Les syndicats ont lancé une initiative de loi proposant l’introduction d’un salaire minimum en Suisse de 22 francs par heure, soit 4.000 francs par mois (7.250 dinars), sur la base de 42 heures de travail hebdomadaire. Ce salaire équivaut à 61% du salaire médian (le milieu de l’échelle salariale) en Suisse. Il serait indexé sur l’évolution des salaires et des prix. Le but de l’initiative est de combattre la pauvreté et la pression à la baisse des salaires.
Ayant obtenu un nombre suffisant de signatures, l’initiative a été soumise, le dimanche 18 mai 2014, au vote populaire (référendum), dans le cadre de la démocratie directe qui distingue le système politique suisse.
Avant sa soumission au peuple, l’initiative avait été rejetée par le gouvernement et le Parlement. Le peuple l’a rejetée à son tour en votant à 76,3% contre.
Quel gouvernement et quel peuple sains d’esprit rejetteraient une telle aubaine, surtout pour les défavorisés?
Regardons de plus près.
Le gouvernement et le Parlement approuvent l’objectif de la proposition qui vise à réduire la pauvreté; mais, ils considèrent qu’un salaire légal minimum ne permet pas de l’atteindre, comme nous allons l’exposer.
La situation économique de la Suisse est bonne. Le taux d’emploi est élevé et le chômage à 3,2%, au mois d’avril 2014, est très faible.
Les salaires sont soit négociés par les partenaires sociaux (patronats et syndicats), par branche d’activité ou pour une entreprise, soit convenus individuellement entre l’employeur et l’employé. Les négociations collectives sont concrétisées par des conventions collectives qui, dans la plupart des cas, établissent un salaire minimum qui peut différer selon la situation économique de la branche et de l’entreprise, et d’une région à une autre. De plus, les salaires minimaux, au sein d’une même convention, se différencient en fonction des exigences du travail, des qualifications requises et de l’ancienneté.
Les partenaires plus aptes que l’État pour déterminer les salaires appropriés
Délibérément, l’État n’intervient pas dans ces négociations et conventions, laissant les intervenants, selon l’offre et la demande, déterminer les salaires et autres rémunérations dans l’économie privée. Les partenaires sont mieux placés que l’État pour déterminer les salaires appropriés, sans mettre la compétitivité (et donc les emplois) en danger.
La faible intervention de l’État sur le marché du travail -eh oui, c’est un marché!- a fait ses preuves et produit un niveau salarial (donc de vie) et un taux d’occupation élevé, en comparaison internationale (61% du salaire médian équivaut à 7.250 dinars!).
Quelques 9% de tous les emplois (dont le salaire mensuel est inférieur à 4.000 francs) seraient touchés par la proposition.
Le salaire minimum, à part d’être très élevé, en comparaison internationale, risque de faire disparaître des emplois dont le salaire actuel est en dessous du minimum proposé. Les personnes qui ont déjà des difficultés à trouver un emploi risquent d’en avoir plus.
Les petites et moyennes entreprises seraient plus touchées par le salaire minimum, vu que les salaires inférieurs à 22 francs par heure y sont plus fréquents que dans les grandes entreprises.
L’initiative aurait aussi un impact plus grand dans la région du Tessin (région de langue italienne) et dans les régions touristiques et agricoles que dans les centres urbains où les salaires sont généralement plus élevés.
Plus souvent, ce sont des femmes, des personnes sans formation et des jeunes en début de vie professionnelle qui occupent les emplois dont le salaire est inférieur au minimum proposé. Les salaires bas sont souvent temporaires, en début de carrière; avec l’avancée de l’âge et l’accumulation de qualifications et d’expérience professionnelles, le salaire augmente, en général, en dessus du minimum proposé (ce qui est attesté par la faible incidence de 9% des salaires en dessous du minimum proposé).
Donc, les petites entreprises, les zones les moins prospères et les travailleurs les plus vulnérables seraient les plus défavorablement touchés, précisément les groupes que l’initiative prétend vouloir aider. L’effet serait, donc, l’inverse.
Pourquoi 22 francs de l’heure, qui serait le salaire minimum le plus élevé au monde, et pas plus ou moins? Ce choix arbitraire détermine les salaires qui sont jugés bas, en comparaison, mais pas forcément dans l’absolu ou en comparaison internationale ou européenne.
Un salaire inférieur au minimum proposé n’est pas nécessairement synonyme de pauvreté
En Suisse, percevoir un salaire inférieur au minimum proposé n’est pas nécessairement synonyme de pauvreté. Souvent, au sein du même ménage, d’autres travailleurs contribuent au revenu du ménage. Les ménages à bas revenu bénéficient en outre d’un soutien social ciblé. Une étude statistique officielle a relevé qu’en 2006, 13% seulement des personnes à bas salaire vivaient dans un foyer dont le revenu était situé en dessous du seuil de pauvreté.
Le marché du travail, le système fiscal (déductions sociales et progressivité des impôts) et d’importantes prestations sociales assurent une répartition des revenus plus équitable, en comparaison internationale.
Ainsi, on atteint mieux l’objectif de réduction de la pauvreté avec un emploi plus des allègements fiscaux et des aides sociales ciblées.
Le mérite de la démocratie directe
En résumé, le salaire minimum ne permet pas d’atteindre le but visé et risque de nuire à ceux qu’il vise à aider, notamment les jeunes et les personnes peu qualifiées. D’autres mécanismes et prestations en place donnent de meilleurs résultats, sans les inconvénients.
Beaucoup de Suisses ont découvert ces arguments et l’effet néfaste du salaire minimum, des hausses de salaires injustifiées par l’offre et la demande ou les gains de productivité, et de l’intervention superflue de l’État grâce à ce référendum, lors des débats qui l’ont précédé et à travers les arguments présentés.
Cette répercussion illustre le mérite de la démocratie directe qui, d’une part, implique le peuple dans les décisions politiques, responsabilise le citoyen, et évite les dérapages législatifs qui favorisent une minorité contre l’intérêt de la majorité, et, d’autre part, promeut la diffusion de l’information, le rapprochement des idées et des points de vue, et la prise de conscience collective.
La flexibilité du marché de l’emploi et de la législation de l’emploi, la souplesse de l’administration et du système économique, la liberté d’entreprise, la légèreté et la limitation de l’intervention de l’État, et sa concentration sur la prestation de services de qualité, utiles et fiables, ainsi que sur l’infrastructure, sont à l’origine du haut niveau d’emploi et d’activité économique; de la faiblesse du chômage, notamment chez les jeunes et les moins qualifiés, surtout en comparaison mondiale et même européenne; de la compétitivité du pays, malgré des coûts salariaux qui sont pratiquement les plus élevés au monde; du très haut niveau de vie; et de la prospérité qui contribue à la paix sociale et à une grande stabilité politique et institutionnelle.
Plus d’État ne signifie pas plus de prospérité
L’interventionnisme coûte cher en coût direct: bureaucratie coûteuse, gaspillage de ressources, impôts élevés qui réduisent le pouvoir d’achat et décourage l’initiative; et en coût indirects: obstacles à l’initiative, perte de temps et d’opportunité, et réduction de l’efficacité économique et de la compétitivité sans parler du chômage élevé et du niveau de vie bas.
Un minimum d’État, là où il en faut, est nécessaire. Mais, au-delà de ce minimum, plus d’État ne signifie pas plus d’ordre et de prospérité, mais plutôt le contraire, surtout pour un pays en développement, qui manque de savoir-faire, d’infrastructure et de moyens.
Cette analyse, ces arguments et ces conclusions ne sont pas uniques à la Suisse, ou à une économie avancée; ils s’appliquent à tout pays y compris la Tunisie. La question est pourquoi les Suisses sont sensibles à ce genre de raisonnement, alors que nous pas? Parce qu’ils l’ont entendu souvent et ont vu ses résultats en pratique.
Chez nous c’est l’inverse: un discours et des pratiques contraires ont donné des résultats contraires que nous sommes loin de vouloir réviser ou remettre en question. Un peu de curiosité, d’ouverture et de flexibilité (je dirai même de modestie), nous feraient du bien; elles nous permettraient de changer et d’évoluer et surtout résoudre nos problèmes avec de nouvelles solutions et formules, puisque les nôtres ont prouvé leur échec.
Qui est Fatah Mami ?
Né en 1960 à Ezzahra en Tunisie, Fatha Mami a fait ses études universitaires en sciences économiques, en mathématiques et en gestion aux Etats-Unis d’Amérique.
Il a travaillé en tant que consultant dans le conseil et l’audit de gestion, puis comme directeur d’une société de négoce international textile.
Il maîtrise 5 langues (arabe, anglais, français, espagnol et portugais).
Il a possède la nationalité tunisienne et suisse.
En août 2011, il a publié un livre intitulé «Tunisie.compagnie».
Voici le résumé de ce livre: Libre – Economie : «Tunisie.compagnie» ou un projet exhaustif pour une Tunisie compétitive.