Investissement : La Tunisie peut-elle encore se financer davantage?


endettement-05072014.jpgLe
recours à l’endettement extérieur est considéré par plusieurs spécialistes comme
une constante de la politique économique tunisienne. Des problématiques
multiples se posent au niveau de son rôle dans la dynamique du développement,
mais son utilisation a été, fréquemment, constatée pour juguler le déficit
budgétaire et transférer une partie de la richesse nationale au système
financier international.

L’encours de la dette extérieure a pris une allure ascendante dès le début des
années quatre-vingt pour atteindre son apogée durant les trois derniers
exercices, ce qui montre le faible niveau de l’épargne globale et le poids de
son coût augmenté par les effets des crises mondiales récurrentes.

Ainsi, on commence à constater l’entrée de la Tunisie dans la spirale de
l’endettement, ce qui nécessite une analyse de son rendement et un arbitrage
entre les risques encourus et sa structure. Des indicateurs présentent de fortes
probabilités pour que le pays soit confronté à un accrochage pour rembourser les
tranches prochaines de ses dettes.

Le solde de la balance des paiements était négatif à un niveau de 1423 millions
de dinars à fin 2013, et la formation brute du capital fixe a connu une
dégradation accrue. Obtenir au futur d’autres financements deviendra,
réellement, une question hypothétique.

L’endettement extérieur de La Tunisie revêt aussi une dimension politique du
fait des possibilités de son instrumentalisation et, en particulier,
présentement suite à la continuité du gouvernement actuel au recours excessif au
financement étranger qui a été entamé par la Troïka sous le prétexte de faire
réussir la transition démocratique.

Paramètres généraux de l’endettement extérieur tunisien

L’encours de l’endettement extérieur a évolué, entre 2010 et 2012, de 21.847
millions de dinars à 26.949 millions de dinars pour s’élevait à fin décembre
2013 à 31.625 millions de dinars. Le taux de l’endettement par rapport au revenu
national disponible brut était de 41%.

Le service de la dette était stable, durant les quatre dernières années, autour
de 3.261 millions de dinars. Cependant, il est à signaler que le remboursement
des principales tranches des financements étrangers octroyés, essentiellement,
durant les deux dernières années, commencera à partir de 2017.

Le ratio du service de la dette s’est situé en 2013 à un haut palier de 8,1%
suite à la non couverture des recettes courantes du service d’endettement
extérieur et, entre autres, aux notations souveraines accordées à La Tunisie.

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Source : Bulletin des statistiques financières, N° 186, avril 2014, BCT.

Il est fort attendu que note pays connaîtrait une crise de resserrement des
crédits extérieurs ou Credit crunch s’illustrant par le double effet de
l’accroissement des marges des financements suite à la montée des risques
estimés par les bailleurs de fonds et la poursuite du glissement du dinar
tunisien.

Structurellement, les politiques d’endettement n’ont pas connu des changements
significatifs. La poursuite des mêmes démarches s’est affirmée après les
événements du 14 janvier 2011 et surtout par la Troïka et les actuels
gouvernants.

Un rapport du Fonds monétaire international (FMI) paru au mois d’avril 2011
précisait que le taux d’endettement extérieur de la Tunisie a connu plusieurs
évolutions, en baissant par rapport au PIB de 40% en 1970 à environ 30% au terme
de 1976, pour connaître une augmentation soutenue le situant en 1987 à 70%.

Des facteurs conjoncturels ont permis de le faire baisser jusqu’à 2009 malgré
son niveau élevé dénotant le début de l’épuisement des ressources intérieures et
la forte dépendance au financement extérieur.

D’après un rapport élaboré aussi par le FMI en février 2012, l’endettement
extérieur national rapporté aux recettes de l’Etat en monnaies étrangères a
varié, durant la période 1990-2011, entre 180 et 200%.

Il en est de même pour le stock de la dette par rapport aux exportations avec un
ratio qui a oscillé entre 100 et 150%. Celui-ci a dépassé deux fois la valeur
des réserves en devises et en or. Ces indicateurs évoluent, considérablement,
ces dernières années.

Dette extérieure, entre nécessité de rupture avec les approches archaïques et
adoption d’une nouvelle démarche


La valeur des tirages des dettes extérieurs a atteint 5.805 millions de dinars à
fin 2012, soit un accroissement élevé de 52,3% par rapport à l’année 2011.
Ceux-ci sont provenus des marchés financiers internationaux, des instances
multilatérales et de plusieurs bailleurs de fonds privés.

L’administration a bénéficié de 82,3% des fonds accordés contre 17,7% pour les
privés. Par secteur, les financements se sont répartis entre la filière de
l’énergie (523 millions de dinars ou 51%), la filière financière (220 millions
de dinars ou 21,4%) et le transport (150 millions de dinars ou 14,6%).

Le recours aux tirages s’est concentré sur la coopération multilatérale pour 741
millions de dinars au terme de 2012 contre 466 millions de dinars fin 2011
représentant 59% des flux globaux. Sur le plan bilatéral, une baisse de 45,5% a
été enregistrée.

Des pertes de change inquiétantes ont été enregistrées en matière du
remboursement du service de la dette pour 110 millions de dinars au 31 décembre
2012.

Il s’avère donc que la démarche ancienne du financement extérieur de l’économie
tunisienne s’est raffermie durant les trois dernières années et surtout
actuellement en adoptant les mêmes approches, ce qui a entraîné un déséquilibre
des finances globales pour peser lourdement sur les exigences du développement,
de la croissance et de la stabilité du pays.

Les indicateurs, à ce niveau, montrent que durant les vingt mois de son règne,
la Troïka a obtenue 16,9 milliards de dinars de crédits, ce qui a hissé le
niveau de l’endettement extérieur, à fin 2013, à 40 milliards de dinars
correspondant à 51,1% du PIB. Le solde des financements a augmenté, à son tour,
de 11,3 milliards de dinars, soit une hausse de 39,4% ou 7,2 points de base du
PIB.

Les deux gouvernements de la Troïka ont approuvé 27 protocoles de financements,
sans considérer l’accord pour les sorties sur le marché obligatoire japonais,
notamment auprès de plusieurs bailleurs de fonds arabes et islamiques (4.465
millions de dinars), de banques islamiques (2.464 millions de dinars), de la
Turquie (640 millions de dinars), de la Banque mondiale (BM) et du FMI et
d’autres instances financières internationales (2.138 millions de dinars).

Etat des prêts accordés à la Troïka durant ses 20 mois au pouvoir

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Source : Association tunisienne pour la transparence financière (ATTF)
partenaire de l’Union arabe pour la transparence et l’intégrité (UATI), mars
2014.

Les utilisations ont été affectées essentiellement pour pallier au déficit de
l’Etat et ont été consacrées au soutien du budget (2.850 millions de dinars soit
45,2%), aux projets d’infrastructures (1.200 millions de dinars ou 18%), au
développement régional (637 millions de dinars) et aux programmes d’emploi pour
une quote-part de 9,5% et au partenariat entre les secteurs public et privé (285
millions de dinars).

Dès la prise du pouvoir de Mehdi Jomâa, la même démarche a été renforcée puisque
des tirages importants de crédits extérieurs de 2.224 millions de dinars ont été
effectués pour le motif essentiel du renforcement de la transition démocratique
en Tunisie, dont 800 millions de dinars provenant du FMI auquel s’ajoute la
troisième tranche du prêt de précaution de 220 millions de dinars accordée par
l’institution à notre pays, 250 millions de dinars de dinars de l’Algérie, 250
millions de dinars de la BM et 200 millions de dinars de la Turquie.

Il est prévu de mobiliser d’autres ressources extérieures durant les mois à
venir, particulièrement la prochaine tranche du prêt de précaution du FMI pour
660 millions de dinars, 840 millions de dinars en tant que garantie financière
des Etats-Unis d’Amérique, et une caution japonaise variant entre 500 et 800
millions de dinars, à part l’engagement de l’Union européenne (UE) de débloquer
un crédit durant la période 2014-2015 versable en deux tranches de 400 et de 660
millions de dinars.

Toutefois, il est fort probable que l’ensemble des ressources extérieures
précitées, sans tenir compte des enveloppes additionnelles qu’on pourrait
obtenir encore, soit utilisé dans le cadre du programme des réformes
structurelles dans les contours qui restent toujours flous et peu élucidés et
que les instances financières mondiales n’ont cessé d’encourager la Tunisie pour
le concrétiser.

Sur ce plan, on s’attend à ce que les affectations pour réaliser les objectifs
du développement, de la consolidation du partenariat entre les secteurs public
et privé, de la lutte contre le chômage et de l’allégement du déficit budgétaire
ne seront pas considérés comme des fondamentaux pour la politique économique et
sociale du gouvernement actuel.

Il est décevant, à partir du diagnostic établi, d’estimer, aujourd’hui, qu’on
n’est pas encore sorti de l’auberge. L’hémorragie causée par l’intensification
démesurée par des gouvernements provisoires sur le financement extérieur
impliquant le remboursement d’un service de dette exorbitant et dépassant les
moyens de créer de la valeur ajoutée par le pays continue. Ceci pourrait
hypothéquer la nation et les générations futures durant les prochaines décennies
de manière irréversible et vider la souveraineté financière et monétaire
nationale de toute sa mesure stratégique.

Evoquer dans certains cas des conversions de dettes extérieures minimes en
investissements comme des acquis pour le pays est, en réalité, dépourvu de tout
sens. Pire encore, continuer sur ce chemin pourrait impliquer le déguisement de
la mainmise de certains investisseurs étrangers sur des projets vitaux pour les
Tunisiens.

Les grandes organisations, les partis politiques progressistes, la société
civile ainsi que les experts doivent être conscients des menaces qui pèsent sur
le pays et qui sont provoquées par le fléau ravageur du recours continu à
l’endettement extérieur sans volonté réelle pour développer l’épargne nationale
et les sources de richesses intérieures et garantir l’ouverture du pays à la
coopération internationale fructueuse et à l’investissement étranger permettant
de créer les capitaux et de les partager équitablement.

*Spécialiste en Gestion des Risques Financiers