é des fruits et légumes (Photo : Daniel Mihailescu) |
[21/08/2014 08:40:34] Bucarest (AFP) Du maçon qui travaille au noir aux réseaux de criminalité financière, l’évasion fiscale fleurit en Roumanie, privant son budget de dizaines de milliards d’euros.
Selon le Comité du Conseil de l’Europe contre le blanchiment des capitaux (Moneyval), l’économie souterraine représentait 28,4% du produit intérieur brut de la Roumanie en 2013, soit près de 40 milliards d’euros.
L’ensemble de l’Union européenne perd 1.000 milliards d’euros par an du fait de l’évasion fiscale, souligne le Parlement européen.
La Bulgarie et la Roumanie sont les plus touchées par le phénomène.
“L’évasion fiscale, en hausse en Roumanie, représente un risque pour la sécurité nationale”, estime l’économiste Ionut Dumitru, président du Conseil fiscal.
Le manque à gagner se traduit par des hôpitaux délabrés, des malades privés de médicaments ou encore des écoles sans eau courante, car les fonds publics sont insuffisants pour répondre aux besoins de ces domaines vitaux.
Or, souligne M. Dumitru, “sacrifier la santé et l’éducation d’un peuple signifie sacrifier son avenir”.
Devant l’ampleur de ce fléau, le gouvernement a créé au sein du fisc une direction (DGAF) chargée de lutter contre les réseaux criminels, souvent transfrontaliers, qui prospèrent grâce aux fraudes fiscales.
– Des méthodes sophistiquées –
L’une des affaires les plus retentissantes découvertes en 2014 porte sur une évasion de 24 millions d’euros dans le marché des fruits et légumes.
Une trentaine de ressortissants turcs, jordaniens et roumains, dont 12 ont été arrêtés, avaient fondé 58 sociétés fantômes pour échapper au paiement de la TVA (24%) après avoir livré des marchandises pour 100 millions d’euros.
“Dans un autre cas, 22 ressortissants roumains et chinois ont mis en place une chaîne frauduleuse formée de 15 sociétés qui effectuaient des transactions successives et omettaient de déclarer et virer la TVA. La perte fiscale s’est élevée à 12 millions d’euros”, rappelle le vice-président de la DGAF, Romeo Nicolae.
Les méthodes des fraudeurs sont de plus en plus sophistiquées, confirme la procureure en chef du parquet chargé de la criminalité organisée et du terrorisme (DIICOT), Alina Bica.
é de la criminalité organisée et du terrorisme (DIICOT), Alina Bica, le 12 juillet 2014 à Bucarest (Photo : Daniel Mihailescu) |
“Comptabilité double, sociétés fantômes utilisées pour 30-40 jours avant de disparaître, dissimulation des revenus provenant d’affaires illicites (…), nous constatons une spécialisation toujours plus grande des criminels en col blanc”, s’alarme-t-elle.
Selon Mme Bica, le DIICOT a renvoyé devant la justice 659 personnes et constaté des fraudes fiscales estimées à plus de 200 millions d’euros en 2013.
Parfois les fraudes émanent de l’intérieur même des institutions chargées de les combattre. L’ancien chef du fisc Sorin Blejnar a ainsi été renvoyé devant les tribunaux dans deux dossiers d’évasion fiscale.
Il est accusé d’avoir “appuyé” l’activité de deux réseaux spécialisés dans des opérations frauduleuses liées à la vente de produits pétroliers. Le préjudice total dépasse 60 millions d’euros.
– Travail au noir –
Mais la plupart des cas d’évasion ne sont pas aussi spectaculaires.
Mihai Iancu, un ouvrier âgé de 31 ans, travaille au noir pour une petite société de bâtiment.
Il gagne environ 380 euros par mois, soit le salaire mensuel moyen en Roumanie, mais ni lui ni le patron ne paient de charges sociales.
Mihai arrondit ses fins de mois en aidant tel voisin à peindre son appartement ou tel autre à changer de carrelage.
“Mais je n’ai pas d’assurance maladie et si le patron décide de me renvoyer, je n’aurai droit à aucune indemnité de chômage”, dit-il, inquiet.
Selon le Conseil fiscal, 1,45 million de personnes travaillaient au noir en Roumanie en 2012, soit 23% du total des salariés.
Le bâtiment figure parmi les secteurs les plus touchés: 60% des ouvriers ne sont pas déclarés, précise M. Dumitru.
Alors que les promesses d’enrayer l’évasion tardent à se matérialiser, Bucarest a obtenu auprès de la Banque mondiale un prêt de 70 millions d’euros destiné à améliorer la collecte des impôts, en dotant notamment le fisc d’un système informatisé intégré.
M. Dumitru estime que les autorités devraient surtout dépenser l’argent public de manière plus transparente pour inciter les contribuables à payer leur dû.
“Quand ils voient la qualité désolante des services sociaux, les gens ont tendance à se demander: pourquoi payer des impôts dès lors que je ne reçois rien en contrepartie?”