
s’est mis sur pied, il y a vu un début d’aboutissement à son initiative.
Toujours est-il que les opérateurs ne sont pas au bout de leur peine. Mondher
Khanfir persévère sur la même voix pour convaincre de la nécessité de poser le
problème de l’examen de la globalité de la “Supply Chain“. Et, il appelle à
poser le problème dans le cadre d’une consultation nationale.
Un environnement sous performant
Dans le même ordre d’idées, Pr Jellel Ezzine rappelait cette dyslexie entre les
deux sphères de la société, soit l’administration et les milieux des jeunes
entrepreneurs, mais également le monde des affaires. Il se souvient que la
Banque mondiale avait conduit une expérience fort édifiante en la matière. Elle
a pris la moitié d’une promotion de diplômés à qui elle a dispensé un cycle de
coaching en vue d’améliorer leur employabilité. En bout de course, les deux
populations réalisaient environ le même score d’embauche. Ceux qui ont été pris
en mains ne se sont pas mieux débrouillés que les autres. Il en déduit que le
monde de l’entreprise est totalement en déphasage avec l’université et qu’il ne
crée pas des emplois de qualité.
Le Pr rappelle que le pays connaît une situation telle que la courbe du chômage
augmente avec le niveau des diplômes. Cette constatation est récurrente chez les
universitaires.
Mustapha Kamel Nabli disait que les entreprises tunisiennes ne créaient pas des
emplois de qualité et c’est ce qui explique que les diplômés du supérieur
souffrent d’un chômage de longue durée. Il ne faut pas s’étonner que les jeunes,
dans leur grande majorité, n’aient d’yeux que pour un job dans l’administration
quand on leur demande ce qu’ils veulent faire dans la vie.
Ce séminaire a eu le mérite de poser le problème du droit/devoir des jeunes à
s’immiscer dans l’analyse et surtout l’élaboration des politiques publiques. Il
leur faut donc proposer des moyens pour se bridger sur la politique publique. En
soi, cette résolution est un programme de gouvernement.