Chroniques hasardeuses : Tunisie, le pays où règne l’à-peu-près!

const-24052014.jpgL’épisode
de l’adoption par l’ANC, lundi 19 mai, de la liste des 15 membres de l’Instance
vérité et digité qui sera appelée à piloter tout le processus de la justice
transitionnelle depuis 1955, est fort éloquent d’une tare de notre société,
celle du règne de l’à-peu-près. Du ni blanc ni noir, ni bon ni méchant! Pour
preuve, on en a plusieurs!

Voilà une instance de la plus haute importance politique et sociale, devant le
fait de l’inexistence d’un large accord caractéristique de la composition
actuelle de l’ANC, on se tourne vers le processus d’entente entre les blocs.
Nous n’avons pas d’autre choix! Cependant, des noms importants, et non des
moindres, soulèvent des critiques virulentes.

Khemais Chammamri, malgré une vie passée en opposition, se voit contesté parce
qu’il était membre d’un Parlement de Ben Ali en 1995 bien qu’il ait affirmé
avoir été démissionné avant même de siéger et jeter en prison!

Sihem Ben Sedrine, autre candidate à l’instance, traîne une série de casseroles
dont l’affaire de Radio Kalima n’est que la dernière, bien que son passé de
militante farouche contre Ben Ali soit connu!

Khaled Krichen, solide militant nationaliste arabe connu, est critiqué parce
qu’il était membre de la direction du Mouvement Chaab et la loi exige la non
appartenance partisane!

La liste passe quand même, et ainsi, à défaut de ne pas avoir une instance, on
en a une qui démarre son travail avec les contestations et qui les traînera
ensuite bien sûr! Une instance à-peu-près bonne!

Ne nous arrêtons pas là. Voyons les derniers soubresauts du week-end chez Nida
Tounes. Le parti est tiraillé depuis une semaine entre des factions rivales, et
l’enjeu de pouvoir est de grande taille pour le parti mais également pour le
pays où Nida constitue pour l’instant le seul rempart contre une autre victoire
des islamistes de Rached Ghannouchi. Au lieu de trancher dans un sens ou dans
l’autre clairement et une bonne fois pour toutes, voilà qu’un congrès est
programmé dans un mois sans aucune préparation et contre l’avis d’éminentes
personnalités comme Ridha Belhaj ou encore Taieb Baccouche. Un congrès encore
dans l’à-peu-près!

La guerre éclate entre factions libyennes vendredi à Benghazi. Il y a les
terroristes d’Ansar Chariaa, il y a les troupes du colonel Haftar qui les
combattent, il y a le fictif pouvoir du Congrès général national et nos intérêts
et nos compatriotes kidnappés?! Là la Tunisie parle! Et comment! Le président
provisoire se précipite au téléphone pour soutenir un certain Bousahmeine que
personne en Libye ne considère. Le mouvement Ennahdha crie encore une fois au
putsch et stigmatise un scénario égyptien à l’œuvre … c’est à-peu-près la même
chose! Oui peut-être!

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin et voyons cette «grande trouvaille» du
gouvernement Jomâa appelée «le Dialogue national économique»! Déjà l’idée en
elle-même est saugrenue pour le plus néophyte des politiciens. Créer un
consensus sur la chose économique entre des libéraux, des socialistes, des
islamistes, des marxistes, c’est de l’ordre de la quadrature du cercle. Dans
leur volonté de paraître faire quelque chose, les conseillers du chef du
gouvernement nous ont inventé ce dialogue. Directement, dans les commissions de
préparation c’est la foire!

Tiraillé entre la logique des syndicats, celle des patrons et la multitude des
approches partisanes, le «dialogue» se terminera sûrement comme beaucoup
d’autres choses, dans l’à-peu-près!

A quoi tient donc cette tendance chez les Tunisiens? On ne fait les choses qu’à
moitié. Notre révolution n’en est pas une. Nos islamistes ne sont pas assez
islamistes, nos laïcs font la moitié du chemin et disent «astaghferollah!» tout
de suite après. Nos citoyens s’abreuvent de bière et votent pour Ennahdha en
masse!

On est à-peu-près certains d’une chose: on est en Tunisie!