Afrique du Sud : le marché noir a avalé le marché blanc

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ût 2014 (Photo : Mujahid Safodien)

[30/08/2014 14:15:10] Johannesburg (AFP) Vingt ans après la disparition de l’apartheid, le consommateur sud-africain n’est plus noir ou blanc. Les différences sont largement fonction des revenus et du mode de vie, comme dans un pays “normal”, ou presque.

“Sous l’apartheid, les Blancs avaient tout et les Noirs n’avaient rien”, résume Peter Langschmidt, directeur de la société de conseil Echo.

Mais les choses ont bien changé. “Le rythme de la transformation s’est accéléré considérablement ces dernières années, et le +marché noir+ est maintenant plus grand que le blanc pour presque toutes les catégories, sauf quelques-unes, élitistes, comme les iPhones” d’Apple.

Si les Blancs ont toujours un revenu moyen six fois plus important que les Noirs, ils ne représentent que 8% de la population du pays. Et la classe moyenne et supérieure noire qui émerge a désormais un pouvoir d’achat plus important.

Ces Noirs plus fortunés constituent ainsi 58% des clients de Woolworths, une chaîne de supermarchés assez chics qui était un attribut des banlieues blanches. Il n’étaient que 47% il y a cinq ans.

Côté voitures, 57% des acheteurs de BMW – symbole de prestige – sont noirs alors qu’ils étaient blancs à 54% il y a cinq ans.

Et si 51% des Sud-Africains qui ont du personnel de maison sont toujours blancs, contre 36% de Noirs, le rapport était encore de 63/27 il y a cinq ans.

“Désormais, nous parlons plus de niveaux de revenus et de modes de vie, et d’aire géographique, que de noir/blanc”, note Paul Middleton, directeur de l’agence Ebony+Ivory.

Ce qui a changé, explique-t-il, c’est qu’une bonne partie des Noirs qui sont devenus prospères ces dernières années ont déménagé dans les quartiers autrefois réservés aux Blancs. Ils y ont adopté la plupart des habitudes de consommation de leurs nouveaux voisins.

Avec des nuances, qui créent autant de niches: les plus âgés sont très sensibles à l’apparence et multiplient les achats de prestige, tandis que les jeunes sont plus anticonformistes.

Et toujours une grande fidélité pour bien des produits qu’on trouvait plus dans les townships que dans les banlieues blanches, comme la margarine ou le lait fermenté.

– ‘Nous sommes en Afrique!’ –

“Il est difficile de trouver ailleurs dans le monde d’autres marchés qui changent aussi vite qu’en Afrique du Sud”, constate le spécialiste du marketing Andy Rice. “Le problème n’est pas que le marché devient plus compliqué, mais nous avions trop simplifié dans le passé avec des dimensions raciales.”

S’ils achètent les mêmes produits que leurs voisins blancs, ces nouveaux consommateurs gardent toutefois des comportements particuliers.

“Il ne s’agit plus de produits pour les Noirs ou Blancs. Ce qui compte c’est la façon dont je les achète”, sourit Siwe Nyuswa, consultante (noire) chez Ebony+Ivory.

“Je veux ce que vous avez”, dit-elle en prenant à témoin des Blancs de la classe supérieure. “Si c’est beau et que je peux me le permettre, je veux l’acheter. Mais la différence, c’est que je le veux ‘hier’! Moi, attendre? Jamais!”

“C’est une chose typiquement noire, l’incapacité d’attendre les choses. Je pense que c’est parce que nous avons passé beaucoup de temps à attendre” la fin de la ségrégation, éclate-t-elle de rire.

Certains annonceurs sont volontiers accusés de toujours considérer la majorité noire (dont la moitié vit encore sous le seuil de pauvreté) comme les habitants d’un pays étranger. Des agences de publicité fondées par des Noirs en profitent, qui n’hésitent pas à affirmer qu’elles pourront mieux toucher le “marché noir”.

Cette expression “marché noir”, dans un pays où plus de 80% de la population l’est, en agace d’ailleurs plus d’un.

Pour Peter Langschmidt – qui se surprend pourtant à l’employer -, le terme devrait être réservé aux trafics illégaux, “comme partout ailleurs dans le monde”. “Nous sommes en 2014, il n’y a qu’un marché, +le+ marché, et bien sûr il est noir. Nous sommes en Afrique!”

“Cela reflète une pensée héritée de l’apartheid, plus qu’une réalité économique”, acquiesce le communiquant Victor Dlamini. “C’est comme aller en Europe et parler du marché blanc!”