Très
répandue, la procrastination consiste à remettre systématiquement au lendemain
ce que l’on doit faire immédiatement. Notre contributeur Philippe Laurent
propose des pistes pour aider les “procrastinateurs” ou ceux qui travaillent
avec eux.
PROCRASTINATION – “Procrastiner, ce n’est pas décider de ne pas agir, c’est
reporter l’acte qui met en œuvre notre décision”, rappelle Philippe Laurent.
La procrastination: un mot barbare, une réalité assez courante. Celui qui
procrastine (le procrastinateur) remet systématiquement à demain (en latin
crastinus) ce qu’il doit faire tout de suite. Il trouve toujours une “bonne”
raison pour justifier ou se justifier qu’il a bien fait de ne pas faire ce qu’il
devait faire: il ne peut pas faire autrement.
Tu as raison, il faut que je le fasse. Il faut que je m’y attèle. Je vais devoir
prendre le taureau par les cornes, etc.”. Procrastiner, ce n’est pas décider de
ne pas agir, ce qui peut être stratégiquement bénéfique: c’est reporter l’acte
qui met en oeuvre notre décision et notre engagement, et cela de manière
chronique. Cette tendance peut devenir lourde de conséquence pour soi et son
équipe. Quelques idées pour tenter de l’expliquer et d’y remédier.
Une des possibles raisons de la procrastination est l’hyper sensibilité à
l’environnement. J’ai conscience à un instant T de devoir faire quelque chose
d’important, mais mon esprit est subitement distrait par autre chose de plus
captivant: une conversation, une observation, un souci. Je suis détourné de ma
trajectoire et finis par oublier ce que je dois faire. Cette attitude est le
signe d’une grande curiosité intellectuelle.
Autre raison possible: la recherche d’une satisfaction immédiate. Je remets plus
facilement à demain ce que je n’aime pas faire, ce qui ne m’apporte pas de
plaisir immédiat. Je sais ce que je dois faire mais je me dis: “J’ai bien le
temps, il me reste encore trois jours. Il faut que j’en profite. C’est la
corvée: tant que je peux repousser l’échéance, je le fais.” Je préfère remettre
à demain la tâche non agréable qui m’embête ou m’ennuie, et profiter de mon
confort actuel, quitte à souffrir d’un inconfort plus tard. Je joue la cigale,
plutôt que la fourmi. Mon leitmotiv: “Carpe diem!”
Il faut que je sois au pied du mur, à la veille de l’échéance, pour me bouger
Rien ne m’oblige, sinon la contrainte. Il faut que je sois au pied du mur, à la
veille de l’échéance, pour me bouger. Je ne fonctionne bien que sous adrénaline.
Je suis capable de fournir un effort considérable sur un temps très court. Il
faut que je sois contraint de faire pour m’obliger à faire. Non pas que je
n’aime pas ce que je fais, mais la pression que je génère décuple mes capacités
d’apprentissage ou de créativité, et j’éprouve même un certain plaisir à cette
expérience.
Le premier impact de cette tendance est sur le procrastinateur lui-même. A force
de tout remettre à demain, il finit par s’en vouloir de ne pas tenir sa parole
et de ne pas avancer suffisamment dans ses projets personnels ou professionnels.
Son attitude le fait stresser car le temps passe alors que l’échéance, elle, ne
bouge pas. Il éprouve le sentiment de faire du surplace alors que les autres
avancent. Il aimerait changer mais n’y arrive pas. Travers d’autant plus
dommageable que, quand il décide de s’y mettre, il est redoutablement efficace.
Une attitude qui peut provoquer la lassitude, voire l’exaspération
L’autre impact de cette tendance est sur le travail en équipe. Si je procrastine,
travailler avec moi n’est pas facile car je n’avance pas aussi vite qu’attendu
et les autres membres peuvent être tentés de ralentir la cadence. Quand mon
travail est fait, il est très bien fait, mais c’est trop souvent en urgence, au
détriment d’une meilleure concertation, d’un travail plus en profondeur, d’une
validation plus précise des données, etc. La chronicité de mon attitude peut
provoquer la lassitude, voire l’exaspération.
Si je “procrastine”, voilà quelques pistes qui peuvent m’aider:
– La première, apprendre à dire “non” aux sollicitations immédiates qui sont sur
mon chemin et viennent me distraire de ce que je suis en train de faire ou dois
entreprendre. Sans forcément dire “je n’ai pas le temps” de manière brutale, je
peux et dois oser dire ” tu me laisses 3 minutes, je suis à toi tout de suite”.
– Adopter le réflexe suivant: “Ce que je peux faire tout de suite, je le fais
tout de suite. ” En remettant l’action à plus tard, je risque tout simplement de
l’oublier. Je peux même interrompre ce que je suis en train de faire si j’estime
que c’est moins important ou urgent.
– Noter ce que je dois faire, si je m’y suis engagé et que je ne peux pas le
faire sur le champ. Pour certains, il peut aussi être aidant de commencer son
TAF (Travail à Faire) quotidien par ce qui nous est le plus difficile. Cela
enlève la pression et soulage.
– Si je dois réaliser un travail de fond pour une échéance précise, je ne tarde
pas avant de dresser une vue d’ensemble de mon projet de manière à lancer tout
de suite les actions qui impliquent l’intervention des autres acteurs éventuels.
Un plan d’actions succinct qui définit les grandes étapes m’aidera à avancer
régulièrement. En ayant conscience d’avancer, je réduirai mon stress,
travaillerai de manière plus sérieuse, dans le calme et non dans l’urgence. En
cas de difficulté, j’aurai encore du temps pour réagir.
– Quelque fois, mon action est nécessaire et consiste simplement à lancer le
travail. Je le fais tout de suite. Il faut battre le fer quand il est chaud. Il
y a des messages ou des actions à mener sans tarder sinon elles ne sont plus
opportunes et ne servent plus à rien.
Que puis-je faire si je travaille avec un procrastinateur?
Comme pour lui ce sont les premiers pas qui sont les plus difficiles, la
première chose à faire pour l’aider est de l’encourager à démarrer. Je ne le
lâche pas et le relance régulièrement pour être sûr qu’il avance bien ou le
motiver.
Je peux parfois le confronter de manière constructive: “C’est ce que tu me dis à
chaque fois. Je préfère que tu me dises que tu n’as pas le temps comme ça je ne
suis pas pris au dépourvu, et je peux m’organiser autrement. ”
Loin d’être une pathologie, ce mode de fonctionnement ne peut être changé par
des défis supplémentaires inscrits dans le temps, ce qui aurait l’effet d’une
punition. Sauf à se rendre compte par lui-même que toujours reporter à demain
lui nuit ou le fait souffrir, le meilleur moyen d’aider celui qui procrastine
est d’actionner les deux leviers de sa motivation qui sont l’intérêt et le
plaisir.
Philippe Laurent, coach, conférencier et formateur
Source : lexpress.fr