Que le pays soit en crise ou non, que l’économie du pays soit en récession ou non, que les entreprises soient déficitaires ou non, les personnels des entreprises publiques ne semblent pas s’inquiéter de leur sort et continuent de mener la belle vie et se comporter comme si les nombreux avantages dont ils engrangent étaient éternels. L’Etat providence avec sa subvention des déficits est toujours là pour renflouer les caisses et entretenir ces personnels rentiers.
Ainsi, au moment où des centaines de milliers de Tunisiens n’ont pas encore l’eau potable et l’électricité dans leurs foyers, au moment où des centaines de milliers de Tunisiens de l’arrière-pays ne quittent leur village qu’en cas de catastrophes, voire en cas d’urgence extrême (accidents, maladies, décès…), au moment où des milliers d’enfants interrompent leur scolarité par l’effet de la précarité de la vie à l’intérieur du pays (aléas naturels, pauvreté extrême..), les agents et cadres des entreprises publiques tunisiennes et leurs familles se la coulent douce en ce sens où ils bénéficient de moult privilèges: 18 mois de salaires en moyenne (y compris les juteuses primes de rendement), primes lors des fêtes religieuses et de la rentrée scolaire, gratuité de l’électricité, gratuité du transport aérien, terrestre et maritime, accès à toutes sortes de facilités (tickets restaurant, crédits bancaires, crédits juteux des fonds sociaux), meilleure couverture socio-médicale (prise en charge de toutes sortes)…
Dimension clanique et tribale
Leurs femmes, enfants et neveux profitent, par ricochet, des avantages que leur procure l’emploi du père, du mari ou de la mère dans les entreprises publiques. A titre indicatif, au cours des vacances scolaires d’hiver et du printemps, les hôtels du pays, du sud au nord, sont remplis par ces agents-cadres et leurs familles. Une partie des frais de leur séjour étant prise en charge par les entreprises publiques. Au cours de l’été, leurs enfants ont la possibilité de passer des vacances dans des pays de rêve: Grèce, Ecosse, Japon, Jamaïque, Hawaii, Seychelles…
Mieux, ces privilèges sont reconduits par l’effet de la filiation et de la succession dans ces entreprises. Faut-il le rappeler qu’avant de prendre la retraite, les pères et mères qui travaillent dans ces entreprises font flèche de tout bois pour caser leurs enfants et proches. Les puissants syndicats de ces entreprises vont jusqu’à négocier, lors des rounds sociaux, des quotas pour l’embauche des enfants des personnels, et ce au vu et su du gouvernement.
Conséquence: le recrutement dans ces entreprises s’est fait, jusque-là, selon la triple appartenance régionale, clanique et filiale.
En contrepartie, le rendement est nul
Pis, en contrepartie de cette réconfortante situation, le rendement de ces personnels, tout autant que la qualité du service qu’ils rendent à des clients à vie, est le moins qu’on puisse dire catastrophique et déplorable.
Lorsque vous êtes en règle avec ces entreprises, c’est-à-dire sur le plan payement des factures, vous avez droit à tous genres de tracasseries: accueil désagréable, agressivité gratuite, lenteur lassante, insolence, commentaires et humour déplacés et souvent cyniques…
Lorsque vous êtes en situation irrégulière (cas du rouge bancaire), vous devez prendre votre mal en patience et faire le dos rond. Car c’est un véritable calvaire. A titre indicatif, les chefs d’agences bancaires publiques, les chefs d’agences du transporteur public Tunisair à l’étranger et divers autres contrôleurs de la Transtu et de la Sncft deviennent plus royalistes que le roi, brandissent la loi et vous font payer très cher toute distraction et toute irrégularité de votre part.
Au quotidien, pour ces personnels, le travail dans une entreprise publique est une opportunité aux fins de faire le marché, de se coiffer, de voir le médecin ou le dentiste, de siroter le thé avec des amis en pleine avenue, de visiter les parents et même de se permettre des baignades… Ils sont rarement à leur bureau. A preuve, essayez de demander une banque publique à 16 heures, vous n’y trouverez rarement quelqu’un.
Résultat: face à un tel laisser aller, ces entreprises publiques, qui avaient abusivement utilisé la passation frauduleuse des marchés pour servir «le capitalisme de copinage du Kleptocrate Ben Ali», ne peuvent qu’être déficitaires.
Leur déficit est actuellement estimé à environ 3 milliards de dinars. Si on additionne ce montant au déficit budgétaire 7,9% du PIB, le déficit global serait à deux chiffres, le déficit des entreprises n’étant jamais pris en compte dans les statistiques macroéconomiques.
Contreperformance dénoncée par la Banque mondiale
Cette contreperformance des entreprises publiques tunisiennes est signalée de manière exhaustive dans une étude de la Banque mondiale (BM) sur “la gouvernance dans une centaine d’entreprises publiques en Tunisie». Cette étude, qui a diagnostiqué plusieurs dysfonctionnements dans la gestion de ces entreprises, recommande à la Tunisie de revoir la fonction “actionnaire de l’Etat“, de s’assurer de la redevabilité des entreprises publiques, et de renforcer le rôle du conseil d’administration (CA) dans leur gestion.
L’étude a discerné une mauvaise qualité de l’information financière, publiée par les entreprises publiques, voire son inexistence. Elle suggère, à ce sujet, d’assurer une meilleure transmission des informations financières et une estimation régulière des risques budgétaires.
L’étude montre également que le système de contrôle des entreprises publiques demeure inefficace et en dessous des standards.
La stratégie du gouvernement
Conscient de la situation, le nouveau gouvernement de Mehdi Jomaa s’est déclaré déterminé à sévir et à arrêter l’hémorragie.
Hakim Ben Hammouda, ministre de l’Economie et des Finances, a annoncé, à la presse, «la fin de la récréation pour les responsables et personnels des entreprises publiques».
Concrètement, il a déclaré que l’appui de l’Etat aux entreprises publiques sera révisé à la baisse en 2014, et ce au regard du déficit cumulé de ces entreprises -estimé pour 2012 à 2,5 milliards de dinars, déficit appelé à s’aggraver en 2013 (plus de 3 milliards de dinars environ).
Il a révélé que le gouvernement a décidé de responsabiliser 28 entreprises publiques et d’assortir toute aide de l’Etat qui leur sera fournie par «un contrat-programme» devant comporter des objectifs clairs en matière de positionnement stratégique sectoriel, d’amélioration de la qualité des services fournis aux citoyens et de gestion des ressources humaines (réduction du nombre de salariés…).
Une grande injustice
En dépit de cette prise de conscience, la problématique du déficit des entreprises publiques demeure un véritable casse-tête chinois. Sa solution passe avant tout par la moralisation, voire la sanction de ses responsables et par la responsabilisation de leurs agents lesquels ne sont aucunement sollicités pour contribuer au redressement de leurs entreprises.
C’est une grande injustice que de demander constamment aux contribuables de subventionner les déficits de ces canards boiteux (recapitalisation des banques publiques, sauvetage des entreprises de transport (Tunisair, CTN, Transtu, Sncft…) alors que leurs personnels et leurs familles se la coulent douce et ne consentent aucun sacrifice. La réduction des avantages dont ils bénéficient au profit du budget de l’Etat ne serait que justice, d’autant plus qu’il y va de la pérennité de leur emploi.
On l’aura dit.