Le parti Ennahdha, après avoir bataillé dur pour que le régime politique futur de la Tunisie soit plutôt parlementaire, même si le président de la République est élu au suffrage universel et jouit un tout petit peu plus que l’actuel locataire du Palais de Carthage de certaines prérogatives, nous a inventé un nouveau gadget, “le président consensuel“!
Les leaders du parti de Ghannouchi s’en vont ces jours-ci prêcher la bonne parole «consensuelle» un peu partout chez les partis. Nous en avons plus d’une centaine comme vous savez. Alors il y aura peut-être bien des partisans de cette idée saugrenue d’élire un président sans vraiment l’élire puisqu’il nous sera offert sur le plateau doré du «consensus national».
Quelques vieux, ou un peu vieux, se rappellent sûrement de cette blague funeste: Zine El Abidine Ben Ali, notre valeureux «homme du Changement», s’y est exercé… au début des années 90. Rappelez-vous juste après le «Pacte national», la machine de la propagande nous a assourdis les oreilles par le concept nouveau de «démocratie consensuelle» où tout le monde est d’accord avec tout le monde, c’est-à-dire d’abord avec Ben Ali. Et nous savons tous ce que ça a donné. Les islamistes les premiers !
Passons sur ce que représente cette proposition comme confiscation du droit des citoyens de choisir leur élu, c’est trop évident. Mais allons au fond de la proposition. Quand un parti aussi important sur la scène politique que le Mouvement Ennahdha lance une initiative pareille, il ne le fait pas sans un calcul politique. En politique il n’y a pas «des chats qui chassent pour le bon Dieu», comme dit notre proverbe populaire. Or, Ennahdha est le premier à savoir que la fonction présidentielle dans la Tunisie future viendra en deuxième si ce n’est en troisième position.
Par ailleurs, Ennahdha, et en dehors de Rached Ghannouchi, ne semble pas encore avoir bien mis en orbite un candidat présidentiable qui compte. Alors pourquoi ne pas jouer le jeu de l’ouverture, susciter l’intérêt des autres prétendants et les faire «saliver» sur un possible ralliement de la redoutable machine électorale d’Ennahdha et ainsi avoir le beurre (la majorité au Parlement) et l’argent du beurre (le Palais de Carthage) par ricochet? Génial!
Pas seulement ça. La proposition d’un “président consensuel“ peut également semer le trouble dans le camp des adversaires. Voyez par exemple l’acceptation, certes à demi mot, de Mustapha Ben Jaafar (la seule enregistrée jusqu’ici certes). Elle peut fort bien déstabiliser les efforts de son parti à rassembler autour de sa candidature certains partis comme l’Alliance démocratique. C’est toujours ça de gagné.
Pour l’instant, Néjib Chebbi n’est pas tombé dans le piège, mais d’autres peuvent y succomber. Ennahdha comptera les points!