Des responsables dans les principales organisations syndicales du pays (UGTT et UTICA) dénoncent le «black-out» qui entoure la préparation de la loi de finances complémentaire. Pour elles, le risque d’aboutir au même fiasco que la loi de finances 2014 existe.
Sollicité à maintes reprises, depuis fin mars, par l’Agence TAP pour donner des éclaircissements sur la loi de finances complémentaire, le service de communication des services des finances a totalement ignoré cette requête. Des questions écrites ont été, en outre, adressées, le 18 avril dernier, par l’agence, au cabinet du ministre, mais aucune suite ne leur a été donnée.
Pour revenir sur les propos des responsables précités qui craignent l’échec de la loi de finances complémentaire, il y a lieu de rappeler que le gouvernement d’Ali Laarayedh a dû suspendre les redevances prévues dans le cadre de la loi de finances 2014, sous la pression d’un large mouvement de protestations qui s’est déclenché au début de l’année 2014 dans plusieurs régions du pays.
Absence de calendrier
Les deux principaux partenaires sociaux du gouvernement, en l’occurrence l’UTICA et l’UGTT, affirment qu’aucun calendrier ou échéancier n’a été fixé pour la préparation, l’examen et l’adoption de la loi de finances rectificative. Aucune orientation n’a été publiée et aucune rencontre n’a eu lieu sur cette question avec les partenaires sociaux comme il en a été le cas avec les gouvernements précédents dans le cadre du Conseil supérieur de la fiscalité, a affirmé, à TAP, Taoufik Laaribi, membre du bureau exécutif de l’Organisation patronale.
De son côté, Karim Trabelsi, expert économique auprès de l’UGTT, a rappelé qu’une commission conjointe (groupant cadres du ministère des finances et représentants des organisations non gouvernementales) se réunissait auparavant pour examiner certains aspects du budget. Elle a même pu publier le budget citoyen (paru début 2014) et apporter des améliorations au niveau du budget des municipalités.
Pour cet économiste, le pouvoir exécutif profite de la marge de manœuvre qui lui a été offerte par le législateur dans ce domaine. Car si la loi organique du budget a prévu des échéances pour ce qui est de la préparation et l’examen de la loi de finances ordinaire, les coudées ont été laissées franches au gouvernement pour ce qui est de la préparation et l’examen d’une loi de finances complémentaire. Une «telle faille juridique» a déjà été exploitée par le gouvernement provisoire de Laarayedh, pour ne présenter la loi de finances complémentaire 2013 et la transmettre à l’ANC qu’en octobre 2013, a-t-il rappelé à TAP.
Attente de la clarification de certains indicateurs
Selon Trabelsi, le retard enregistré en matière de préparation de la loi de finances complémentaire peut être expliqué par l’attente du gouvernement de pouvoir se fixer sur les prévisions de croissance, des financements étrangers (crédits, dons…) et du taux de change de dinar. Ces prévisions devraient servir dans la préparation de la loi de finances complémentaire et la détermination de plusieurs paramètres, a-t-il dit, précisant que selon la dernière révision de la croissance du FMI, le taux de celle-ci atteindra 3% en 2014 (un taux révisé à la baisse, puisque les chiffres prévisionnels tablaient sur une croissance de 3,7%).
Pour M. Trabelsi, le gouvernement attend également de pouvoir décaisser les crédits mobilisés après la visite du chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa aux pays du Golfe et aux USA afin de déterminer les prévisions en matière de recettes de l’emprunt.
Concernant le taux de change du dinar, les prévisions indiquent que celui-ci devrait s’établir à 1,77 dinar par rapport au dollar, a-t-il affirmé, précisant que chaque appréciation du dinar de 10 millimes permet de réduire le budget de compensation de 30 millions de dinars. Cette amélioration du taux de change du dinar et la hausse des recettes touristiques constituent les paramètres d’une conjoncture économique positive sur laquelle va tenter de jouer le gouvernement de M. Jomaa, prédit M. Trabelsi.
L’expert ne s’attend pas à une loi de finances complémentaire «révolutionnaire», selon ses termes, le chemin général devrait rester le même avec au programme, comme prévu, la réduction du budget de compensation, tout en essayant d’identifier des «niches budgétaires».
Pour sa part, le membre du bureau exécutif de l’UTICA et président de sa commission de la fiscalité, Taoufik Laaribi, a mis en garde contre une loi de finances complémentaire qui pourrait impacter «profondément» le système fiscal, précisant que si le projet se limite à une rectification de la répartition des recettes et des dépenses, il n’y a pas «matière à discuter». «Jusqu’à présent, les requêtes d’abandon de certaines taxes réduiront les recettes, il doit y avoir une solution de rechange», a-t-il dit, mettant l’accent sur l’importance de faire participer les organisations nationales à l’élaboration du projet de la loi de finances complémentaire. Une telle participation, a-t-il noté, permet d’enrichir le projet et partant de garantir son efficacité en plus d’un meilleur engagement quant à sa mise en œuvre.
Pour ce responsable, les projets de loi de finances “ne devraient pas être l’apanage du ministère des Finances qui est en charge également de la collecte des recettes fiscales et de l’application des lois en la matière, dont la sanction des contrevenants”.
Selon lui, il s’agit plutôt d’apporter des amendements à la loi organique du budget, de manière à obliger le ministère des finances à faire preuve de plus de transparence et à activer le rôle des organismes de contrepouvoir, telle la cour des comptes.
Il est également primordial que le pouvoir législatif, en l’occurrence, l’Assemblée nationale constituante (ANC) puisse jouer pleinement son rôle en matière de contrôle et de surveillance de l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du budget et de la loi de finances.
Par ailleurs, le gouvernement tunisien avait été déjà épinglé pour son manque de transparence en matière de gestion du budget de l’Etat par une organisation Internationale spécialisée dans ce domaine.
La Tunisie avait été classée 85ème sur 100 pays dans le classement international relatif à la transparence budgétaire, publié en 2013, par «International Budget Partnership» (IBP). Pour cette organisation, “le gouvernement fournit au public très peu d’informations sur le budget et les activités financières au cours de l’exercice budgétaire. Il est donc difficile pour les citoyens de tenir le gouvernement responsable de sa gestion des fonds publics”.