Depuis
le début de son exercice, l’Instance supérieure indépendante pour les élections
(ISIE) a fait l’objet de nombreuses polémiques touchant principalement à
l’intégrité idéologique et morale et la réelle neutralité de ses membres ainsi
qu’aux pratiques de nombre d’agents chargés des inscriptions dans les bureaux de
votes et accusés (e) d’allégeance pour le parti majoritaire à la constituante,
Ennahdha.
Infos ou intox? Les enjeux sont d’une telle importance que nous ne pouvons nous
permettre de faux pas lors des prochaines élections, d’autant plus qu’il y a eu
de nombreuses bavures en octobre 2011 et qui n’ont pas été sans influencer les
résultats des scrutins.
Pour en savoir plus, entretien avec Chafik Sarsar, président de l’ISIE.
WMC : Vous avez été désigné à la tête de l’ISIE suite à de grandes discutes au
sein de la Constituante se rapportant au choix des membres de l’Instance.
Aujourd’hui même, on doute de la neutralité de vos membres et des chefs de
bureaux nommés en Tunisie ou à l’étranger. Quelles sont les garanties que vous
pensez pouvoir offrir aux Tunisiens pour des élections sans fraudes et aussi
transparentes que possible? En un mot, les Tunisiens doivent-ils être confiants
quant à la composition de l’Instance?
Chafik Sarsar : Effectivement, l’Instance a été, à plusieurs reprises, la cible
de critiques liées à l’indépendance de ses membres et de ses cadres. Nous
recevons quasi-quotidiennement des lettres de contestation dénonçant
l’appartenance ou la loyauté à des partis politiques de personnes travaillant à
l’Instance.
Je peux vous affirmer que nous-mêmes sommes très attentifs à cette question,
puisqu’il y va –comme vous le dites- de la crédibilité des élections. Et nous
prenons très au sérieux toutes les requêtes adressées à l’Instance.
Cependant, je puis vous assurer aussi que plusieurs oppositions se sont avérées
infondées et relevaient plutôt de la surenchère. Vous êtes pas sans l’ignorer
que les tiraillements politiques dans le cadre de la course au pouvoir sont à
leur apogée et n’épargnent aucune occasion «utile» pour arriver au pouvoir y
compris par la mise en cause de l’indépendance de «l’arbitre» du jeu politique
qu’est l’ISIE.
Il s’est avéré aussi que plusieurs recours étaient adossés à des arguments
solides, et l’Instance n’a pas hésité à mettre fin à la mission de personnes
dont l’indépendance s’est avérée effectivement douteuse, ou même si elle n’a pas
été remise en cause, il y a eu constat d’une violation de l’obligation de
réserve, par des déclarations ou même des parutions qui induisent une suspicion
légitime qui suffisaient à éliminer des candidats aux IRIES.
Jusqu’à ce jour, l’Instance a éliminé près de vingt personnes parmi les membres
des instances régionales ou parmi les cadres. Et, évidemment, nous sommes
disposés à le faire à tout moment, à condition de présenter des preuves
tangibles et concrètes et pas uniquement des accusations non fondées.
Cela étant, pour garantir des élections transparentes et crédibles,
l’indépendance des membres et des cadres de l’ISIE ne suffit pas. Il faut bien
réfléchir au recrutement des 70.000 membres des bureaux de vote qui vont assurer
le jour J, le scrutin, dans près de 14.000 bureaux de vote en Tunisie et à
l’étranger. Et là, le seuil de tolérance devient très critique. Le choix
difficile des membres des bureaux de vote et leur bonne formation doivent être
consolidés par le déploiement de contrôleurs et d’observateurs afin de barrer la
route à toute tentation de manipulation ou de fraude.
A ce propos, l’Instance est disposée à mettre en œuvre toutes les prérogatives
données par le cadre juridique pour garantir une concurrence saine et équitable
entre les différents partis politiques.
Démarrer les inscriptions aux élections 6 jours avant le mois du Ramadan a fait
croire à nombre de Tunisiens que la date en elle-même est un piège tout comme
celle des élections. Des élections en octobre alors que le pays est instable
tous azimuts et des inscriptions en plein mois de ramadan ne rassurent pas pour
certains qui vont jusqu’à dire “C’est fait exprès pour permettre au parti
Ennahdha qui a verrouillé toutes les institutions et les a infiltrés y compris
l’ISIE d’avoir de l’avance”. Que répondez-vous à cela?
Infiltrations? A l’ISIE? Je crois que nous sommes encore une fois face à la
théorie du complot, et les critiques sans fondement ne peuvent que nuire à la
confiance dans le processus et peut aggraver le dégoût du citoyen par rapport à
l’élite politique et à tout le processus transitionnel.
Je me permets de réitérer à ce niveau que tout citoyen disposant de preuves
sérieuses peut nous les soumettre ou saisir la justice pour remédier à une
éventuelle infiltration. Vous savez que les déclarations politico-politiciennes
ne suffisent pas pour inculper un membre ou virer un fonctionnaire, d’autant
plus que nous vivons dans un contexte où tout le monde accuse tout le monde.
A propos du calendrier, l’Instance a déjà expliqué à plusieurs reprises que les
options étaient trop réduites quant au choix de la période d’inscription;
d’ailleurs, il était impossible de fixer le démarrage des inscription avant ou
après, la fin de juin, et le conseil de l’ISIE a lancé depuis le 2 avril des
appels et des alertes pour dire que nous allons être piégés par les délais.
Vous vous rappelez combien de temps on a mis pour adopter la loi électorale et
combien de temps il a fallu pour trancher la question de la concomitance ou la
séparation. Cela s’ajoute bien évidemment à la contrainte constitutionnelle
d’organiser des élections en 2014.
Enfin, concernant l’instabilité, je pense que des élections permettront de
donner un nouvel espoir aux Tunisiens et par là même, contribué à l’instauration
d’une meilleure stabilité dans le pays. Dans le cas contraire, le risque
d’instabilité serait encore plus pesant.
Cela dit, ce qu’il faut considérer, à mon humble avis, la bonne administration
des élections doit prendre en considération la gestion des risques électoraux,
et l’ISIE a commencé déjà à mettre en œuvre un plan d’action dans ce sens
Nombre d’incidents ont été signalés dans les bureaux d’inscription: prétexter
que le système informatique est en panne (rapporté par plusieurs personnes) ou
un incident arrivé à un ami universitaire où on l’a directement renvoyé au
ministère de l’intérieur prétextant qu’il n’a pas le droit de voter. Comment
faites-vous pour pallier à ces insuffisances ou ces défaillances?
Des élections parfaites, cela n’existe nulle part. Toutefois, cela ne signifie
pas que l’ISIE cautionne ces insuffisances. Aujourd’hui, l’ISIE construit ses
structures permanentes, organise des élections législatives et présidentielle
dans un contexte politique, social et économique difficile et fait face aux
attaques de toutes parts. C’est un vrai défi que l’ISIE lance, donc, tout en
essayant de pallier aux insuffisances. Encore faut-il que les autres composantes
de la société s’y mettent pour aider l’ISIE à relever ces défis. Ne s’agit-il
pas d’un intérêt national?
On oublie aussi qu’une grande partie des difficultés ne dépend pas de la volonté
de l’ISIE, je parle surtout des mises à jour des bases de données mères, et
l’ISIE a eu le mérite de collaborer avec les départements ministériels et les
structures publiques concernées pour améliorer les choses. D’ailleurs, nous
avons constaté que la plupart des problèmes ont été résolus.
L’ISIE a déjà annoncé depuis le début du mois du juillet une panoplie de mesures
en concertation avec la société civile.
Le système d’information de l’ISIE aurait été lui-même piraté ou perturbé.
Comment pourrions-nous avoir confiance en un système auquel on peut pénétrer
aussi facilement et qu’on peut vicier? Le président de l’Association ATID, Moez
Bouraoui, accuse l’ISIE et l’INS d’avoir “écarté” plus d’un million de voix de
Tunisiens”, soit entre 10 et 15 sièges. Il a auparavant déclaré qu’il faut
beaucoup plus de temps pour organiser les élections et qu’il faut être honnête
avec le peuple et l’informer qu’il n’y aura pas d’élections avant 2015.
Il a également reproché à l’ISIE le manque de transparence du comité chargé du
dépouillement des dossiers au niveau de la forme et du fond de cette opération.
Comment, dans ce cas, espérez-vous l’engouement des Tunisiens alors qu’ils
doutent de l’ISIE, des partis politiques et des institutions censées veiller à
des résultats exprimant leur propre volonté?
De jour en jour, je deviens de plus en plus persuadé que les repères de l’ISIE
sont trop différents de ceux de plusieurs acteurs de la sphère politique. Mieux,
dire que les Tunisiens n’ont pas confiance en l’ISIE reste à prouver et dans
quelles proportions.
Concernant la tentative de piratage, elle n’a pu générer qu’un «déni de
service», c’est-à-dire empêcher l’accès momentané des usagers aux services, mais
cela n’a aucunement touché aux bases de données ou à l’intégrité du système, et
un rapport d’audit doit être communiqué incessamment.
Pour ce qui est des accusations relatives aux chiffres sur le corps électoral,
ce sont des propos pseudo-scientifique, l’opération d’enregistrement se passe
indépendamment des prévisions avancées. D’ailleurs et jusqu’à maintenant, seule
l’INS peut communiquer les données les plus précises concernant la population,
le corps électoral, les chiffres au niveau régional, etc.
La seule certitude c’est que depuis le dernier recensement de 2004, une
accumulation d’erreurs de prévision a fait qu’en 2011 on avait des chiffres qui
se sont avérés gonflés que ce soit pour le nombre total de la population ou pour
le corps électoral, et aucune mesure n’a été prise par sur cette base, on
attends juste les chiffres du recensement pour évaluer la compagne
d’enregistrement et planifier les prochaines mises à jour du registre électoral,
donc aucun électeur n’a été occulté ou ignoré sur la base des dites
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prévisions.
L’ISIE a les moyens d’organiser des élections dans les normes internationales et
dans les délais fixées par la Constitution et la loi électorale. Notre système
d’information est logé dans la structure informatique la plus sûre du pays, le
CNI. L’attaque qu’il a subie a été surmontée en quelques heures grâce à des
compétences tunisiennes et toutes nos bases sont saines, rassurez-vous.
D’ailleurs, ces bases ne disent pas combien d’électeurs sont cachés ou sont
potentiels. Ces bases, disent d’ailleurs, que le registre électoral comptait
quelques 4,3 millions en 2011, chiffre qui a été porté à 5.127.000 d’électeurs
après la première phase d’enregistrement. Tout autre chiffre ne concerne que son
auteur.
A propos de confiance, je pense au fait que cela concerne les politiciens qui
doivent regagner non seulement la confiance mais aussi l’estime des électeurs,
altérées par un rendement décevant de certains symboles de la classe politique.
Projeter cette anomalie sur l’ISIE, je ne crois pas que cela soit une bonne
stratégie pour y parvenir ni pour gagner des élections!