La Troïka, encore au pouvoir, malgré les apparences, a monté sur ses grands chevaux pour se défendre contre un sentiment largement partagé au sein de l’opinion publique et de la population que c’est par sa mauvaise gestion du dossier du terrorisme, son laxisme sinon par sa volonté que le terrorisme a pu prendre pied dans le pays et prospérer jusqu’à devenir le danger principal que confronte la nation.
L’affaire du mont Chaambi qui a fait 15 victimes parmi les officiers et les soldats, le plus lourd bilan jamais enregistré par l’armée nationale depuis l’indépendance, excepté la bataille de Bizerte, vient à un très mauvais moment pour les trois partis qui tiennent les rênes du pouvoir, même si le parti principal Ennahdha a accepté «contraint et forcé» de quitter le gouvernement tout en demeurant dominant au sein de l’Assemblée nationale constituante.
Dans cette période pré-électorale, les trois partis de la majorité craignent de voir l’opinion publique leur faire porter la responsabilité des actes terroristes, ce qui aurait des effets désastreux pour eux auprès d’une majorité du corps électoral le moment crucial des élections venu dans moins de cent jours.
Pour prendre ses distances avec une affaire qui lui cause, le premier, du tort, le parti islamiste avec ses grands ténors en tête a décidé d’organiser une manifestation contre le terrorisme dont le départ a été donné après le sermon du vendredi de la mosquée Al-Fath en plein centre de Tunis. Fief des «salafistes djihadistes», c’est de cette mosquée qu’avait pris la fuite Abou Iyadh, le chef des Ansar Chariaa, une branche d’Al-Qaïda, déclarée «organisation terroriste».
Dans cette manifestation on a remarqué la présence des Chourou et Ellouze qui, il y a peu, se sont élevés contre la décision du secrétaire général adjoint de leur mouvement d’alors de déclarer Ansar Chariaa comme «organisation terroriste».
Pour le symbolique, le parti islamiste voulait frapper les esprits. Mal lui en a pris puisqu’on y a décelé une volonté d’instrumentaliser les lieux de culte alors que la «feuille de route» mise en œuvre par le Quartet du «Dialogue national» prévoyait la «neutralisation» des mosquées.
Après avoir fait le dos rond et mis ses «grandes gueules» au chômage technique, le parti islamiste a fait appel à eux. De plateaux de radio en «talk-shows» de télévision, d’une manifestation à une autre, les Dilou, Mekki, Harouni et autre Ben Salem ont écumé les ondes et les écrans pour répéter le même discours: Ennahdha condamne le terrorisme, il est le premier parti à en être victime, le terrorisme n’a pas commencé sous le règne de la Troïka mais au temps où Béji Caïd Essebsi dirigeait le gouvernement, allant jusqu’à prétendre qu’il n’a rien à voir avec l’amnistie générale qui a permis aux terroristes, dont Abou Iyadh, de sortir de prison pour revenir à leur sale besogne.
Alors que beaucoup de monde a le souvenir des meetings organisés en février 2011 pour faire pression sur le gouvernement Ghannouchi en vue d’obtenir l’amnistie des terroristes de l’affaire de Soliman. Fathi Ayadi, président du «Majliss Choura» est allé plus loin encore en appelant à la solidarité entre les Tunisiens contre le terrorisme «pour préserver le modèle de société tunisien». A peine croyable.
Dans les prochains jours, on verra certainement leur chef suprême, Rached Ghannouchi, et Ali Larayedh, le nouveau secrétaire général tout frais émoulu, monter au créneau et reprendre le même discours en y ajoutant leur grain de sel pour insister sur le fait que le terrorisme est un mal qui frappe beaucoup de pays y compris les plus développés et nécessite «l’union sacrée» de toutes les forces du pays. Les Tunisiens les croient-ils alors que sifflent encore à leurs oreilles des propos de Ghannouchi du genre: «les salafistes sont mes enfants, ils me rappellent ma jeunesse, et ils ne sont pas venus de la planète Mars».
Le Congrès pour la République (CpR), le parti de Moncef Marzouki, n’est pas en reste. Le président provisoire, dont personne ne doute qu’il sera candidat à l’élection présidentielle, continue de répéter la même litanie des déclarations qui n’ajoutent ni ne retranchent rien à une situation déjà bien difficile. En s’adressant toujours d’ailleurs aux terroristes. Il sera néanmoins reconnu dans l’histoire, si elle a souvenance de lui, comme le président qui a proclamé le plus grand nombre de jours de deuil et assisté à un nombre record de funérailles de martyrs de la nation.
Ses lieutenants se sont terrés n’ayant pas beaucoup d’arguments à présenter. Car ne l’oublions pas, c’est Marzouki qui a ouvert les portes du palais de la République devant des terroristes. Faute de quoi, c’est la présidence qui s’est mise en première ligne pour annoncer son intention de traîner en justice les auteurs de «déclarations intempestives» mettant en cause la sécurité nationale et d’«accusations tendancieuses» portées contre des responsables de l’Etat et de «menaces proférées» en faveur de la violence.
Dans son communiqué, la présidence surenchère: «ces propos irresponsables sont tenus par des parties connues pour leur propension putschiste, leurs penchants au chaos et au vide, leur hostilité au processus électoral et leur acharnement à vouloir dissoudre les institutions élues». Mais, point de précision sur ces parties désignées à la vindicte de la justice. Rappel à l’ordre, mise en garde à peine voilée ou bien désir de censurer la presse? Venant d’un «droit de l’hommiste» et fier de l’être, c’est un comble.
Il y a là, à n’en point douter, une volonté d’instrumentaliser la justice contre des adversaires politiques. Mais se laissera-t-elle faire, s’agissant à l’évidence de délits liés à la liberté d’expression et d’opinion, car il n’est question que de «déclarations» et de «propos»? Sans plus.
Le parti Ettakatol, dont le secrétaire général, Mustapha Ben Jaafar, est président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), est aussi dans de mauvais draps. Cette Assemblée est en effet accusée d’avoir usé de toutes les manœuvres dilatoires pour retarder l’adoption de la loi antiterroriste. On en est à discuter, comme à Byzance avant sa chute, du sexe des anges puisqu’on a mis plusieurs semaines à débattre de la définition du terrorisme. On est allé jusqu’à mettre en avant les impératifs de défense des droits de l’Homme alors qu’il y avait péril en la demeure et qu’on n’a pas affaire à des enfants de chœur mais à des criminels déterminés.
M. Ben Jaafar, qui s’apprête lui aussi à annoncer qu’il sera candidat à l’élection présidentielle, s’est cru autorisé à sortir à la presse quelques heures après l’affaire de Chaambi pour fixer une date pour l’adoption de cette loi au cours des tous prochains jours et pour dire qu’il n’y a pas de vide juridique puisque la loi de 2003 est encore en vigueur.
Enfin, on trouve des vertus à cette loi dénoncée entre autres comme étant la «loi de Ben Ali»! Ce que M. Ben Jaafar oublie de dire, c’est que ce sont surtout les juges d’instruction et les auxiliaires de justice essentiellement les forces de sécurité qui réclament avec force cette nouvelle loi, car si dans le passé les dépassements sur la détention préventive et sur les procédures judiciaires étaient tolérés, ce n’est plus le cas maintenant puisque les vices de forme peuvent avoir pour conséquence la libération de dangereux terroristes.
Il ne fait pas de doute que le terrorisme sera un sujet majeur, sinon essentiel, dans la campagne électorale qui s’ouvre déjà. Ces trois partis rentrent dans cette campagne sérieusement handicapés. Si Ennahdha retrouvera le cœur de son électorat traditionnel «le noyau dur» de ses partisans qui ne lui fera à aucun prix défaut, c’est-à-dire 15% au plus des votants, il faut s’attendre à une Bérézina pour les deux autres partis qui forment «l’alibi laïc» du parti islamiste. Ces deux partis risquent de disparaître de la scène.
Les Tunisiens peuvent tout leur pardonner à ces trois partis, leur mauvaise gestion économique, leur inexpérience des affaires publiques, leur approche du pouvoir comme un butin de guerre, mais jamais le fait qu’ils aient permis au terrorisme de prendre pied durablement dans leur pays.
C’est parce qu’ils sentent le vent tourner dans le mauvais sens que ces trois partis veulent donner du change. Mais n’est-ce pas trop tard?
«Qui se sent morveux se mouche», dit fort justement le dicton français.