Le partenariat stratégique qui semble se mettre en place entre la Tunisie et les Etats-Unis d’Amérique se ramène, en fin de compte, à des programmes d’aide et de délocalisation universitaire dans le domaine des IT. C’est toujours bon à prendre. Toutefois, on laisse entrevoir, côté tunisien, que ce partenariat puisse servir de point de levier pour hâter la réforme de l’enseignement universitaire, qui piétine. Un palliatif au partenariat économique?
Le dernier déjeuner-débat d’Am’Cham, jeudi 17 avril 2014, était dédié, l’on s’en doute bien, à l’évaluation de la visité d’Etat accomplie par le chef du gouvernement aux Etats-Unis au début du mois. Am’cham était du voyage avec une mission nombreuse d’hommes d’affaires tunisiens.
Il est vrai que cette visite s’est soldée, principalement, par une promesse de partenariat stratégique. Ce partenariat prend la forme d’une coopération universitaire assez avancée, principalement dans le domaine des IT. Par conséquent, l’invité d’honneur de ce déjeuner-débat, en bonne logique, ne pouvait être que le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Technologies de l’information et de la communication. Taoufik Jelassi faisait partie de la délégation officielle et il est rentré avec beaucoup de promesses dans ses bagages.
L’asymétrie de standing, entre les deux pays, ainsi que l’éloignement géographique ont entravé, jusque-là, l’expansion des échanges commerciaux et économiques, faisant de ce domaine un vaste champ d’occasions ratées. Ces mêmes causes ne semblent pas contrarier le partenariat universitaire. Et c’est toujours çà de gagné.
Une enveloppe de 20 millions de $
Les péripéties du voyage officiel ont fait la part belle à Taoufik Jelassi. Ce périple a commencé par les visites du chef du gouvernement et des membres de la délégation aux universités Cornell et Columbia, à New York-city. Il y eut, ensuite, le rendez-vous à Wall Street, qui a culminé avec la rencontre avec Eric Chmitt, le tout puissant PDG de Google ainsi que des administrateurs de Microsoft.
Taoufik Jelassi, pour cette partie de la visite, était comme un poisson dans l’eau. Il parle le langage de ces icones de la société du savoir et il sait prendre langue avec eux. Il est rentré avec une enveloppe de 20 millions de dollars, soit une dotation pour 400 bourses d’études, record absolu à ce jour. Cela rentre dans le cadre de l’initiative Thomas Jefferson.
Une deuxième enveloppe, de 6 millions de dollars, sera mobilisée par Cornell University, pour un master programme à mettre en place au technopark d’El Ghazala.
Nous rappelons qu’il y a eu, auparavant, deux modestes vagues de bourses américaines dans le cadre des initiatives “experiment“. La première remonte aux années 60 et la suivante, pendant les années 80. Et depuis, plus rien. La réactivation du processus est bon signe outre que la partie tunisienne en a négocié les termes selon ses projections d’avenir. Les passerelles entre universités finiraient par déboucher sur un maillage avec les entreprises. Mais cela viendra, plus tard. C’est, à l’évidence, un bridging conséquent, pour l’avenir.
Cependant, quand bien même ce programme est important, on ne peut se retenir de dire, c’est tout?
Am’Cham : Un travail “d’image building“ bien ciblé
Un autre versant de la visité fut la part de contacts d’affaires accomplis par la délégation, et Am’Cham y a pris une part active. La délégation de la Chambre, composée de chefs d’entreprise, s’est beaucoup déployée. Ses contacts furent aussi nombreux que variés. Des faiseurs d’opinions, des congressmen, des think tanks, des lobbyistes, enfin des représentants du gotha de la finance, des affaires et des cercles d’influence ont pu échanger avec les représentants de Am’Cham. Ces derniers ont lobbyié à tour de bras, à l’effet de faire avancer la délicate négociation sur l’accord de libre-échange, le fameux FTA.
Le Maroc en a bénéficié et cela a été un troisième poumon pour son industrie. En la matière, nous pensons que nos chances sont réduites. L’ambassadeur Jacob Walles avait dit au déjeuner précédent que le FTA est vu, de là-bas, comme hors de notre portée. La partie américaine juge le marché tunisien en-dessous de la masse critique requise. Ce à quoi Amel Bouchamaoui, présidente de Am’Cham, avait répondu, sans détour: la Tunisie peut être un centre de triangulation, accueillant les entreprises américaines qui souhaiteraient s’y implanter pour exporter sur nos marchés de proximité dont notamment celui de l’Union européenne, premier marché du monde!
La partie américaine persiste à faire la sourde oreille, pour le moment. En tous cas, les représentants d’Am’Cham se sont démenés avec mordant et conviction. Ils ont fait un remarquable travail d’image building, mettant en valeur les avantages comparatifs du site national. Le FTA, selon nos estimations, c’est au bas mot un point de croissance supplémentaire.
Quand bien la partie s’annonce très difficile, il ne faut pas jeter l’éponge.
La réforme de l’enseignement supérieur, en ligne de mire
Contre mauvaise fortune, il faut faire bonne science. De même que le rappelait Taoufik Jelassi, le chef du gouvernement fera de “l’échange sciences et technologies“ une carte maîtresse de la coopération avec les pays à économie avancée. Parier sur la société du savoir, c’est prendre le cap de la richesse de demain. Seulement cela laisse entier le problème de la relance de l’économie tunisienne.
Les contraintes financières macroéconomiques continueront, on le craint de plomber son dynamisme. Le pays peine, à l’heure actuelle, à se mettre sur le sentier d’un nouveau modèle économique. Un saut de palier dans les échanges avec la puissante économie américaine aurait été du meilleur effet. Il ne viendra pas. A défaut, le gouvernement Jomaa devra se contenter de l’hypothétique partenariat avec Google et Microsoft. On sait qu’en matière de IT, les USA n’ont développé de partenariat stratégique extra muros qu’avec l’Etat d’Israël.
Mais il ne sert à rien d’injurier l’avenir. Il faut espérer que le vent du partenariat stratégique tourne en notre faveur. Cependant, en admettant que l’oracle se vérifie, ce genre de montage durerait plus que la durée de vie annoncée du gouvernement Jomaa. Et on sait le sort réservé aux projets laissés en plans. Il n’y a pour cela que de voir comment a été abandonné le plan jasmin.
Il reste, au bout du compte, la perspective de coopération avec les pôles universitaires US. Et, Taoufik Jelassi se sert, avec ruse et adresse, de cette coopération pour faire avancer un dossier épineux, à savoir la réforme de l’enseignement supérieur, qui n’a que trop tardé. Le pays a besoin de reconquérir un meilleur positionnement pour ses universités, dans le classement international qui ne nous a pas gâtés.
Dans le même temps, la réforme universitaire serait un puissant levier pour répandre la culture de l’initiative privée et modifier l’état d’esprit des nos diplômés et de la jeunesse dans son ensemble. En la matière, nos contreperformances sont criardes: seulement 3% des diplômés créent leur propre entreprise, donc leur propre job. Il est temps d’infléchir la courbe. Cela prendra du temps. Et malgré tout le bien que l’on pense de la réforme, celle-ci n’est pas la thérapie indiquée contre l’essoufflement économique. A ses débuts, la démocratie ne peut se nourrir que d’une croissance forte. Et il n’y a pas de palliatif à la croissance forte et inclusive.
Comment faire comprendre à l’Oncle SAM qu’il doit se comporter en cousin d’Amérique? That is the question!