Un constat: les Tunisiens sont fortement partagés quant à la présence massive des Libyens en Tunisie. Pour les uns, les Libyens constituent, de plus en plus, une charge multiforme pour le pays. Pour les autres, particulièrement les nahdhaouis et les nationalistes arabes, l’heure est à la solidarité -«Les frères libyens» doivent être bien accueillis au nom de la communauté du destin et de la religion-, disent-ils.
Illico presto, le gouvernement tunisien, aux ordres du gourou Rached Ghannouchi (lire notre article), s’est exécuté et s’est interdit de fermer les frontières, contrairement aux Algériens et aux Egyptiens qui l’ont fait, presqu’instinctivement.
Les premiers craignent les dérapages imprévisibles d’«une libyanisation» non contrôlée de la Tunisie, et ce au regard du nombre sans cesse croissant des réfugiés. Ce dernier, qui était de l’ordre de 2 millions lors des premiers flux migratoires générés par la révolte du 17 février 2011 qui a fait tomber le dictateur Kadhafi après 42 ans de pouvoir absolu, est estimé, actuellement, à plus de 2,5 millions après la détérioration du contexte sécuritaire dans les plus grandes villes du pays, Benghazi et Tripoli notamment.
Ces Tunisiens sont particulièrement déçus par les Libyens après la révolution. Ainsi, au lieu d’être reconnaissants à la Tunisie pour les avoir accueillis à bras ouvert lors de la révolte du 17 février, les Libyens ont tourné le dos aux Tunisiens et donné l’avantage à des pays lointains, comme la Turquie, pour l’embauche de leur main-d’œuvre alors que les Tunisiens sans emploi se comptaient par milliers à la frontière.
Ces mêmes Tunisiens pensent que, contrairement à ce qu’on avance, les Libyens en Tunisie ne sont d’aucune rentabilité économique pour le pays. Pour leur écrasante majorité, de mauvaise qualité morale et de plus en plus démunis matériellement, ces Libyens, au lieu de mettre à profit l’instabilité qui va régner, durant bien longtemps, dans leur pays pour investir en Tunisie et s’y sédentariser positivement, ils ne font que forniquer, se soigner à crédit et consommer des produits bon marché à la faveur de la généreuse Caisse générale de compensation tunisienne.
Même les précieuses devises qu’ils ramènent, elles sont changées dans le noir et profitent ainsi plus à l’économie criminelle (contrebande) qu’à l’économie formelle tunisienne.
Les Libyens se servent plus qu’ils ne servent
C’est pour dire que la communauté libyenne, en plus du désavantage de son peu de sociabilité, de sa susceptibilité maladive et de sa répugnance à s’intégrer, a plus tendance, lors de son séjour en Tunisie, à se servir qu’à servir. Le manque à gagner pour la Tunisie est clair et chiffrable.
Une étude de la Banque mondiale (BM), sur “le commerce transfrontalier aux frontières terrestres tunisiennes” (février 2014), a confirmé cette approche. Elle a évalué les pertes fiscales pour l’Etat tunisien, à cause de la contrebande et du commerce parallèle, à 1,2 milliard de dinars, dont 500 millions de dinars sont des droits de douane.
Certains Tunisiens se préoccupent, également, du séjour à moyen et long termes des Libyens en Tunisie. Elle se soucie, entre autres, des charges qu’ils peuvent créer pour l’Etat tunisien, notamment en matière d’éducation, de couverture sociale, de prise en charge sanitaire et de consommation (risque de pénurie des produits et ses corollaires, augmentation de l’inflation et cherté de la vie). D’ores et déjà, les étudiants tunisiens se plaignent de la cherté des loyers à la veille de la rentrée universitaire 2014-2015.
Il faut reconnaître que même en période de paix et de stabilité, les échanges de la Tunisie avec la Libye sont peu significatifs. Ils représentent 2,6% du total des échanges extérieurs de la Tunisie contre 25 à 27% avec la France.
Au nom de la communauté de la religion…
Pour les seconds, c’est-à-dire le parti Ennahdha et ses acolytes (CPR, Ettakatol et autres partis nationalistes arabes), il n’est pas question de lâcher les frères libyens.
Dans un communiqué signé par son président, Rached Ghannouchi, Ennahdha s’inquiète de la situation de guerre civile en Libye et de ses répercussions humanitaires sur la Tunisie, et exhorte le gouvernement «à protéger nos frontières sans les fermer». La solution pour le parti islamiste étant «de prendre toutes les dispositions nécessaires pour aider les réfugiés et d’effectuer envers eux le devoir de fraternité».
Certains économistes, pas toujours bien inspirés, sont également de la partie. A titre indicatif, l’ancien conseiller économique du président provisoire, Mohamed Chawki Abid, a pris la défense des Libyens, louant “leur train de vie dépensier élevé“. L’expert a rejeté l’idée selon laquelle le séjour des Libyens en Tunisie génère “un surcoût économique“ tant au niveau de la Caisse de compensation qu’à celui du couple inflation/pénurie.
Pour lui, cette clientèle est de loin préférable aux touristes smicards européens «bas de gamme». L’analyste omet néanmoins que les rentrées de devises de ces touristes européens -moins dépensiers contrairement à celles des Libyens- ont le mérite d’être comptabilisées dans le budget de l’Etat et de transiter par les canaux formels.
Impératif de négocier la présence des Libyens
Par-delà les points de vue des uns et des autres, il faut reconnaître que la question de la présence des Libyens en Tunisie a une dimension géostratégique et gagnerait à être négociée entre les deux parties. Car il est inadmissible, voire inacceptable, que les Libyens continuent à fuir nombreux leur pays et à se réfugier en Tunisie alors que leur gouvernement s’emploie à protéger et à payer régulièrement les salaires de milices djihadistes qui, selon les divers compte-rendu des médias, se préparent en toute quiétude à attaquer la Tunisie, considérée comme le maillon faible de toute la région et la cible idéale pour y instaurer un émirat islamique.
C’est désormais à la diplomatie tunisienne, jusque-là hélas atone, de faire son job et d’exiger des officiels libyens de se démener. Car si les Tunisiens sont disposés, malgré eux, à les aider et à prendre en charge le tiers de leur population, ils doivent au moins faire l’effort de combattre les essaims terroristes qui se développent chez eux.
Dans le cas contraire, la Tunisie, pour défendre ses intérêts supérieurs, se doit de faire flèche de tout bois aux fins d’anticiper et de saboter, en Libye même, les préparatifs des djihadistes «daechistes» qui projettent de l’occuper et de la déstabiliser. C’est ce qu’on appelle le droit légitime de se défendre.
On l’aura dit de toute façon.