Alors que la Libye s’enfonce inexorablement dans la guerre civile, que fait l’Union du Maghreb Arabe? Rien ou presque. Le Rassemblement dont Tripoli est pourtant membre fondateur depuis plus de vingt-cinq ans fait la sourde oreille. A part une déclaration restée sans effet du secrétaire général de l’UMA, le Tunisien Habib Ben Yahia appelant à une réunion des ministres des Affaires étrangères pour entreprendre des «bons offices» entre les belligérants du drame libyen, on est étonné par le silence assourdissant de tous les Etats voisins.
Croyez-vous si demain Malte ou la Slovénie, deux des plus Etats de l’Union européenne connaissaient des problèmes internes, on verrait les autres membres de l’UE faire comme si de rien n’était? Au contraire, ce sera le branle-bas de combat et tous se ligueraient pour arrêter l’incendie.
Que voit-on? L’Algérie est empêtrée dans ses problèmes domestiques avec un projet de réforme constitutionnelle qui essayera de ramener le pays à l’avant-Bouteflika lorsque les mandats présidentiels étaient limités à deux et le chef de gouvernement avait quelques prérogatives.
Impuissant du fait de la maladie, le chef de l’Etat algérien laisse faire l’armée qui, elle, veut marquer son terrain dans la bataille de succession déjà ouverte. Puis, ce qui se passe en Libye, c’est le fruit de ce «printemps arabe» provoqué par les grandes puissances qui doivent, elles, corriger ce qu’elles avaient contribué à casser.
Sahara occidental vs conflit libyen
Le Maroc est, lui, loin puisqu’il n’a pas de frontières communes avec la Libye. Ayant profité de ce même printemps tout en ayant la présence d’esprit d’en prévenir les effets négatifs par l’entremise d’une Constitution octroyée par la monarchie qui ne limite pas pour autant son champ d’action, Rabat a d’autres chats à fouetter. C’est la bataille pour la «marocanité» du Sahara Occidental qu’elle livre au Front Polisario, dont il estime que c’est un jouet entre les mains de l’Algérie, qui lui importe le plus. Le Roi Mohammed VI vient de passer dans le territoire pourtant disputé de longues semaines en tenant à y recevoir des dignitaires étrangers provoquant le courroux de l’Algérie.
C’est donc le conflit sur le Sahara, «occidental» d’un côté, «marocain» de l’autre, qui focalise l’intérêt des deux plus grands pays de la région du moins en ce qui concerne le poids démographique. Si bien que même la résolution du Conseil de Sécurité votée à l’unanimité fin avril pour la reconduction de la MINURSO, la Mission d’observation de l’ONU, est considérée paradoxalement comme une victoire pour l’un comme l’autre des deux pays. Alger y remarquant qu’elle faisait allusion à la «décolonisation» et à «l’autodétermination», alors que Rabat y voit une reconduction pure et simple puisque cette mission n’était pas, comme elle le craignait, investie de la responsabilité d’observer les droits de l’Homme dans cette province.
La bourde de trop de Marzouki
Quant à la Tunisie, sa diplomatie «à deux têtes» ne lui permet pas d’avoir voix au chapitre. En effet, le président provisoire, Moncef Marzouki -qui n’est pas à une bourde près- s’est empressé de téléphoner au président du Parlement libyen, Nouri Bousehmine, pour lui dire que la Tunisie se tient aux côtés de la légitimité que représentait cette Assemblée; alors que celle-ci est partie du problème et non de la solution dans le pays voisin.
Lors de la première tentative du Général à la retraite, Khélifa Haftar, le président provisoire avait eu la même attitude. Sauf que cette fois-ci les choses ne se présentent pas de la même façon, et l’officier supérieur libyen semble rassembler autour de lui toutes les forces hostiles aux milices islamistes qui se partagent le pouvoir en Libye.
Mongi Hamdi, équilibriste
De son côté, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, écartelé, fait de l’équilibrisme surtout qu’il a sur les bras deux diplomates otages en Libye et dont le sort est plus que jamais incertain. Il a ressorti son initiative de dialogue inter-libyen appelée cette fois-ci «Conférence de Haut niveau sur la Libye» avec les pays du voisinage (maghrébin, méditerranéen et européen) en présence des Etats-Unis, tous convoqués pour le 2 juin à Tunis avec en prélude une réunion des ministres des Affaires étrangères maghrébins «pour coordonner leurs positions».
Mais point de Sommet maghrébin à l’horizon comme on aurait pu l’espérer. Il faut dire que cela fait plus de vingt ans que la «conférence des chefs d’Etat de l’UMA» ne s’est pas tenue. Depuis le sixième sommet de Tunis en avril 1994. En 2002 et 2003, le secrétaire général de l’UMA de l’époque, feu Habib Boularés, était à deux doigts de réussir son pari. Mais c’était sans compter le conflit des «egos».
Ainsi, en juin 2002, c’était Bouteflika qui avait reporté la réunion à 48 heures de sa tenue chez lui. Lui rendant la monnaie de sa pièce, Kadhafi mit son veto au Sommet d’Alger en décembre 2003, alors qu’on était à la veille de l’arrivée des chefs d’Etat.
Prévu de nouveau en mai 2005 à Tripoli, il est cette fois-ci «remis aux calendes grecques». Profondément blessé, M. Boularès rendit son tablier l’année d’après.
Les cinq libertés de Marzouki pour les Maghrébins
Il a fallu attendre que Marzouki investisse le palais de Carthage pour qu’on entende reparler du sommet de l’UMA. Deux mois à peine après sa prise de fonction, en février 2012, l’une de ses premières lubies fut de convoquer un sommet maghrébin à Tunis en octobre 2012. Il alla plus loin en décrétant de façon unilatérale les «cinq libertés» aux ressortissants de l’UMA, y compris la participation des Maghrébins aux élections locales. Mal lui en prit puisque l’Algérie devait dénoncer sa démarche dans la minute qui suivit. Mais il ne s’avéra pas vaincu pour autant. En mai 2014, le ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, instruit certainement par le locataire de Carthage, propose à ses collègues lors de leur réunion à Rabat de tenir le sommet maghrébin à Tunis en octobre prochain. Sûrement surpris, ces derniers lui ont donné leur «accord de principe», mais à l’évidence l’accord tout court ne relève pas de leurs prérogatives.
Alors que la Tunisie serait à ce moment en pleine campagne électorale, puisque les élections –la présidentielle et les législatives- devraient avoir lieu avant la fin de l’année selon la Constitution, Marzouki n’en a cure. Puisque pour lui ce sommet serait à double détente. Quelle aubaine pour lui, le candidat à la présidentielle que d’être en mesure de réunir ses pairs à Tunis, une mission jusque-là impossible.
Adnane Mansar ne fait pas le poids…
Puis n’oublions pas que le président provisoire cherche coûte que coûte à imposer son poulain et directeur de son cabinet, Adnane Mansar, au poste de Secrétaire général de l’UMA. Le poste aurait dû se libérer depuis septembre 2013 et le mandat de Habib Ben Yahia a été prorogé en attendant qu’un consensus se réalise autour de son successeur.
La Tunisie estime que le poste lui revient de plein droit suite à un accord tacite obtenu au sommet de Marrakech en 1989, alors que les autres pays souhaitent que son titulaire soit désigné à tour de rôle entre les ressortissants des cinq Etats membres. Mais réellement Mansar fait-il le poids quand on voit que ses prédécesseurs furent des hommes de valeur et d’expérience comme Mohamed Amamou, Habib Boularès ou Habib Ben Yahia?
La Libye regardera-t-elle vers le Proche-Orient?
Dans tous les cas, l’Union du Maghreb est le grand absent du drame qui se profile en Libye. Si rien n’est fait, il est fort probable que la Libye regardera vers l’est, c’est-à-dire vers l’Egypte voisine et par delà le Proche et Moyen-Orient. Les vieux se souviennent qu’il avait fallu beaucoup d’effort et de persévérance en 1969 quand Kadhafi prit le pouvoir pour qu’il intègre l’ensemble maghrébin après avoir désespéré de toutes les tentatives d’union avec l’Egypte et le Soudan entre autres. L’histoire serait-elle un éternel recommencement