«Les actes du terrorisme ne peuvent jamais se justifier quelle que la raison que l’on puisse faire valoir»
Il a fallu plus de quarante martyrs parmi les militaires et les agents des forces de sécurité, et parmi les citoyens aussi (on en compte deux), des dizaines de blessés et de mutilés et trois assassinats politiques -celles de Chokri Belaïd, Lotfi Naguedh et Mohamed Brahmi- pour que nos Constituants se résignent, enfin, à adopter en commission le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, et décident de l’examiner en plénière en vue de son adoption.
Près de deux ans de sourdine, de débats stériles et d’atermoiements injustifiables, alors que la menace terroriste se précise de plus en plus, n’ont fait qu’augmenter son effet et redonner du souffle aux terroristes et à leurs commanditaires. Combien faudrait-il encore de victimes pour que cette loi soit promulguée? Pourtant, la loi de 2003, encore en vigueur puisqu’elle n’a été ni modifiée ni abrogée, a été mise au placard parce que jugée trop répressive, certains de ses articles sont considérés comme liberticides. Tant il est vrai que cette loi a, dès sa promulgation, été utilisée comme prétexte pour restreindre les libertés, bâillonner la presse et persécuter les opposants au régime, sans aucune distinction.
La menace terroriste est bien réelle
Mais, entre-temps, le terrorisme qui a profité du laxisme de l’Etat, de la connivence avec la maison Tunisie. Plus grave encore, Al Qaïda s’invite chez nous! Et les Tunisiens ont appris à vivre avec ce phénomène. Eux qui n’ont jamais imaginé qu’un jour les scènes choquantes du terrorisme aveugle, se déroulant dans d’autres contrées et transmises par les chaines satellitaires ou relayées par les réseaux sociaux, allaient se passer sous leurs yeux. Les macabres assassinats de sang froid de nos soldats, par deux fois à Chaambi, causant à eux seuls la moitié des victimes, en plus de ceux de Sakiet Sidi Youssef, et les meurtres des agents des forces de sécurité à Goubellat, Sidi Ali Ben Aoun et j’en oublie, ont fini par raviver en nous le cauchemar vécu par nos frères algériens au cours de la décennie noire.
La dernière attaque terroriste qui a coûté la vie à une quinzaine de militaires a endeuillé tout le pays et sonné le glas, finissant par convaincre les plus dubitatifs que la menace terroriste est bien réelle et que ce fléau, qui commence à se propager, pourrait devenir dévastateur pour le pays, s’il n’était pas jugulé à temps.
Même si quelques voix osent, encore, se lever pour défendre, quoiqu’en termes voilés, les tueurs de Chaambi et ses égorgeurs. Même si quelques adeptes du terrorisme n’ont pas hésité à clamer leur joie à l’annonce du carnage, et même si certains s’entêtent à justifier l’injustifiable et à blanchir le phénomène… Malgré tout cela, la mobilisation a été à la mesure de la tragédie qui a accru la conscience populaire des dangers du phénomène terroriste.
Tout en se demandant comment nous en sommes arrivés là et pourquoi a-t-on laissé se développer un tel phénomène et comment a-t-on créé un terreau fertile à ce mal, les Tunisiens se rendent de plus en plus à l’évidence que le péril est en la demeure et il faut agir rapidement. Les tragiques événements des derniers mois doivent nous interpeller tous au plus profond de nous-mêmes et nous inviter à anticiper les risques et nous unir et non approfondir encore les divisions entre nous.
Le terrorisme se trouve, aujourd’hui, associé à la criminalité et au trafic de tous genres (armes, stupéfiants, produits prohibés…) et, subséquemment, il est devenu un fléau d’une extrême gravité qui pourrait détruire les tissus politique, économique et social.
La lutte contre le terrorisme est la responsabilité de tous
Je ne vais pas m’étaler sur les causes du mal, elles sont connues, ont été identifiées et analysées. Je ne vais pas, non plus, désigner à la vindicte les responsables de tous bords et qui, d’une manière ou d’une autre, ont favorisé l’émergence de ce mal et son enracinement dans la société. Je ne vais pas, enfin, incriminer systématiquement ces jeunes djihadistes élargis à la faveur d’une amnistie générale promulguée à la hâte, sous la pression populaire, pour aller se terrer dans des tanières à Chaambi, ou ceux parmi eux qui ont succombé aux sirènes du djihad en Afghanistan, en Syrie ou en Irak et revenus pour «islamiser le pays» et prendre les armes contre leurs concitoyens, car ils sont à la fois coupables et victimes. Coupables de complot contre la sûreté de l’Etat et de ses citoyens, et victimes d’un système nébuleux et complexe qui a érigé la mort en valeur suprême et la vie en péché. Mais je dois, par contre, appeler à la vigilance et surtout à un consensus national pour unir les efforts de tous contre ce mal galopant.
La lutte contre le terrorisme n’est pas l’apanage du seul gouvernement. Elle ne doit pas, non plus, s’inscrire, uniquement, dans la logique sécuritaire, certes primordiale en ces moments graves, mais pas suffisante, d’autant plus que les risques d’attentat ne sauraient être totalement évités.
Pour y faire face, il faut mettre en place une véritable stratégie qui reposera sur plusieurs piliers: “la prévention, la protection, la poursuite et la réaction”, comme l’a défini l’Union européenne. Cette stratégie, qui s’inscrit dans les cours, moyen et long termes, doit s’attaquer, d’abord, aux sources du mal, à savoir l’endoctrinement, l’embrigadement, le financement; identifier les méthodes et les outils utilisés par les terroristes et leurs commanditaires afin de les détruire.
Elle doit aussi englober les volets économique, social et culturel dans toutes leurs spécificités. Dans cette optique, la Tunisie doit s’inspirer des meilleures pratiques, coordonner avec les pays touchés par le phénomène et notamment l’Algérie avec laquelle nous avons, en plus des affinités, des frontières communes de plus de 950 kilomètres et qui a une longue expérience en matière de lutte contre le terrorisme et des moyens logistiques importants. Elle doit, aussi, compter sur l’apport des agences onusiennes spécialisées ainsi que sur les organisations régionales, comme l’Union européenne.
Le moment est grave et il faut savoir en mesurer les conséquences. Je lance dans cette tribune un appel pour soutenir l’idée de création d’un mouvement national de «l’union sacrée contre le terrorisme». Car, au-delà des divergences de vues et des appréciations, des clivages politiques voire idéologiques, aucune ligne rouge ne saurait être invoquée, la seule et l’unique étant la stabilité du pays et sa sécurité.
Cette «union sacrée», véritable force de propositions, dont l’objectif premier est de soutenir l’effort du gouvernement dans ce combat sans merci, et d’œuvrer, avec toutes les parties concernées, au renforcement de la capacité d’action des corps de l’armée nationale et des forces de sécurité, pourrait regrouper toutes les bonnes volontés soucieuses du seul intérêt du pays. Et j’ose espérer qu’elle ralliera autour d’elle les forces vives de la nation, bénéficiera de l’appui des organisations nationales, du soutien des médias, des intellectuels et des hommes et femmes de culture.
De même qu’elle ne saurait se passer du soutien populaire, véritable levier de toute action de nature à tarir les sources du mal.
Pour l’histoire, lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, la France était divisée et fragilisée par de profondes divergences entre les différentes composantes de la société -politique, syndicale et religieuse. Mais face à la guerre, un mouvement avait été créé sous le nom de «l’Union sacrée», pour souder les Français toutes tendances confondues. Défendue par le président Raymond Poincaré, cette «Union» fut adoptée par le Parlement au mois d’août 1914 et immédiatement ralliée par l’ensemble des formations politiques et des organisations syndicales.
Ne dit-on pas que «le but du terrorisme est tout simplement de provoquer peur et terreur. La peur mine toute confiance dans la classe politique et démoralise le public…Le terrorisme n’est pas l’expression d’une fureur incontournable, c’est une arme politique».