[06/05/2014 05:45:05] Paris (AFP) Vingt ans après son inauguration, le tunnel sous la Manche reste une prodigieuse aventure industrielle à laquelle ont participé 12.000 personnes et une épopée financière au goût encore amer pour des centaines de milliers de petits actionnaires d’Eurotunnel, aujourd?hui remonté de l’abîme.
Le 6 mai 1994, François Mitterrand et la reine Elizabeth II, réunis sous une pluie fine à Coquelles (Pas-de-Calais) pour couper le ruban inaugural, réalisent alors le rêve d’un tunnel entre leurs deux pays, vieux de plusieurs siècles. Une cérémonie officielle aura lieu mardi à Coquelles.
D’un point de vue technique, le plus long tunnel sous-marin qui s’étend sur 50 kilomètres, dont 38 percés sous la mer, est une prouesse. L’ouvrage a été consacré, en septembre dernier, “projet majeur de Génie civil des 100 dernières années” par la Fédération Internationale des Ingénieurs Conseils.
Mais les déboires d’Eurotunnel, la société exploitant le tunnel, ont presque réussi à faire oublier ce tour de force : bisbilles entre constructeurs et concessionnaire, surcoûts, et retards, qui se sont répercutés sur l’exploitation commerciale, tout cela a failli provoquer un naufrage.
Fin 1987, ils étaient des centaines de milliers de petits actionnaires à acquérir des titres Eurotunnel, vantés comme des placement de bon père de famille, et adossés à des prévisions de trafic qui ne seront pas atteintes.
Ce fut une descente aux enfers. 15 ans plus tard, l’action, introduite pour la première fois à 35 francs (5,34 euros) ne valait plus que quelques centimes. Assommé par une dette colossale, déchiré par des querelles entre direction et actionnaires, le groupe voit même la cotation de son action suspendue plusieurs mois, jusqu’à ce qu’un accord de restructuration financière soit trouvé dans la douleur et finalisé en 2007, premier pas vers la résurrection.
Bénéficiaire depuis 2007, le groupe versa le premier dividende de son histoire en 2009 (4 centimes par action). Il était initialement attendu en 1997.
A fin 2013, la dette était de 3,7 milliards d’euros. Eurotunnel, concessionnaire du tunnel jusqu’en 2086 et qui compte quelque 3.700 salariés, a dégagé un bénéfice net de 101 millions d’euros: “pour la première fois de l’histoire d’Eurotunnel, nous estimons que la situation du groupe est tout à fait satisfaisante”, s’était réjoui son PDG Jacques Gounon.
– Financement 100% privé –
L’idée de creuser un tunnel pour que l’Angleterre ne soit plus une île avait mûri dans de nombreuses têtes, dès la fin du 18ème siècle. Près de deux kilomètres de chaque côté avaient même été creusés à la fin du 19ème siècle.
Un premier projet avait été lancé dans les années 70, puis abandonné. Jusqu’à l’accord signé en janvier 1986 entre François Mitterrand et Margaret Thatcher. Le financement sera 100% privé, selon la formule de la Dame de Fer, “without a public penny” .
La concession est attribuée à Eurotunnel, et le contrat de conception, réalisation, mise en service, à un consortium de dix sociétés britanniques et françaises de travaux publics, regroupées sous l’étiquette TransManche Link (TML).
“Le siège d’Eurotunnel était installé à Sutton (sud de Londres). Nous avions une réunion tous les lundis. Je partais le matin, à bord d’un petit avion au début, puis en ferry”, se souvient Michel Lévy, directeur au sein du groupe d’ingénierie Setec, mis à disposition d’Eurotunnel avec son équipe pour s’occuper du projet côté français, et sur lequel il a travaillé à temps plein de 1986 à 1993.
Les travaux auront duré six ans et mobilisé 12.000 ingénieurs, techniciens et ouvriers qualifiés, pour creuser les trois tunnels – un pour chaque sens de circulation, et, au milieu, un tunnel de service – réaliser les deux terminaux, les montages électromécaniques, les essais et la livraison des premières navettes.
Uniquement ferroviaire, il n’accueille de véhicules qu’à bord des navettes, “car il est très difficile de ventiler un tunnel. (…) Pour 50 kilomètres de longueur c’est quasiment impossible”, explique Michel Lévy.
Les onze tunneliers de 1.000 tonnes qui ont creusé les galeries ont commencé plutôt lentement côté français, compte tenu de la géologie, et été ralentis par des infiltrations d’eau côté britannique.
Avant de se rejoindre pour la première fois dans le tunnel de service, en décembre 1990. Un ouvrier britannique et un ouvrier français se serrent la main à 100 mètres sous la mer.
L’ouverture du tunnel sera progressive, navettes pour poids-lourds, trains de marchandises, navettes pour voitures, et enfin les TGV Eurostar, filiale de la SNCF, le 14 novembre 1994.
Depuis ses déboires financiers, le groupe s’est agrandi, avec la création de l’opérateur de fret ferroviaire Europorte en 2009. Il a également réalisé le centre commercial La Cité de l’Europe à Coquelles, et a en projet la création d?un site éco-balnéaire et d?un complexe de golf à Sangatte-Blériot. Côté anglais, il a utilisé 6 millions de m3 de déblais extraits de la construction pour créer la réserve naturelle de Samphire Hoe.
Le tunnel, qui a coûté 15 milliards d?euros, a été emprunté par 330 millions de passagers. Voie de chemin de fer la plus utilisée au monde, jusqu’à 400 trains y circulent les jours de pointe.