Une
écrasante majorité de salariés se dit contrainte de travailler dans l’urgence,
pour des tâches qui ne méritent pas toujours un tel empressement. La faute à
l’intensification du travail, mais aussi à un certain frisson de l’adrénaline.
En 2005, 25% des salariés disaient être parfois obligés d’accomplir une tâche en
une heure maximum, contre 5% en 1984.
Une main sur le vibreur du smartphone, l’autre qui pianote sur le clavier à des
heures indécentes et les yeux en aller-retour constant entre l’écran et
l’horloge. A en croire un sondage réalisé par Sciforma, un éditeur de logiciel
de gestion de projet -sans doute pas désintéressé-, les Français compteraient
parmi les champions du travail en urgence: 89% confessent travailler sous la
pression du temps, 67% souvent et 22% de façon permanente.
Le mal du siècle? “Le travail dans l’urgence marque toujours les organisations
contemporaines: les salariés sont de plus en plus nombreux à devoir fréquemment
abandonner une tâche pour une autre plus urgente (…). C’est surtout le cas
pour les cadres, les professions intermédiaires et les employés administratifs”,
constatait le ministère de l’Emploi dès 2007.
Concurrence, développement de la mondialisation et rentabilité à coût terme
Directeur général de la Fondation Jean Jaurès, Gilles Finchelstein avait aussi
tapé juste en publiant à l’automne La dictature de l’urgence. Dans la sphère
professionnelle, il rappelle notamment qu’en 2005, 25% des salariés disaient
être parfois obligés d’accomplir une tâche en une heure maximum, contre 16%
seulement en 1991, et 5% en 1984.
“Il existe un contexte général exacerbé par la concurrence, avec le
développement de la mondialisation et de la rentabilité à coût terme des
capitaux investis”, explique-t-il. La quantité de travail est aussi en cause:
“Charge de travail excessive et travail dans l’urgence sont corrélés, assure
l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) dans une étude publiée fin
janvier.
Les smartphones, ces voleurs de temps
Mais certaines activités bien spécifiques contribuent aussi à voler du temps aux
salariés. Au premier rang, les nouvelles technologies. “Leur impact direct, ce
sont les interruptions nombreuses et la perte de concentration qui en résulte.
Leur conséquence indirecte, c’est le fait de se retrouver en contact avec les
clients: leur demande se fait plus pressante mais aussi plus directe”, détaille
Gilles Finchelstein.
Selon le sondage Sciforma, 84% des salariés estiment que les smartphones
renforcent le sentiment d’urgence. Ces outils, censés aider les salariés à mieux
s’organiser, encouragent une culture de l’immédiateté, qui fait passer des
tâches présentées comme urgentes pour des missions forcément importantes.
Gare au syndrome de la fausse urgence
Or gare au “syndrome de la fausse urgence”: seuls 26% des tâches réalisées par
les salariés sous pression seraient jugées comme réellement urgentes. “L’étude
touche du doigt un problème central, le décalage entre les vraies urgences et la
pression de l’urgence induite par des modes d’organisation défaillants et une
gestion uniquement à court-terme des entreprises”, notent les auteurs du
sondage.
Des victimes consentantes?
Les salariés eux-mêmes ne sont pas exempts de critiques. Selon l’Apec, avoir
“beaucoup de travail et travailler dans l’urgence ne sont pas toujours mal vécus
par certains cadres, qui y voient au contraire des indices de leur
investissement”. Seul le fait de “se sentir débordé fait partie des indicateurs
d’alerte de conditions de travail dégradées”. “Il existe un vertige positif de
l’urgence, lié au fait de se sentir dans le tourbillon de la vie”, diagnostique
Gilles Finchelstein.
“La ‘dictature’ de l’urgence n’a paradoxalement pas seulement des conséquences
négatives, poursuit-il. Elle est sans doute un facteur de productivité et les
nouvelles technologies sont aussi un facteur d’émancipation.” D’autres études
pointent aussi le stress accru et le sentiment de perte de maîtrise, ainsi qu’un
empiètement sur la vie personnelle pour 95% des salariés pressés.
Etude en ligne réalisée auprès de 1427 salariés en France du 15 au 25 avril
2012. L’échantillon a été constitué par Zebaz à partir de son annuaire en ligne
de plus de 1,3 millions de décideurs.