Dès
les premiers jours qui ont suivi sa nomination, la ministre du Tourisme, Amel
Karboul avait créé l’événement en déclarant que «désormais, chaque village en
Tunisie est une zone touristique». Depuis, elle était attendue quant à la
stratégie «innovante» qu’elle comptait mettre en place pour traduire dans les
faits cette ambition qualifiée à l’époque de «visionnaire» et de «porteuse de
beaucoup d’espoirs», particulièrement pour les régions de l’intérieur.
Aujourd’hui, cette stratégie est fin prête. Baptisée «Vision 3+1», cette
stratégie, articulée autour de trois axes -diversification de l’offre, qualité
et formation, branding (image de marque-promotion) et modernisation- est a
priori loin d’être innovante comme le laissait entendre la première déclaration
de la jeune ministre. Il semble que les bureaucrates conservateurs du ministère,
tout autant que les lobbies du balnéaire, professionnels poujadistes par
excellence, aient pesé de tout leur poids pour préserver leurs privilèges et
garder le statuquo. Il faut dire que la tâche de la ministre était loin d’être
facile avec la réseautique mafieuse qui prévaut dans ce secteur.
Limites de la nouvelle stratégie
Ainsi, concernant le volet diversification, le Comité de pilotage de cette
stratégie, apparemment mal inspiré, s’est limité à proposer un découpage des
zones touristiques calqué sur le découpage administratif et à répartir le
territoire en six zones (nord-est/nord-ouest, centre-est/centre ouest et
sud-est/sud-ouest) avec une mention spéciale pour l’Ile de Djerba à laquelle le
Comité reconnaît un statut et une identité spécifiques.
Cette stratégie n’innove pas en ce sens où elle continue à traiter les produits
touristiques non développés dans les régions de l’intérieur (tourisme culturel,
tourisme oasien, tourisme écologique, activité golfique, agritourisme, tourisme
saharien, tourisme de congrès, tourisme sportif, tourisme insulaire…), comme des
produits complémentaires et non comme des produits complets et autonomes avec
comme corollaire la programmation d’une logistique appropriée pour les
promouvoir (infrastructure, services…).
Cette stratégie n’innove pas également dans la mesure où elle réduit le nombre
des produits à développer à trois: le balnéaire (Tunisie bleue), le culturel
(Tunisie ocre) et le naturel (Tunisie verte) et à les répartir sur trois grandes
régions, respectivement le littoral pour le balnéaire, le nord-ouest pour le
naturel, le centre pour le culturel et le sud pour le saharien. Une telle
répartition est inappropriée car certaines régions, comme le nord-ouest, ne
recèlent pas uniquement de ressources naturelles mais également d’importants
vestiges archéologiques incontournables: Bulla Régia, Chemtou, Dougga, Maktaris,
Table de Jugurtha, Le Kef….
Idem pour les autres régions (le littoral, le centre et le sud) lesquelles
engrangent, aux côtés de leurs produits spécifiques, d’autres produits à
vocation touristique confirmée.
Pourtant les idées ne manquent pas
C’est pour dire qu’en matière de diversification, la stratégie n’apporte pas de
grands changements alors que, paradoxalement, les conclusions-propositions
formulées par les nombreuses études faites, ces dernières années sur le secteur,
insistent sur l’enjeu de réformer le secteur sur de nouvelles bases et d’en
faire profiter tout le pays.
En gros, ces think tank estiment que l’industrie touristique tunisienne est une
activité économique à rénover. Ce secteur souffre de problèmes structurels:
surcapacité hôtelière sur le littoral (90%), faible diversification du produit
touristique, pouvoir de négociation des prix de vente défavorable aux
hôteliers-opérateurs, étroitesse de la stratégie marketing et endettement élevé
des entreprises hôtelières.
Au rayon des propositions, toutes ces études suggèrent d’agir, entre autres, sur
ce qu’elles appellent la territorialisation et la diversification.
Concernant la territorialisation, les conclusions de ces études préconisent le
développement du tourisme des régions de l’intérieur et l’implication des
communautés locales dans la gestion du produit.
Objectifs: mettre fin au «tourisme réfectoire» qui favorise la «ghettoïsation»
des touristes et rapproche villes et touristes. «Cela nécessite la mise en place
d’une stratégie de différenciation touristique par la valorisation de l’espace
grâce à une approche touristique identitaire des territoires. Pour ce faire, il
importe d’étudier la faisabilité de la labellisation des régions et
l’organisation des régions autour de “Projets de destination”.
C’est dans cette perspective que la déclaration d’Amel Karboul «chaque pouce de
la Tunisie doit être perçu comme une zone touristique» peut trouver, à notre
avis, toute sa pleine signification.
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