Un constat historique: les gouvernements qui se sont succédé, depuis l’accès du pays à l’indépendance, n’ont jamais eu le courage d’engager de véritables réformes sur la compensation, mettant constamment en danger les équilibres budgétaires de l’Etat. Les ministres des Finances qui s’étaient relayés ont eu la tendance improductive, soit à élargir la gamme des produits subventionnés, soit à en augmenter les prix, provoquant, la plupart du temps, des mécontentements populaires dramatiques. Les Tunisiens ont encore à l’esprit la révolte du pain de 1984.
Pis, cette incapacité de nos gouvernants à trouver, des décennies durant, une alternative radicale à la compensation, n’a généré que des pratiques encore plus onéreuses pour la communauté nationale. Il s’agit en particulier du gaspillage, de la contrebande vers les pays limitrophes et de l’iniquité du système, lequel, conçu au départ pour venir en aide aux pauvres, profite, jusqu’à ce jour, plus aux gens riches, aux touristes et autres aisés qu’aux démunis.
A aucun moment nos financiers, grisés par les solutions de facilité précitées et jouissant de l’impunité totale, n’ont daigné imiter voire s’inspirer des expertises développées dans d’autres pays comparateurs aux fins de maîtriser, d’abord, le coût budgétaire de la compensation, et de la supprimer, ensuite, définitivement.
Conséquence: la Tunisie est, hélas, toujours à la case de départ, c’est-à-dire celle-là même qui consiste à subventionner les prix des produits largement consommés par la population, soit pour aider les pauvres, soit pour faire face à des augmentations imprévues des prix du marché (cas notamment des carburants).
Ces pays qui ont osé réformer la compensation
Pourtant, certains pays comme l’Iran, le Maroc, le Mexique, l’Indonésie ont osé, par le biais de réformes progressives, s’attaquer avec courage à cette problématique. Les résultats, qui ont varié d’un pays à un autre, ont eu pour avantage majeur d’avoir enclenché une dynamique irréversible visant la suppression de la compensation.
L’expertise du Mexique mérite qu’on s’y attarde un peu en raison de son succès. En voici les moments forts:
En 1995, le Mexique a décidé d’opter pour une nouvelle stratégie en matière de réduction de la pauvreté. Le pays a commencé par éliminer, graduellement, les subventions alimentaires généralisées (maïs, farine de maïs, tortillas de maïs, blé, farine de blé, pain…) et les subventions alimentaires ciblées (lait, tortillas, panier de nourriture, magasins de distribution).
En 1997, «un programme de transferts conditionnés en espèce», baptisé Progresa, a été créé. En vertu de ce programme, ne peuvent bénéficier des subventions que ceux qui s’engagent à envoyer leurs enfants à l’école publique et les encouragent à se faire soigner dans les hôpitaux publics.
En 2000, le programme change d’appellation et devient «Oportunidades». Pour un coût annuel de 3,3 milliards de dollars, soit l’équivalent du budget alloué actuellement à la compensation en Tunisie (plus de 5 milliards de dinars), Oportunidades profite, aujourd’hui, à cinq millions de familles vivant dans 90.000 communes (25% de la population).
Mieux, ce programme est accompagné d’un système de contrôle des fraudes et détournements, système qui a permis, selon les institutions de Bretton Woods, de faire des économies aux forts taux de 20 à 30%.
Les résultats ne se font pas attendre
Dix ans après son lancement, Oportunidades a été évalué par une enquête menée par des chercheurs indépendants sur 24.000 ménages. L’impact sur l’éducation et la santé des pauvres a été particulièrement positif. Au plan de la santé, la fréquentation des centres de santé a augmenté de 18%, la mortalité infantile (0 à 2 ans) a reculé de 22%, les jours de maladies chez les adultes a baissé de 17%.
Au rayon de l’éducation, grâce aux bourses octroyées aux lycéens, le taux de scolarité a augmenté de 26% en milieu rural et 6% en milieu urbain tandis que la taux de réussite en fin de collège a cru de 23%.
Autres résultats et non des moindres, à la faveur de ce programme, les subventions alimentaires ont progressivement disparu, résultat de la disparition des bénéficiaires par l’effet de la révision régulière de la durée de l’éligibilité à Opotunidades et de l’amélioration de la situation sociale des personnes ciblées.
A signaler, également, l’amélioration du ciblage devenu plus efficient et plus précis, notamment pour les ménages extrêmement pauvres.
La compensation n’est pas une fatalité
Globalement, la méthodologie suivie s’est avérée beaucoup plus efficace que le ciblage géographique. Cette méthodologie rappelle celle du calcul de l’Indice du développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Cette méthodologie ne calcule pas la pauvreté des gens en termes monétaires (montant monétaire requis pour survivre au quotidien), mais en termes de misère humaine (non accès à l’éducation, aux soins et aux prestations administratives).
Last and not least, l’avantage de l’expertise mexicaine réside dans le fait qu’elle ne traite pas la compensation comme une fatalité mais comme une problématique conjoncturelle gérable et remédiable, et ce pour peu qu’on suive la bonne politique. A preuve, l’exemple mexicain.