Turquie : la banque centrale baisse un peu son taux directeur, sous pression du gouvernement

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à Ankara le 24 juin 2014 (Photo : Adem Altan)

[24/06/2014 14:37:32] Ankara (AFP) La banque centrale turque a procédé comme anticipé par les marchés à une nouvelle baisse de son principal taux directeur, mais d’une ampleur nettement inférieure à celle exigée avec insistance par le gouvernement islamo-conservateur pour protéger la croissance.

A l’issue de la réunion mensuelle de son comité de politique monétaire, l’institution monétaire a annoncé avoir ramené son taux de refinancement de 9,5% à 8,75% et maintenu ses autres taux inchangés à 12% et 8%.

La banque, qui avait déjà procédé à une baisse d’un demi-point de ce taux le mois dernier, a justifié sa décision par “notamment l’amélioration des conditions globales de liquidités ces derniers mois”.

En janvier, l’institution avait brutalement relevé ses taux, contre l’avis du chef du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, pour enrayer la dégringolade de la livre turque et la dégradation des déficits publics, alimentées par la crise politique ouverte par un scandale de corruption visant le régime islamo-conservateur.

Depuis cette date, M. Erdogan n’a de cesse de faire publiquement pression sur la banque centrale pour réclamer une baisse importante des taux.

Le chef du gouvernement, qui s’apprête à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle des 10 et 24 août, a fait de la réussite économique de son pays depuis son arrivée au pouvoir en 2003 son principal argument de vente électoral.

Dans ce climat, la décision de mardi apparaît comme une demi-mesure pour une institution tiraillée entre les marchés et l’autorité politique.

La banque “tente d’équilibrer la nécessité de maintenir sa crédibilité sur les marchés d’un côté et les pressions du gouvernement pour baisser drastiquement les taux d’intérêts de l’autre”, a commenté Capital Economics de Londres dans une note destinée aux clients.

De fait, le gouvernement a très vite signalé la poursuite de son bras de fer très politique avec les autorités monétaires, signalant qu’il ne se contenterait pas de la mesure annoncée mardi.

– Inquiétudes –

La décision de mardi est “importante”, a concédé le ministre de l’Industrie devant la presse, “mais nous attendons des mesures plus courageuses”.

Dans la droite ligne de M. Erdogan, son collègue de l’Economie, Nihat Zeybekçi, avait exigé lundi des argentiers turcs, en principe indépendants du pouvoir politique, le retour des taux à “leur niveau d’avant son augmentation en janvier”.

La semaine dernière, le gouvernement avait encore resserré son étreinte sur l’institution financière en procédant au remplacement de cinq de ses directeurs.

L’indépendance de la banque centrale fait l’objet d’un vif débat au sein même du pouvoir, entre les partisans de sa remise au pas, et ceux qui, comme l’expérimenté ministre des Finances Mehmet Simsek, défendent son indépendance et sa crédibilité sur les marchés.

Entre le marteau et l’enclume, le gouverneur de la banque Erdem Basci avait signalé sa préférence pour une politique “prudente” de “baisse graduelle” des taux, aussi longtemps que l’inflation resterait à ses niveaux élevés actuels (7,5% en 2013, plus de 8% en glissement annuel le mois dernier).

Plusieurs analystes se sont inquiétés mardi des pressions exercées par le gouvernement.

“Au vu des pressions politiques croissantes (…) nous ne pouvons pas exclure d’autres réductions des taux d’intérêt, quelles que soient les prévisions d’inflation”, a relevé Deniz Ciçek, de la Finansbank, “nous maintenons donc nos prévisions négatives pour l’inflation et la monnaie dans la période à venir”.

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érence de presse à Ankara, le 28 janvier 2014

“Les données macroéconomiques ne fournissent aucune justification à un relâchement de la politique monétaire”, a insisté Capital Economics dans sa note.

Après des années de croissance “chinoise” en 2010 et 2011 (+de 8%), l’économie turque, dont la santé dépend largement des investissements étrangers et des subventions publiques, a vu sa croissance considérablement ralentir depuis 2012.

Le gouvernement turc table sur une croissance de 4% en 2014, comme en 2013. Mais tous les analystes ont révisé à la baisse leurs prévisions pour l’année en cours, en raison de la persistance de l’instabilité politique dans le pays.