Quels que soient la force de caractère d’un ministre, son génie managérial et ses compétences de technocrate et même de politicien confirmé, il ne pourrait jamais venir à bout des résistances tous azimuts en provenance aussi bien des syndicats, des acteurs de la société civile et des médias. Médias qui ont été conditionnés depuis 4 ans à ne focaliser actions et questions que sur le thème, oh combien débattu, rabâché, ressassé, exploité et surexploité de la corruption.
La manœuvre de diversion la plus efficace, qui plus est, dans un pays où les organismes de contrôle cachent leurs rapports tout au fond des tiroirs de leurs bureaux, ils laissent place à des doutes et des suspicions qui aggravent encore la perte de confiance des citoyens dans ses institutions. .
La corruption est le cheval de bataille de tous les partis nés par la magie d’un soulèvement qui les a enfantés, malades d’ambition et d’opportunisme politique et souffrant d’une grande déficience en matière de compétence, de patriotisme, de vision et de projets. Quoi de mieux pour camoufler leurs incapacités d’hommes et de femmes d’Etat que de saisir la thématique des malversations comme ADM (Armes de destruction massive)? Ce n’est plus la justice qui a la charge de statuer sur les délits d’initiés, passe-droits et autres mais les 11 millions de Tunisiens…
Les quelques partis conscients des enjeux socioéconomiques, mûrs politiquement et formés d’élites, ne pèsent malheureusement pas lourd sur l’échiquier de l’Etat.
La corruption est devenue ce mot démoniaque, cette manœuvre de diversion infaillible, l’arbre qui cache la forêt et les défaillances. Et en la matière, nombreux sont les maux hérités par le gouvernement aujourd’hui en place de ceux qui l’ont précédé. Y compris l’automatisme médiatique d’axer tout de suite leurs questions sur les mauvaises pratiques de l’avant-14 janvier et leurs conséquences. Comme si les exercices gouvernementaux post-14 janvier étaient d’une intégrité parfaite dénués de toute pratique douteuse!
La corruption : une manœuvre de diversion infaillible
Ce sont les questions omniprésentes relatives à la corruption qui occultent d’autres encore plus importantes en cette période de vaches maigres pour la Tunisie. Celles en rapport avec les lois et réglementations qui facilitent l’investissement, la création d’emploi, une meilleure gouvernance ou encore celles plaidant pour de nouvelles orientations économiques, une plus grande autonomie des régions, une gestion plus saine des marchés publics, celles des projets de loi oubliés par les constituants qui ont rapidement réagi pour ce qui est de la loi sur l’usage des stupéfiants mais pas pour celles touchant au partenariat public/privé, à la loi sur l’exploitation des ressources naturelles et des énergies renouvelables dans notre pays, et j’en passe… Nos regards, au lieu de se tourner vers l’avenir, sont restés fixés au rétroviseur.
C’est simple, le Tunisien n’arrive pas à vivre au présent ni à s’orienter vers l’avenir. On a tout fait pour qu’il reste accroché à la période de l’avant-14 janvier 2011 pour mieux le posséder. Et on y réussit bien.
Ainsi, l’article 13 de la Constitution tunisienne «éclairée» stipule: «Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’État sur ces ressources est exercée en son nom. Les contrats d’exploitation relatifs à ses ressources sont soumis à la commission spécialisée au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’Assemblée pour approbation».
Cela revient à dire que les ministères et leurs départements respectifs ne peuvent pas prendre de décisions en matière de gros projets ou investissements sans revenir aux élus du peuple. A supposer que les constituants se considèrent comme étant les élus du peuple, il leur reviendrait à eux de décider si l’on doive lancer un projet touchant à l’exploitation des ressources naturelles du pays. A voir de près le niveau de leurs compétences, et leurs capacités ou plutôt incapacités à saisir le vrai du faux; cela veut aussi dire que le pays pourrait également bien arrêter de fonctionner. Que sous d’autres cieux, l’on passera de l’exploitation de l’énergie fossile à celle renouvelable, que les terrains agricoles de par le monde seront exploités comme il se doit, que l’agroalimentaire se développera, mais que nous, Tunisiens, resterons au point mort à la merci de constituants. Constituants qui se sont arrogé des droits qui ne leur appartiennent pas dans l’attente de véritables élus en espérant que leurs niveaux de compétences soient plus élevés.
Les investissements, otages des constituants
Pas d’exploration, pas d’exploitation agricole. Alors que nous bataillons depuis des années pour simplifier le code des investissements, les «prétendument jaloux pour les richesses du pays» ont opposé un véto définitif. Rien, niente, nothing… Et c’est ce qui explique qu’il n’y a eu aucune demande d’exploration pétrolière en Tunisie en 2014, c’est ce qui explique aussi que les projets d’exploitations agricoles, de cessions ou de concessions pour des étrangers ne soient pas réalisés.
Ailleurs en Afrique, des pays comme le Mali, le Cameroun, le Sénégal ou le Nigéria, les économies sont basées sur l’exploitation des ressources minières et agricoles. C’est l’Etat qui gère, contrôlé par les élus du peuple et non l’Etat réduit à ne rien faire en attendant que ces derniers veulent bien se préoccuper des enjeux économiques et sociaux de leurs pays. Pauvre Tunisie, en 4 ans, elle a perdu près de 30 ans d’acquis économiques et est aujourd’hui dépassée par ses voisins du Sud!
Pourtant, l’un des pays qui impose le plus de contraintes légales aux investisseurs étrangers en matière d’exploitation des ressources naturelles est bien la Tunisie dans le continent africain.
Qu’il s’agisse d’hydrocarbures ou d’agriculture, la Tunisie postindépendance a pris des dispositions draconiennes pour qu’aucun étranger ne puisse accéder au stade de propriétaire à vie. En Tunisie, il n’y a que des concessions limitées dans le temps et l’espace. Quoique cette peur injustifiée et exagérée de ces gens qui viennent «nous voler» est complètement ridicule. Dans l’absolu, personne ne se déplacera avec 100 hectares de terre sur son Jet privé, ou ne prendra son puits de pétrole avec lui…
Lors d’une conférence de presse organisée récemment au ministère de l’Industrie, Kamel Bennaceur, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, a déclaré: «Aucun puits d’exploration n’a été réalisé en 2014 contre 4 en 2013. Parmi les raisons de ce recul, nous citons les grèves et sit-in sur plusieurs projets, les difficultés de conclure des contrats avec les sociétés de service pétrolier expertes dans l’exploration, le flou concernant la législation (article 13 de la Constitution) ainsi que la non ratification par l’Assemblée nationale constituante de plusieurs demandes de prolongations de permis».
Le pire dans tout cela est que non seulement on ferme les portes pour de nouvelles exploitations et nous bloquons ceux déjà en vigueur, mais qu’à l’échelle nationale, nous n’assurons pas l’exploitation de nos ressources comme il se doit. La preuve la plus édifiante est celle du phosphate de Gafsa. Parce que les revendications sociales défendues à mort par les activistes et les syndicats ont pris le pas sur l’intérêt national, nous avons passé des mois à compter non pas les gains du secteur mais ses pertes. La Tunisie a perdu son positionnement sur le marché international du phosphate et les surenchères des uns et des autres ont eu pour conséquences que la production du Phosphate, même si elle a doublé à fin avril 2014 (1,35 million de tonnes) par rapport à la même période de 2013 (0,67 MT), ne peut compenser toutes les pertes engendrées depuis trois années. Le cadre social, lui, demeure, instable et a marqué les mois de janvier et février 2014. Résultat: la production reste inférieure à celle des 4 premiers mois 2010 qui s’élève à 2,5 MT.
Et comble de malchance pour notre pays, les quantités exportées par le secteur ont reculé de 12,7% (-35% en valeur). Ceci est principalement dû à la baisse de la demande du phosphate (ainsi que de son cours) sur les marchés internationaux et à l’agressivité accrue de la concurrence internationale (Maroc, Arabie Saoudite, Chine…). Ceci coûte des milliards de dinars à une Tunisie qui en a réellement besoin.
Mais nos constituants et nos syndicats éclairés ont d’autres chats à fouetter tels surveiller les nationalités qui frôlent le sol national, ou encore surenchérir sur les revendications sociales au risque d’achever l’œuvre destructrice démarrée par les gouvernements successifs de la Troïka.
Qu’à cela ne tienne, car après tout, c’est du chaos et de la fragilisation des pouvoirs publics qu’ils tiennent leurs forces. Ils oublient que le chaos n’épargne personne et qu’ils en seront les premières victimes, car lorsque le peuple devient affamé, il identifie rapidement les artisans de son malheur et sa logique à lui est de les déloger car «le dégage» est devenu une pratique très courante dans la Tunisie post-14 janvier.