Allemagne : des seniors aux fourneaux pour les start-ups berlinoises

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à Berlin, le 8 mai 2014 (Photo : Pierre Bedouelle)

[28/05/2014 08:08:36] Berlin (AFP) Il est 12H30, une douce odeur de cuisine envahit les locaux de Neofonie Mobile. Il va être l’heure pour les 35 salariés de cette entreprise d’informatique berlinoise de déguster le repas préparé par Angela Runge, 63 ans, la “mamie start-up” récemment embauchée.

La sexagénaire dresse le buffet avec des plats qu’elle a cuisinés chez elle. Le repas se déroule dans une atmosphère détendue, on est assis sur des bancs autour de tables pliantes, mais la vaisselle est de la faïence blanche, pas du carton. On n’est pas en pique-nique!

Mme Runge vient une fois par mois nourrir le jeune personnel de cette entreprise qui conçoit des programmes (“apps”) pour téléphones mobiles.

Comme elle, de plus en plus de seniors ou retraités sont embauchés par les entreprises soucieuses de mélanger les générations et encourager le partage d’expériences, dans un pays qui, à la différence de nombreux pays européens, ne connaît pas le chômage.

– “Montrer ce que c’est de bien manger” –

“Je suis contente de pouvoir montrer à ces jeunes gens ce que c’est que bien manger”, explique Angela Runge. “La très grande majorité d’entre eux sont des jeunes hommes célibataires, la cuisine, c’est pas leur truc”.

Pour relever le double défi d’assurer la relève de sa main d’oeuvre et de financer le système des retraites, l’Allemagne encourage les seniors à rester sur le marché du travail et a relevé en 2007 à 67 ans l’âge de la retraite. Une réforme adoptée la semaine dernière permet toutefois à certains salariés de prendre leur retraite à 63 ans.

Stefan Gerstmeier, directeur exécutif de Neofonie Mobile, a eu l’idée de chercher par petite annonce un ou une retraité(e) pour concocter un repas mensuel, après avoir entendu parler de cas similaires dans d’autres entreprises du secteur.

“Pour nous, cela permet de créer un rendez-vous convivial une fois par mois et de soigner l’ambiance de travail”, poursuit Stefan Gerstmeier.

“On a fait un repas-test pour départager les candidats. Avec Angela, tout correspondait à ce qu’on souhaitait, la nourriture, mais aussi sa personnalité”, explique-t-il.

Ce mois-ci, Angela Runge a choisi d’illustrer le thème du printemps: soupe, salade avec des fleurs comestibles, tarte à la truite et les asperges-pommes de terre vapeur. En dessert, elle a préparé de la panna cotta, avec des fraises.

Mme Runge, qui travaille par ailleurs comme traductrice/interprète anglais/allemand et comme aide à domicile auprès de familles de malades, reçoit cinq euros par mois et par personne à nourrir pour préparer son menu, plus un petit salaire dont elle ne veut pas préciser le montant.

“Si je regarde le temps que ça me prend, c’est moins que le SMIC horaire (8,50 euros). Cet argent est le bienvenu, mais je ne fais pas ce travail seulement pour ça”, précise Angela Runge.

Une retraite sur deux est inférieure à 700 euros par mois, ce qui s’explique aussi par la forte proportion du travail à temps partiel féminin.

Plus d’un million d’Allemands retraités travaillent encore, soit 5% d’entre eux, selon les derniers chiffres disponibles. Leur nombre a grimpé de 30% depuis 2003.

Quelque 800.000 d’entre eux occupent un mini-job, des contrats précaires, dont les revenus sont plafonnés à 450 euros par mois, auxquels s’ajoutent 170.000 personnes travaillant avec des contrats plus classiques. Et encore, les statistiques officielles ne comptabilisent pas tous ceux qui sont à leur compte.

“Selon une étude qui n’a pas encore été publiée, 40% des séniors veulent continuer à travailler après leur retraite”, indique à l’AFP Jürgen Deller, professeur à l’Institut de gestion du personnel de l’Université de Lunebourg (nord).

Et si l’argent est un moteur incontestable, “beaucoup le font parce qu’ils ont envie de s’engager. Ils le font pour le contact social, pour être utiles, pour transmettre leur expérience. Les raisons purement humaines sont au centre de leur volonté de continuer à travailler”, ajoute-t-il.

“De nos jours, on est beaucoup plus en forme et capable de travailler après 65 ans qu’on ne l’était il y a vingt ans”, rappelle aussi le professeur Deller. Les personnes âgées seront un vivier pour les entreprises, surtout petites et moyennes, en mal de main d’oeuvre.

A condition toutefois aussi que la société “s’adapte à cette nouvelle donne”, poursuit-il, prônant notamment de nouvelles formes de contrat et d’organisation du travail plus souples, pour s’adapter aux besoins des entreprises et des séniors.