Conscient plus que jamais que le cash, voire l’argent liquide, facilite la fraude fiscale, le marché noir, le financement occulte des partis et bien d’autres services illégaux, le gouvernement a décidé d’en réduire, progressivement, la circulation et l’utilisation hors des circuits formels.
A cette fin, la loi de finances complémentaire 2014 a prévu, dans le cadre de la lutte contre le commerce parallèle et la contrebande, la confiscation des montants supérieurs ou égaux à 10.000 dinars et dont la source est non justifiée, et ce suite à un procès-verbal rédigé soit par des policiers, soit par des douaniers soit par des agents qualifiés du ministère des Finances.
L’article de la LFC ajoute que les sommes confisquées sont déposées au Trésor public ou en trésorerie régionale territorialement compétente dans un délai maximal de 72 heures après l’autorisation du parquet.
Le gouvernement ne compte pas s’arrêter là. Il est décidé d’aller de l’avant sur cette voie. Ainsi, le montant à confisquer sera réduit à 5.000 dinars à partir de 1er janvier 2016.
Officiellement, cette disposition a pour objectif d’inciter tous les Tunisiens à ne plus porter des espèces sous risque de confiscation.
Les Tunisiens ne jurent que par le cash
Il faut dire que le phénomène du cash a pris des proportions considérables dans le pays. L’argent liquide alimente, hélas, toutes sortes d’activités illicites: contrebande, blanchiment d’argent, contrefaçon, drogue, prostitutions… Tout se règle en espèces.
Même certains restaurants et autres prestataires dans le centre-ville de Tunis ont pris le pli et refusent, aujourd’hui, d’être payés par chèque ou par carte bancaire. Leurs propriétaires osent même l’afficher à l’entrée et dans plusieurs endroits visibles dans leurs locaux. Le tout au vu et au su de tout le monde, y compris les agents du fisc.
Les Tunisiens ne veulent que du cash et ne jurent que par le cash. Ils le préfèrent aux autres modes de paiement pour une raison très simple. Ils veulent échapper au fisc. Car l’argent liquide, contrairement aux transactions électroniques, change de mains sans laisser de traces. La traçabilité -et son corollaire la disponibilité d’un document écrit- est nécessaire pour les agents du fisc. Car sans cette traçabilité, ils ne peuvent pas prélever les impôts.
Par l’effet de cette évasion fiscale, le manque à gagner pour l’Etat se chiffrerait, selon des fiscalistes, en plusieurs dizaines de milliards de dinars.
Le phénomène s’est généralisé et prend de l’ampleur. Certains observateurs de la chose tunisienne racontent que dans certains fiefs de la contrebande dans le sud-est et le centre-ouest, les barons de la contrebande disposent de plus en plus de coffres forts géants et ne comptent plus les billets. Ils les pèsent, paraît-il.
La Tunisie en retard sur la monnaie électronique
Néanmoins, cette disposition, qui se propose de dissuader l’utilisation du cash arrive bien en retard en Tunisie. C’est ce qui explique son surcoût actuel pour la communauté. Et dire que la Banque centrale de Tunisie avait pris conscience des incidences néfastes des échanges en liquide, depuis 2001. Elle avait, depuis, engagé un ambitieux programme de dématérialisation de la monnaie.
Ce programme a permis entre autres la mise en place d’un système de télé-compensation du chèque et l’introduction de la carte à puce dans les échanges.
Le projet, qui ambitionnait de développer la monétique dans le pays et de doter les Tunisiens d’un portemonnaie électronique (plusieurs cartes à usage divers), a pris du retard et a été très vite mis dans les tiroirs car il n’était pas, apparemment, dans l’intérêt des kleptocrates et contrebandiers au pouvoir à l’époque.
Les pays sans cash se portent mieux
Beaucoup de pays ont tiré le meilleur profit de la dématérialisation de leur monnaie. Leurs politiques ont vite compris qu’«une économie sans argent liquide rendrait la délinquance et les échanges au noir plus difficiles».
C’est le cas de la Turquie qui, en s’attaquant au cash, est parvenu en l’espace de dix ans à payer toutes ses dettes extérieures, à retrouver la voie de la croissance et à figurer parmi les grandes puissances économiques et politiques de la région. L’exemple du Kenya mérite d’être également signalé.
Les champions demeurent toutefois des pays comme la Suède dont la population (même les sans-abris) se détourne de plus en plus de l’argent liquide. Dans ce pays, le paiement électronique est devenu une seconde nature.
Toujours au niveau international, l’essor que connaît le «bitcoin» -système de paiement à travers le net- ne manquera pas de booster la monnaie électronique dans le monde.
C’est pour dire in fine que la décision de réduire la part du cash dans le règlement des transactions économiques est à saluer sans réserves car, en dissuadant l’utilisation de l’argent liquide, le pays accroît ses ressources fiscales, relance croissance et développement et réduit la marge de manouvre des contrebandiers et des caïds de l’économie souterraine.