éléphants, saisies dans le port de Mombasa |
[25/08/2014 06:19:21] Dar es Salaam (AFP) Les réseaux de braconnage qui déciment notamment éléphants et rhinocéros d’Afrique bénéficient souvent de protections haut placées mais des militants espèrent mettre fin à leur impunité grâce à un site internet permettant de dénoncer crimes et criminels de façon confidentielle.
Les fondateurs de WildLeaks – sorte de WikiLeaks de la vie sauvage – le présentent comme la première plateforme en ligne sécurisée de lancement d’alerte dédiée à l’environnement et aux crimes contre la nature.
Alors que sur le terrain, les gardes des parcs affrontent les armes à la main des braconniers équipés de matériel militaire et toujours plus déterminés, WildLeaks espère rassembler des informations sur les têtes des réseaux et leurs protecteurs.
“Nous avons par exemple reçu un tuyau très intéressant sur un individu très puissant au Kenya, lié au gouvernement et qui est derrière le trafic d’ivoire”, a affirmé à l’AFP à Dar es Salaam le fondateur de WildLeaks, Andrea Costa.
Ce genre de personne “ne sera jamais pris de l’intérieur. Ils sont trop puissants. Il faut de l’aide de l’extérieur. Donc dans l’immédiat, nous essayons de collecter des preuves”, poursuit cet ancien consultant en sécurité et protecteur de l’environnement de longue date, âgé de 45 ans.
Le braconnage des éléphants et des rhinocéros a explosé ces dernières années en Afrique, alimenté par la forte demande d’ivoire et de corne en Asie où ils ont atteint des prix astronomiques qui font saliver gangs criminels internationaux et groupes armés.
M. Costa se dit certain que WildLeaks peut être une arme cruciale contre le braconnage qui menace la survie des pachydermes d’Afrique. Le site a reçu son premier tuyau dans les 24 heures qui ont suivi son lancement en février et a récolté depuis 45 informations et fuites, dont 28 jugées utiles.
Les renseignements recueillis sont de toutes sortes, et vont du braconnage du tigre à Sumatra à la coupe illégale de bois dans l’est de la Russie ou au Mexique, en passant par la contrebande de faune et flore sauvage vers les Etats-Unis.
Certaines de ces informations sont transmises à des agences de répression, d’autres partagées avec des organisations de défense de l’environnement spécialisées dans le domaine concerné. WildLeaks a également lancé à deux reprises sa propre enquête et une troisième devrait l’être prochainement.
– Commerce des grands singes –
Le site utilise un système informatique de cryptage pour préserver l’identité de ses informateurs.
“C’est vraiment une idée intelligente”, estime Mimi Arandjelovic, chercheuse à l’Institut Max Planck pour l’Anthropologie de l’évolution, partenaire de WildLeaks dans le combat contre le commerce des grands singes en Afrique centrale et occidentale. “Les gens peuvent rencontrer des blocages quand il s’agit de dénoncer ces choses, donc pouvoir le faire de façon anonyme ne peut être que positif”.
Selon Richard Thomas de l’ONG TRAFFIC, principal réseau de surveillance du commerce de flore et faune sauvage, “il s’agit d’une nouvelle approche contre les crimes contre l’environnement” mais “elle fera ses preuves dans le temps, si des informations utiles sont recueillies et adressées aux agences spécialisées pour des actions concrètes”.
Principal enjeu pour que le projet WildLeaks réussisse: le faire connaître auprès du public et gagner la confiance des informateurs potentiels, admet M. Costa, qui était à Dar es Salaam pour rencontrer des partenaires potentiels et passer le mot sur son projet.
WildLeaks n’a pour l’heure reçu aucun renseignement venu de Tanzanie, pays d’Afrique de l’Est dont les éléphants et rhinocéros sont actuellement décimés.
En 2011, M. Costa avait mené – sur ses fonds propres, affirme-t-il – une enquête sous couverture de 18 mois sur le braconnage d’espèces sauvages et était parvenu à rencontrer des trafiquants.
Ses conclusions suggéraient notamment que le trafic d’ivoire était un élément-clé du financement des insurgés somaliens shebab, des résultats néanmoins contestés par des experts de l’ONU.
Mais le message de WildLeaks est clair: faire cesser le braconnage nécessite d’agir contre les chefs, richissimes et influents, de gangs criminels bénéficiant souvent de connexions à hauts niveaux dans certains pays.
“Nous ne traquons pas les braconniers ou trafiquants de petite envergure, mais ceux qui sont au-dessus d’eux, y compris les responsables gouvernementaux corrompus”, explique Andrea Costa.
Pour l’heure WildLeaks n’a permis aucune arrestation, mais son fondateur l’attribue à la jeunesse du projet et au fait qu’il est plus difficile d’atteindre les échelons supérieurs des réseaux criminels.
“Vous ne pouvez pas simplement continuer à attraper et incarcérer les braconniers, parce qu’il y en a une réserve infinie par ici”, assure-t-il, “ce n’est pas la solution”.