Ce qu’il nous faut, ce sont plutôt des réformes structurelles à réfléchir et concevoir pour notre pays avec pour objectifs de préserver ses équilibres socioéconomiques.
Deuxième partie de l’entretien avec Hédi El Arbi, ministre de l’Equipement, et des réponses aux questions se rapportant au logement social et au partenariat Public/Privé.
WMC : Pensez-vous que les temps sont venus pour que les acteurs sociaux et la société civile arrêtent d’être frileux et osent s’intégrer dans une globalisation économique au risque d’une mainmise des opérateurs privés sur l’économie ou dans le cas contraire d’isoler la Tunisie de son contexte géoéconomique?
Hédi El Arbi : Je crois qu’il faut qu’on arrête d’être frileux et surtout il faut que cette obsession de perdre les sociétés publiques disparaisse. Il y en a qu’il faut garder moyennant une autonomie de gestion et la mise en place de véritables gestionnaires managers avec une liberté totale pour les faire évoluer et les faire progresser.
Pourquoi a-t-on toujours des banques purement publiques? Est-ce que c’est le cas dans tous les pays du monde? Pas du tout. Il faut avoir des banques privées, solides, professionnelles et dotées de tous les moyens pour aider les entrepreneurs tunisiens à exporter et les accompagner dans ses projets de conquête des marchés à l’international.
Pourquoi en sommes-nous là? Parce que nous avons fermé le marché. Le capital de nos banques est encore très faible pour qu’elles deviennent des forces de frappe importantes en matière d’accompagnement des grandes entreprises. Dans un marché où les banques sont encore fragmentées et atomisées, on ne peut pas prétendre à un positionnement prépondérant à l’échelle régionale ou international. Il faut construire des consortiums. C’est ainsi que l’on peut développer le tissu économique et créer de l’emploi.
La restructuration du secteur bancaire a-t-elle réussi dans d’autres pays?
Bien sûr. J’ai eu personnellement à suivre ces restructurations dans nombre de pays. Ils ont réussi à restructurer les secteurs bancaires. Je ne veux pas citer un des pays en question par obligation de réserve, mais le secteur bancaire public de ce pays employait près de quinze mille personnes. Pendant les deux premières années, nous avons dû réduire le nombre d’employés de 5.000, quatre après, ils sont devenus 25.000. C’est vous dire à quel point le partenariat public/privé est important.
Nous avons créé de l’emploi parce que, malheureusement, il fallait changer certaines catégories par d’autres et professionnaliser le secteur. Nous avons mis on place des «business plans» pour l’essor du secteur bancaire à l’échelle autant nationale que régionale.
Le secteur bancaire dans ce pays est aujourd’hui dynamique. Il finance l’économie et accompagne les entreprises dans leurs projets à l’exportation et leur implantation à l’étranger. Donc il récupère l’épargne régionale pour l’économie nationale.
Osons-nous faire ce genre d’exercice en Tunisie? Pas du tout, parce qu’effectivement tout est verrouillé à cause des réglementations compliquées; pire, nous avons peur des grandes restructurations, alors que le pays ne peut plus avancer en prenant des petites mesurettes.
Pour revenir à une question fondamentale pour les Tunisiens, celles des logements sociaux dans le dessein de préserver les classes et les couches sociales fragiles. L’AFH, qui a toujours joué un rôle important en la matière, pourrait-elle et saurait-elle être plus active surtout que les 18% de TVA ont été éliminés dès qu’il s’agit de logements sociaux? Le ministère a-t-il perçu un nouvel engouement de la part du secteur privé pour investir dans les logements sociaux? Avant, ils estimaient que cela coûtait trop cher pour céder à bas prix.
Je voudrais tout d’abord parler du partenariat public/privé au sens large du terme. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui souhaiteraient que cette loi passe à l’ANC le plus rapidement possible pour qu’on puisse, dans un cadre réglementaire, lancer des projets à caractère public/privé bénéfiques pour le pays.
Il y a des individus en quête de positionnement politique qui décrivent ce projet comme étant une tentative de privatisation sauvage. Ma vision est différente car j’ai travaillé sur ce genre de programmes dans d’autres pays dont le modèle économique ressemble au nôtre.
Le partenariat public/privé concerne les projets relativement importants pour lesquels l’Etat n’a pas de ressources. Il tient à les réaliser parce qu’importants et utiles pour la population, l’économie et les citoyens. En fait, l’idée en elle-même est utile et nécessaire et là il ne s’agit pas de choisir, il s’agit de décider de ce qui doit se faire le mieux pour la population.
Aujourd’hui, en tant qu’Etat, je n’ai pas les moyens matériels d’offrir de l’eau potable à une catégorie lésée de la population. Je tiens, en tant qu’Etat, à les doter des commodités nécessaires. Si je dois compter sur mes propres ressources, il me faut compter encore 10 ans. La solution la plus appropriée est d’associer le secteur privé à la réalisation des grands projets publics. Il investit et mobilise les ressources avec l’Etat.
En ce qui me concerne, j’achète chez le privé et je distribue très souvent pour moins cher à ma population. Où est le mal dans tout cela, l’objectif à la fois économique et social car ce qu’en tant qu’Etat, je ne peux réaliser que grâce au PPP, cela devient réalisable en un laps de temps très court. Mon objectif est de venir en aide aussi rapidement que possible à des populations en détresse et d’augmenter la productivité au niveau de toutes les composantes économiques.
Des exemples concrets à ce propos?
Prenons à titre d’exemple la construction des autoroutes. C’est ce qu’ambitionne l’Etat pour lier les centres productifs des régions intérieures, les uns aux autres. L’Etat ne dispose pas de grands moyens pour des ouvrages aussi importants. Je fais par conséquent appel aux privés. Je paie en ce qui me concerne les prestations qui me reviennent moins cher quand il s’agit de traiter avec des privés.
C’est une façon d’offrir les services à la population par anticipation là où on se trompe c’est par rapport au coût du service qui n’a aucune rapport avec le prix. La facturation est décidée par l’Etat. Si c’est l’Etat qui investit dans les grands projets ou les commodités d’usage, tout sera subventionné et le contribuable en paie le prix.
Il y a des projets où une prestation rendue par des privés est moins chère que celles rendues par l’Etat. Les Coréens ont construit une centrale dans un pays de la région dans le cadre du partenariat public-privé. La centrale de 500 mégawatts a réussi à produire l’électricité à 4 centimes le KW. Les entreprises de l’Etat équivalentes à notre STEG produisaient le KW à 8 et à 9 centimes. Comment les Coréens ont réussi à comprimer les coûts? Parce qu’ils ont ramené une excellente technologie. Ils ont de très bons gestionnaires, une excellente maintenance, et de ce fait ils ont réussi à avoir une très bonne productivité et à moindre coût. Donc l’Etat, qui achetait de l’électricité aux entreprises publiques à 8 centimes, pouvait l’avoir dans le cadre du partenariat public/privé à 4 centimes. Au bout de 20 ans, cette usine ou cette station de génération devient la propriété de l’Etat.
Que veut le peuple? Non seulement, nous sommes financés, parce que nous n’avons pas d’argent, ils nous transmettent la meilleure technologie et la meilleure gestion. Evidemment, il faut les rembourser, et les payer, mais à des prix moindres que s’il s’agissait d’une entreprise publique. Parce qu’elle subit plus de contraintes. On lui impose d’être en sureffectifs, donc le coût est forcément plus élevé au vu de la masse salariale.
Soyons clair, le PPP est bon pour les citoyens, et il est bon pour l’économie, donc faisons-le, tout le reste n’est que de la démagogie. Ce n’est pas de la privatisation sauvage, disons-le clairement, elle plaide plutôt pour une meilleure qualité de vie aux citoyens.
Et pour ce qui est de l’habitat?
A mon sens, nous n’avions pas entrepris sérieusement une politique d’habitat social en Tunisie depuis le milieu ou la fin des années 80. Nous n’avons pas de politique sociale, il n’y a plus d’habitat social, pourquoi? L’AFH ne fait pas de l’habitat social, elle offre des prestations à la classe moyenne ou la classe moyenne supérieure. Il n’y a qu’à regarder le prix du mètre carré pour s’en rendre compte.
D’autre part, il faut attendre 5 à 10 ans pour avoir un lot de terrain. Hors l’habitat social, il y a une population qui ne dispose pas des moyens adéquats et qui attend d’être logée. Ceci relève du devoir de l’Etat. Du social, oui, mais il faut que cela se fasse de manière rationnelle et transparente. Rien ne m’empêche en tant qu’Etat de dire: chaque année je consacre tel montant au logement destiné aux couches vulnérables et suivant des critères clairs, tels le revenu de la famille et sa composition. J’identifie cette population et je l’aide soit en lui donnant des terrains viabilisés avec un autofinancement pour qu’elle procède elle-même à la construction parce qu’en général cela coûte moins cher, soit on leur offre un logement collectif que j’ai fait concevoir pour qu’il soit le moins cher. Je le subventionne différemment.
Le secteur privé est notre meilleur allié en la matière. Il travaille, il construit, il est payé pour ça, je le fais contrôler d’une manière excellente, par le secteur privé pour que j’aie le meilleur prix et la meilleure qualité dans un environnement concurrentiel. Tout doit se faire dans des conditions transparentes. Mais à ce moment-là, c’est à moi de prendre soin de ces couches vulnérable, pour leur offrir du logement social convenable.
Compter aujourd’hui sur les instruments et les institutions que nous avons, c’est-à-dire l’AFH, la SNIT avec de nombreux fonds, n’a rien donné. C’est complètement fragmenté. Depuis que je suis là, ce que nous avons fait, c’est la révision de toute la politique de l’habitat, la politique d’urbanisme opérationnelle, et la politique de gestion foncière.
Nous arrivons aux réformes structurelles que vous avez décidées de lancer au niveau de ce ministère, qu’en est-il de ces réformes et aussi par rapport aux marchés publics qui posent problème surtout au niveau du ministère de l’Equipement parce que vous avez les grands projets, ceux qui coûtent cher, tels les infrastructures, etc.
Question pertinente. Je ne me suis pas intéressé aux réformes structurelles que nous devons faire au niveau de mon ministère, mais je continue à réfléchir, à observer, et à concevoir un plan pour les réformes structurelles que nous devons faire pour notre pays.
C’est d’ailleurs ce que j’ai toujours fait depuis des années. Ce qui m’intéresse c’est toute l’économie, et parmi les réformes auxquelles je m’intéresse le plus, les réformes institutionnelles fondamentales. Si nous n’avons pas d’institutions, nous ne pourrons jamais avancer. Vous pouvez avoir la meilleure politique possible, mais elle doit être d’abord conçue, mise en œuvre, suivie, réalisée et évaluée par une institution. Si l’institution est faible et n’a pas les moyens, nous sommes perdus.
Donc nos stratégies et notre politique n’iront pas loin non plus. Ce n’est pas parce qu’on a préconisé un programme qu’on va le réaliser illico preste, il faut une institution, des hommes et des femmes derrière. Il faut des procédures, un soutien, une logistique et surtout un cadre réglementaire. Le cadre réglementaire doit être là pour nous faciliter la tâche et nous aider.
Il faut développer la loi institutionnelle pour interpréter les choses d’une façon positive. J’ai un mal fou ici en Tunisie à faire comprendre aux gens que lorsqu’on a un problème, il faut qu’on interprète la loi et les procédures administratives dans le sens de le résoudre et non de le compliquer davantage. S’il y a un blocage au niveau des textes de loi, il faut qu’on fasse l’effort de les interpréter de manière à ce qu’elles servent l’intérêt public.
Le Tunisien est en général flexible, mais on l’a tellement terrorisé de par le passé, et accusé de tous les maux pendant cette période de transition qu’il n’arrive plus à prendre les décisions qui s’imposent face à une situation de fait. Il doit reprendre confiance en lui-même, réfléchir de par lui-même et trouver des solutions sans avoir peur des réactions de ses chefs ou des chasseurs de sorcières. C’est ce que je ne cesse de discuter avec les cadres avec lesquels je travaille dans mon département.
Mis en confiance et responsabilisés, ils commencent vraiment à aller de l’avant. J’ai restructuré, réorganisé et adapté les profils adéquats aux postes appropriés. Tous les services et les directions doivent, aujourd’hui, redéfinir leurs politique, leurs programmes et leurs modes de fonctionnement pour que leurs projets aboutissent et ne restent pas lettre morte.
Redonner à ces services la possibilité de travailler dans de meilleures conditions avec des instruments nouveaux, c’est un défi difficile à relever mais j’ai confiance.