Les livraisons de gaz russe à la Chine n’assécheront pas l’Europe

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ésident russe Vladimir Poutine (g) et le président chinois Xi Jinping, le 21 mai 2014 à Shanghaï (Photo : Mark Ralston)

[22/05/2014 14:00:00] Paris (AFP) Les flots de gaz russe qui devraient irriguer la Chine dès 2018 n’assécheront pas l’Europe, dépendante de la Russie pour plus du quart de ses importations de gaz, estiment des spécialistes, alors que le Vieux Continent s’inquiète d’une interruption des livraisons de Moscou sur fond de crise ukrainienne.

“Cela ne changera pas la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Europe: il y a tellement de gaz en Russie qu’elle pourrait très bien alimenter non seulement l’Europe, mais aussi la Chine et d’autres pays encore”, relève Samuele Furfari, maître de conférences en géopolitique de l’énergie à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).

Le géant énergétique chinois CNPC et le russe Gazprom ont signé mercredi un énorme accord de fourniture évalué à 400 milliards de dollars, les liant pour 30 ans à partir de 2018.

Le volume livré à la Chine augmentera progressivement jusqu’à 38 milliards de m3 par an, moins que les espoirs de vente de Moscou (60 milliards de m3), et bien en deçà des 160 milliards de m3 vendus chaque année à l’Europe.

Cet accord intervient après une décennie de pourparlers, mais aussi comme un pied de nez à l’Europe, après que la Commission européenne a appelé Moscou à respecter son “engagement” de poursuivre les livraisons de gaz à l’Europe, alors qu’une menace russe de coupure plane sur les approvisionnements à l’Ukraine.

“C’est plus un signe symbolique envoyé par la Russie à l’Europe, pour lui dire qu’elle a d’autres options” pour écouler son gaz, estime Guy Maisonnier, économiste à l’organisme de recherche français IFP EN.

Mais ce contrat répond aussi à une logique économique. Pékin voulait garantir et diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique, tandis que Moscou était désireux de d’assurer pour Gazprom des débouchés sur le gigantesque marché chinois.

Selon des chiffres officiels, la Chine – premier pays consommateur d’énergie du monde – a importé l’an dernier 53 milliards de m3 de gaz naturel, soit un bond de 25% sur un an. Son gaz, liquéfié, vient principalement du Qatar et d’Australie.

“En Europe, il n’y a plus de croissance de la demande gazière, et on peut même imaginer que la décroissance de la demande énergétique, si on veut privilégier des énergies plus vertes, va se poursuivre”, explique Thierry Bros, analyste des marchés gaziers européens chez Société Générale. “Pour les Russes, qui sont assis sur une des deux plus grosses réserves gazières au monde, la solution est donc de se tourner vers l’Asie”.

– ‘Fantasme’ –

Pour autant, la Russie aura toujours besoin de vendre son gaz à l’Ouest, à qui elle est surtout liée par des contrats de livraison de long terme, de 20 ans ou plus, à des prix plus attractifs que ceux qui seront pratiqués en Chine.

Pas de risque d’arbitrage donc, entre une vente aux Européens ou une vente aux Chinois.

“Il faudra construire un gazoduc dans les quatre prochaines années pour remplir ce contrat et le gaz proviendra de la Sibérie orientale, alors que le gaz exporté en direction de l’Europe provient de la Sibérie occidentale”, notent des analystes du courtier Aurel BGC.

Pékin refuse d’ailleurs que ses livraisons de gaz russe proviennent de gisements de l’ouest de la Russie, afin de garantir sa sécurité d’approvisionnement.

“Les Russes ont accepté de dédier des champs spécifiques et nouveaux pour les Chinois”, explique Thierry Bros. “L’Europe dispose elle aussi de champs dédiés, largement sous-utilisés. Le risque (d’une rupture d’approvisionnement), je ne le vois pas se matérialiser, ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain. Gazprom pourrait nous envoyer presque le double des volumes dont on a besoin aujourd’hui, sans investissements supplémentaires”.

Même le boom du gaz de schiste aux Etats-Unis, qui se traduira par des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) dans quelques années, ne devrait pas changer la donne de cette interdépendance russo-européenne.

“Le GNL américain, c’est un grand fantasme”, estime M. Bros. “Il n’y en aura pas avant 2016 et les Américains produiront au mieux 20 milliards de m3 de GNL, des volumes insuffisants pour remplacer tout le gaz russe”.

Cette production supplémentaire servira surtout à étancher la soif de GNL de l’Asie, et particulièrement du Japon, privé de ses réacteurs nucléaires depuis la catastrophe de Fukushima. Les prix y ont bondi, et “une fois dans le bateau, le gaz américain ira où il sera possible de gagner le plus d’argent”, prédit Samuele Furfari.

Tout au plus, le gaz américain donnerait davantage de marge de manoeuvre aux Européens pour négocier dans quelques années le renouvellement de leurs contrats de long terme avec la Russie, estime-t-il.