Rappelez-vous, lorsque le gouvernement avait décidé de soumettre, il y a plus de sept mois, à l’impôt sur le bénéfice au taux de 10% dès leur première année d’activité les sociétés off shore, dans le cadre du projet du code de l’investissement, actuellement renvoyé aux calendes grecques. Les premiers à avoir manifesté leur opposition à cette disposition, pourtant légitime, étaient les patrons locaux et leurs alliés «naturels» parmi les experts de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) et les experts-comptables.
Ces opposants, qui avaient prédit, à l’époque, le départ massif des sociétés off shore du pays au cas où cette imposition serait appliquée, avaient proposé comme alternative de s’inspirer de l’expertise marocaine en la matière qui taxe les points francs à partir de la sixième année de leur activité. Et ils ont réussi en ce sens où la pression qu’ils avaient mise sur le gouvernement a porté ces fruits. Ce dernier a été amené à retirer de l’Assemblée nationale constituante (ANC) le projet du code qui, lui, était soumis pour adoption. Pourtant l’argumentaire de ces patrons n’était pas si solide que ça.
A preuve, les premiers concernés, en l’occurrence les représentants des 3.200 entreprises off shore implantées dans le pays, n’avaient pas réagi à cette disposition, ni publiquement, ni par le canal de la presse, ni par le biais de leurs chancelleries.
La raison est simple. Leurs maisons mères craignaient pour leur image. Après de juteuses exonérations durant plus de quatre décennies, ces points francs sont, de plus en plus, qualifiés par leurs autochtones de blanchisseurs d’argent, tandis que le site Tunisie est retenu, par certains pays, comme un «paradis fiscal» avec tout ce que cela suppose comme préjudices.
Proximité avec l’Europe, premier avantage comparatif
Mieux, les sociétés off shore basées en Tunisie n’ont pas seulement réagi négativement à cette disposition mais ont fait état de leur disposition à y rester, estimant que les incitations fiscales ne sont pas nécessairement le premier avantage comparatif qui les attire.
La dernière enquête sur le degré de satisfaction des entreprises off shore allemandes en Tunisie est fort révélatrice à ce sujet.
Les entreprises sondées estiment que les atouts majeurs de la Tunisie en tant que site de production international sont, dans l’ordre: la proximité géographique par rapport à l’Europe (84%), les coûts de production compétitifs (50,6%) et les avantages fiscaux consentis aux entreprises exportatrices (45,7%).
Dans le détail, la proximité géographique par rapport à l’Europe est citée par 84% des entreprises comme avantage d’implantation (80,5% en 2013) est encore le premier avantage du site Tunisie, sans grand changement par rapport aux années précédentes. Il s’agit ainsi d’un aspect cité depuis des années parmi les trois atouts majeurs du site Tunisie.
Cette proximité est également appréciée par les entreprises du textile (74,2%) et encore plus par les sociétés du secteur électrotechnique (90,9%).
Tous secteurs confondus, les coûts de production compétitifs occupent aujourd’hui la seconde position en tant qu’atout pour le site Tunisie, en hausse significative (50,6% en 2014 contre 37,7% en 2013). Cette hausse est enregistrée seulement dans le secteur électrotechnique (78,8% en 2014 contre 44,1% en 2013).
Concernant l’industrie textile, aujourd’hui seulement 12,9% des sociétés désignent les coûts de production compétitifs comme atout de la Tunisie (2013: 24,1%).
Les avantages fiscaux pour les entreprises exportatrices allemandes, bien qu’ils gardent encore de l’importance, sont cités à la troisième et dernière place. Cette année, ce facteur atteint 45,7% (2012: 58,4%).
Autre révélation de cette enquête et non des moindres, celle qui souligne que, de nos jours, pour 12,9% (2013 : 10.3%) des entreprises du secteur textile ayant participé à l’enquête, la Tunisie n’offre aucun avantage en tant que site de production.
Les véritables préoccupations de l’off shore sont autres
Cela pour dire que les incitations fiscales ne sont plus la seule motivation qui encourage les investisseurs étrangers à se délocaliser en Tunisie. Leurs préoccupations sont, désormais, autres. Il s’agit pour les entreprises offshore allemandes enquêtée le manque de stabilité politique et sociale (84% contre 95% en 2013), la réglementation excessive et la rigidité de l’administration tunisienne (48% contre 35% en 2013), la faible productivité des salaries (44% contre 47% en 2013), le manque de personnel qualifié (25,9%).
Côté perspectives, les gérants des entreprises off shore allemandes, en fins stratèges, pensent «qu’il existe un espoir à moyen et long termes de voir la Tunisie tirer profit de la transition démocratique. La Tunisie bénéficie, par son étroit rattachement logistique à l’Europe, d’une position prioritaire en tant que site pour la délocalisation des productions européennes d’une part mais également pour la fourniture de services, de recherche et bien plus».
De toute évidence, un tel message optimiste tranche avec le discours sinistrose de nos patrons et de leurs conseillers lesquels, en éternels assistés et dopés par les incitations, nous prédisent le départ de l’off shore chaque fois que le gouvernement décide de les assujettir à une faible imposition sur les bénéfices (10%).
Férus des juteuses rentes que leur procure la sous-traitance, ces patrons qui, pour mémoire, ne créent jamais la valeur et sont enclins à adopter le plan B avant l’off shore (expatriation au Maroc et ailleurs), gagneraient à se taire quant ils parlent et à cesser de priver les caisses de l’Etat de précieuses recettes fiscales.