à Montmerrei, le 6 mars 2014 (Photo : Charly Triballeau) |
[27/06/2014 12:49:46] Cornus (France) (AFP) De la moisson à la cuisson, ils ne font qu’un. Agriculteurs en quête d’avenir ou néo-ruraux en reconversion, paysans et boulangers, ces nouveaux cultivateurs artisans contribuent à l’animation des campagnes et à la renaissance de semences oubliées.
Quand il embrasse du regard ses blés ployés par le vent et les vaches paisibles, en contrebas de sa ferme, à Cornus, au sud du Larzac, Marcel Fabreguettes se sent comme le dernier des Mohicans. “On va devenir un zoo ici, une réserve de paysans naturels”, prédit-il: ils étaient naguère une vingtaine d’éleveurs laitiers sur le plateau, ils ne sont plus que deux.
Marcel s’est formé à la boulange pour anticiper la fin des quotas laitiers, en 2015, et le déferlement redouté de “fermes usines” qui risqueront de noyer sa production, bio et artisanale. Le pain c’est sa résistance. Une semi-reconversion qui lui permet de continuer d’exploiter ses céréales et des fourrages pour la trentaine de frisonnes qu’il conserve. C’est Muriel, son épouse, qui en a pris l’initiative.
“On voulait maîtriser toute la chaîne, de la production à la vente”, explique-t-elle. Souriante et alerte, elle se lance la première, suit une formation, accompagnée par deux boulangers. Apprend à faire son levain. “Si la pâte lève trop, le pain est dur comme une galette. Pareil s’il ne lève pas assez”.
Marcel pétrit et chauffe le four à bois en deux temps pour atteindre la bonne température. “Un boulanger en ville fait son pain en deux heures, moi c’est 10 à 14 heures”. A la Borie les journées commencent à 4h00 les jours de cuisson.
A Dormelles, en Seine-et-Marne, Sabrina Derosin a pris la même option pour contribuer à l’exploitation de son époux, Gilles, installé depuis 30 ans sur les terres familiales: citadine diplômée des Beaux-Arts, elle s’est lancée dans le pain pour “valoriser les céréales” maison: “Au bout de 7 ans je sors enfin un pain au levain qui me convient!” A ses clients aussi. Gilles s’est improvisé meunier à la meule de pierre et transforme ainsi 10 à 15% de sa récolte. “Avant je livrais mon blé à la coopérative et on n’en parlait plus”. Aujourd’hui, il livre aussi le pain de Sabrina aux Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) proches et jusqu’à Paris.
– Choix de vie –
Les Amap constituent souvent le deuxième réseau commercial du pain paysan avec la vente à la ferme, parce qu’elles en épousent l’idéologie et les convictions. Mais paysan boulanger c’est d’abord, pour ceux rencontrés, un choix de vie à la campagne.
é à Mametz, le 13 août 2013 (Photo : Philippe Huguen) |
C’est ce qui a poussé Thierry Hermeline, dans le Perche, boulanger bio initialement, à la reconversion après avoir exercé son métier aux quatre coins de France à la manière des compagnons. Avec Cécile ils avaient ce projet d’être leurs propres patrons et d’élever leurs enfants en pleine terre. C’est elle qui l’a poussé vers un cycle de formation à l’agriculture biologique. “Il fallait retourner à l’école, il avait 39 ans”, raconte-t-elle, toujours admirative.
Après sa formation et un stage à La Perrière (Orne), c’est là que le couple acquiert une parcelle de ci, de là. Jusqu’aux 20 ha d’aujourd’hui et la quasi-dévotion de leur clientèle: dans cette campagne à Parisiens, à 2 heures de la capitale, on se lève tôt le dimanche (seul jour de vente avec le jeudi) pour le pain de La Surdière, nom de la propriété.
Pour Thierry, l’expérience fut parfois âpre. La pluie à l’heure des moissons l’a déjà privé de récolte. Pourtant, à 52 ans, même s’il “travaille davantage qu’en ville”, il n’a jamais regretté sa reconversion et se passionne pour la vie dans ses champs.
Il a rejoint depuis cinq ans le réseau Semences Paysannes et s’y fournit en variétés bio et anciennes. Cette année, il cultive cinq blés différents sur une même parcelle pour obtenir une farine unique. “Le Rouge de Bordeaux dépasse les autres de 50 cm, ils ne mûrissent pas tous en même temps. Mais la diversité permet une meilleure résistance aux maladies”.
La plupart travaillent aussi l’alternative au blé – petit épeautre, sarrasin – pour contourner les allergies au gluten qui se développent avec les blés riches en protéines, plus facilement panifiables, préférés en boulangerie conventionnelle.
Quand il est passé aux cultures sans labour, Thierry a senti la suspicion de ses voisins. Mais l’hostilité, quand elle existe, s’exprime plutôt du côté des meuniers et des boulangers. “J’ai tout eu” avoue-t-il. Contrôles, tracas administratifs. “Mais on a fait reconnaître que comme le fromager avec son lait, on transforme notre produit”.
– Ingénieux et créatifs –
Depuis 2010, un décret encadre ces activités conduites “dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation”. Comme la vente à la ferme ou les chambres d’hôtes.
“Manifestement la corporation des boulangers s’inquiète car les contrôles se multiplient”, confirme Patrick de Kochko, coordinateur et responsable Blé du réseau Semences paysannes, joint dans le Lot-et-Garonne. Son réseau exerce une veille juridique pour ses membres. “Mais on est d’abord paysan” insiste-t-il.
La principale difficulté pour ces néo-paysans “qui ramènent de la vie dans les campagnes”, poursuit-il, c’est de trouver de la terre: “Ils s’installent généralement sur des surfaces trop petites pour survivre en céréales seules et c’est aussi pour ça qu’ils s’intéressent à ces variétés anciennes: les blés de compétition à fort rendement nécessitent des super terres, des engrais et se comportent assez mal en bio. Et leur goût est sans intérêt” tranche-t-il.
Pour lui, depuis 20 ans environ qu’ils sont (ré)apparus, c’est “la nécessité (qui) a rendu les paysans boulangers ingénieux et créatifs”.
Une seule formation en lycée agricole est dispensée, à Montmorot, dans le Jura: “On a des publics très différents” rapporte Antoine Deransart, son responsable. La moyenne d’âge est de 33 ans. “Souvent des gens en reconversion, des jeunes qui reprennent la ferme des parents, des couples. Ca permet un retour à la terre avec un projet économiquement viable: dès la deuxième année on peut accéder à une rémunération”.
à Gacé, le 25 février 2014 (Photo : Charly Triballeau) |
Les étudiants sont limités en nombre par promotion car il faut trouver des stages sur le terrain. “Volontairement”, il refuse de donner une estimation du nombre de paysans boulangers “tant que les choses se seront pas plus apaisées avec les boulangers”. Le ministère affirme aussi l’ignorer.
Mais le succès est tel que Patrick de Kochko envisage de lancer une formation dans le Tarn sur le mode du compagnonnage. “Nous ne sommes pas en concurrence avec les boulangers”, jure James Forest, l’autre gourou du pain et des céréales paysannes. “C’est la recherche de savoir-faire qui nous motive”.