ères du textile luttent pour survivre au Cambodge, où les conditions de travail se dégradent (Photo : Tang Chhin Sothy) |
[11/07/2014 07:25:09] Phnom Penh (AFP) Après 10 heures à coudre des vêtements pour des marques occidentales, Ry Srey Bopha regagne la petite chambre qu’elle partage avec d’autres ouvrières d’une usine textile cambodgienne, avale quelques restes et s’allonge par terre pour dormir.
Comme beaucoup des quelque 650.000 travailleurs du secteur textile, en grande majorité des femmes, les journées de Bopha sont longues et épuisantes. Et elle ne voit que rarement sa fille de cinq ans élevée à la campagne par une grand-mère âgée.
“La vie dans les usines textile est très difficile”, explique-t-elle à l’AFP. “Mais j’ai besoin d’argent, alors je dois juste être patiente”.
Autrefois décrit comme un modèle, le secteur textile cambodgien en plein essor a vu les conditions de travail de ses ouvriers se détériorer, en parallèle avec l’augmentation du nombre d’usines.
L’argent et les commandes inondant l’industrie ces dernières années ont poussé à la création de nouveaux établissements “qui ne connaissent pas les règles légales (…) ou s’en moquent”, souligne Jason Judd, du programme “Better Factories Cambodia” de l’Organisation internationale du travail (OIT).
De la mort de quatre ouvriers lors d’une grève violemment réprimée par la police en janvier aux évanouissements collectifs dans les usines, la réputation du secteur a été largement écornée, au point d’inquiéter certaines marques occidentales.
Mais malgré la médiatisation des manifestations et quelques augmentations de salaires symboliques, les ouvriers n’ont pas vu leur sort vraiment s’améliorer.
“Quand nous sommes malades et que nous ne pouvons pas travailler, ils coupent notre salaire. Nous travaillons quand nous sommes malades”, lâche Bopha, décrivant une situation “pitoyable”.
Elle travaille six jours par semaine, de 07h00 à tard dans la nuit, pour pouvoir joindre les deux bouts grâce aux heures supplémentaires, le tout pour environ 95 euros par mois, dont elle envoie plus d’un tiers à sa famille.
“Souvent, je mange les restes de riz, pour économiser de l’argent”, poursuit-elle, espérant une vie meilleure pour sa fille.
De nombreuses ouvrières expliquent avoir dû choisir entre leur travail et leur famille.
“Je ne vais pas pouvoir garder ma fille ici parce qu’il n’y a pas de service de garde d’enfants à l’usine”, raconte Ton Sam Ol, qui va demander à sa mère de s’occuper du bébé d’un mois. “Sinon je devrai démissionner”, s’inquiète-t-elle.
– “esclavage des temps modernes” –
Ol a bénéficié d’un court congé maternité payé. Mais beaucoup d’usines préfèrent imposer aux ouvrières des contrats courts pour éviter ces dépenses, selon les syndicats.
Les entreprises mettent même parfois un terme aux contrats des femmes enceintes, souligne Moeun Tola, du Centre communautaire pour l’éducation légale, groupe local de défense des droits de l’Homme. “Certaines ouvrières avortent”, note-t-il.
Les contrats de courte durée permettent aussi aux employeurs de mieux contrôler leur personnel. “Les ouvriers n’osent pas refuser les heures supplémentaires ou se plaindre de leurs conditions. Ils travaillent dur, même malades”, raconte Moeun Tola. “Leur situation est un esclavage des temps modernes”.
înes de fabrication dans une usine textile du Cambodge, proche de Phnom Penh, le 11 mars 2006 (Photo : Tang Chhin Sothy) |
Le textile est un secteur clé de l’économie du Cambodge, avec des exportations s’élevant à 5,5 milliards de dollars en 2013.
Mais une plus grande partie de cet argent devrait bénéficier aux travailleurs, plaident les syndicalistes.
Les salaires ont été augmentés après la répression des grèves du début de l’année. Le minimum mensuel est passé à 100 dollars (73 euros), mais les ouvriers réclamaient 160 et le montant reste en-dessous de ce qui est considéré comme un “salaire de subsistance”, soulignent les militants.
Les propriétaires des usines assurent eux ne pas avoir les moyens de faire plus, reportant la faute sur les donneurs d’ordre à l’étranger.
“Nous n’avons pas d’argent. On ne peut pas augmenter” les salaires, insiste Ken Loo, secrétaire général de l’Association cambodgienne des industriels du textile.
Lors d’une réunion en mai, les marques occidentales s’étaient dites prêtes à prendre en compte des salaires plus élevés pour éviter des délais dans la production provoqués par les grèves.
Un nouveau projet de loi sur les syndicats pourrait d’autre part limiter la capacité des ouvriers à s’organiser et à manifester.
“La liberté syndicale va se réduire si le projet est adopté”, dénonce Rong Chhun, président de la Confédération cambodgienne des syndicats.
Mais malgré les arrestations et condamnations de militants ces derniers mois, certains sont prêts à continuer à se battre.
“Si beaucoup d’ouvriers font grève à nouveau, je me joindrai à eux”, promet ainsi Bopha.
Jusqu’à ce qu’ils obtiennent des progrès significatifs, “les ouvriers feront grève et manifesteront sans cesse”, prédit Rong Chhun.