Le “patriotisme économique”, un acte légitime mais un pari risqué

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à Paris (Photo : Patrick Kovarik)

[15/05/2014 16:28:01] Paris (AFP) La décision d’étendre le nombre de secteurs où des investissements étrangers seront soumis à l’approbation du gouvernement est légitime mais risquée quand on souhaite attirer les capitaux étrangers tout en protégeant son industrie, selon des économistes.

Dans un décret publié jeudi au Journal officiel, la France se dote d’un droit de veto sur d’éventuels investissements étrangers trop agressifs dans ses entreprises stratégiques, en les soumettant à l’autorisation préalable du gouvernement.

En plus des secteurs de la défense, des jeux d’argent et des technologies de l’information pour lesquels cette possibilité existait déjà, ce sont l’énergie, les transports, l’eau, les télécoms et la santé qui sont désormais concernés.

C’est au nom du “patriotisme économique”, a expliqué le ministre de l’Economie Arnaud Montebourg, que ce décret a été rédigé, parce que “l’Etat a son mot à dire” dans ces domaines stratégiques, a précisé Matignon jeudi.

Une décision qui a surpris alors que les négociations pour l’acquisition d’une partie du groupe français Alstom par l’américain General Electric sont toujours en cours et que le gouvernement a encouragé la candidature concurrente de l’allemand Siemens.

“Il ne faut pas effrayer les investisseurs étrangers parce qu’ils jouent déjà un rôle important dans la croissance de l’économie française”, a souligné l’économiste Alberto Balboni.

“Il ne faut pas non plus inciter les autres pays à prendre des mesures de représailles parce que les groupes français sont très implantés à l’étranger d’où ils tirent une grande partie de leurs bénéfices”, s’est inquiété le spécialiste de relations économiques extérieures de Xerfi.

Pour Philippe Martin, professeur au département d’économie de Sciences Po, le risque est en effet grand de décourager les investisseurs étrangers que François Hollande avait pourtant réunis en grande pompe à l’Elysée le 17 février dernier.

“La stabilité juridique sur le droit de propriété est assez fondamentale pour un investisseur étranger”, observe l’économiste, estimant que cela envoyait “des messages très contradictoires”.

– Se prémunir d’une répétition –

“On ouvre la porte à l’incertitude sur la possibilité d’introduire à l’avenir de nouveaux secteurs, renchérit M. Balboni: pourquoi pas demain le secteur agroalimentaire?”

Mais il rappelle néanmoins que “des mécanismes d’intervention de même nature sont déjà prévus aux Etats-Unis” et que l’on pourrait donc voir dans ce décret “une mise à niveau de l’instrument institutionnel français”.

Sauf que, selon lui, la “manière américaine est à la fois plus flexible et moins effrayante pour l’investisseur étranger”. Aux Etats-Unis, “on se laisse la liberté d’intervenir sur n’importe quel secteur mais sous condition que l’investissement va affecter les questions de sécurité nationale”.

Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, nuance ce constat. Pour lui en effet, “pour signer un contrat important avec la Chine ou l’Inde, l’entreprise française doit s’engager à des transferts de technologie, à de la production sur place, etc.”, argumente-t-il.

Ce décret “dit aux entreprises étrangères qu’elles peuvent venir en France mais on va vérifier que ce n’est pas pour démanteler nos industries, pour chiper les brevets ou les clients”, détaille-t-il.

Et à ceux qui critiquent l’intervention du gouvernement pour changer les règles en plein milieu de la négociation sur Alstom, M. Sterdyniak répond: “Le gouvernement français a été très choqué de ne pas être prévenu des négociations, de voir que ça allait se faire sans qu’il soit prévenu”.

“Il se prémunit de la répétition d’une telle opération”, ajoute-t-il, “c’est légitime”.

“En termes de pédagogie le gouvernement, même en période préélectorale, devrait insister sur les bienfaits des investissements internationaux dans l’économie mondiale et en l?occurrence des investissements étrangers sur l’économie française”, estime M. Balboni.

Il rappelle que, selon les derniers chiffres d’Eurostat, en 2010 les groupes étrangers représentaient 11% de l’emploi en France et 22% des effectifs de l’industrie, ainsi que 31% de l’investissement total.