à Paramus, dans le New Jersey (Photo : Ross Kinnaird) |
[21/08/2014 11:19:48] Paris (AFP) Immolation par le feu, cannelle vomitive, compétition d’ivresse : loin des stars qui s’aspergent d’eau glacée pour la bonne cause, les jeunes se lancent sur le net des défis de plus en plus dangereux, entre rite de passage et exhibitionnisme, soulignent les experts.
L’exemple cet été de l”‘Ice Bucket Challenge” –un seau d’eau glacée sur la tête pour une association caritative– entre célébrités en est une version bon enfant. Mais depuis quelques années des milliers de jeunes de tous pays, pour la plupart des garçons, se filment en train de répondre crânement à des bravades de plus en plus dangereuses et publient leur “exploit” sur le net.
Il s’est d’abord agi de paris de cours de récrés, comme prononcer “Chubby Bunny” en se fourrant le plus possible de marshmallows dans la bouche ou se planter le plus vite possible un couteau entre les phalanges, test qui a révélé sur Internet des virtuoses du genre.
La grande vogue a ensuite consisté à avaler des produits qui font vomir : une cuillère à soupe de cannelle (Cinnamon Challenge), un régime de banane arrosé de soda, un mélange de cola et de lait, ou de bicarbonate de vinaigre, en se filmant dans les nausées les plus violentes.
Ces défis sont popularisés par les YouTubers les plus connus, et les vidéos les plus vues sont souvent celles où le défi tourne mal.
Début 2014, la mode était à la “neknomination”: se filmer en buvant de l’alcool cul-sec, un jeu qui a gagné de nombreux pays et qui serait à l’origine de plusieurs morts en Grande-Bretagne et en Irlande. Les participants mettaient au défi leurs amis de les imiter en les désignant publiquement.
– ‘Chercher le regard’ –
“Dans les sociétés traditionnelles, on faisait passer des rites ou des épreuves aux jeunes pour les faire devenir adultes. Moins les sociétés occidentales ont de rites de passage, plus les jeunes s’inventent des épreuves afin d’interpeller le regard”, commente Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l’université de Pau, spécialiste des pratiques numériques des jeunes.
“Quand vous voyez une bande de jeunes qui sautent dans un lac, vous remarquerez, ils ne sautent jamais en même temps. Il y a toujours un groupe témoin et celui qui passe à l’acte”, souligne-t-il. “Les adolescents d’aujourd’hui peuvent se mettre en danger dans leur coin, se filmer, et ensuite aller chercher le regard qui va les valider. Chercher le regard, ça a toujours existé. La différence c’est que l’interlocuteur, maintenant, il est sur internet”.
Pour “A l’eau ou au resto”, un défi devenu viral cette année, qui exige de se jeter à l’eau n’importe où, un jeune homme s’est noyé en Bretagne mi-juin en voulant plonger à vélo pour une vidéo choc, entraîné par le fond par le vélo attaché à sa jambe.
Pour prouver leur courage, des internautes se font passer un courant électrique dans le corps en résistant le plus longtemps possible ou encore, dernier défi du moment, se mettent le feu sur une partie du corps, au risque de graves brûlures. Fin juillet, les médias américains ont rapporté le cas d’un adolescent brûlé au deuxième degré après s’être aspergé d’alcool.
“Les ados se réinventent des rites qui passent par se marquer le corps”, estime le psychanalyste Michael Stora, fondateur de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines.
“Avant il y avait le +happy slapping+, où ils se filmaient en train de gifler quelqu’un, ou bien en train de frapper un prof. Ici la nouveauté est l’autoagressivité, assortie d’une recherche du scoop, de l’image choc, pour obtenir un moment de gloire. C’est une manière d’exister, au prix de leur corps. Le marquage du corps est le dernier stade de l’expression. D’ailleurs on voit une recrudescence folle des scarifications” souligne-t-il.
“Sur internet, ceux qui font ces mises en scène de soi mortifères trouvent là une manière d’enfin exister”, conclut le psychanalyste.