On ne peut pas faire d’omelette sans casser d’œufs. Pour le P-DG de Comete Engineering, la révision des orientations stratégiques, du positionnement, de la gouvernance, du mode de financement, etc. est inévitable. Et elle bousculera à coup sûr l’ordre depuis longtemps établi.
L’Asset Management Company (AMC) dont la création est envisagée peut-elle résoudre radicalement et définitivement le problème de l’endettement du secteur touristique?
Radhi Meddeb: L’Asset Management Company pourrait être le bras séculier du secteur financier pour secouer le cocotier du secteur touristique, souvent trop confortablement installé dans le non remboursement de ses crédits, le non paiement de ses fournisseurs et le non renouvellement de ses équipements et le sortir de sa léthargie. Cette AMC devra toutefois être confiée à des professionnels aguerris, mis à l’abri des contraintes de la gestion des entreprises publiques.
La loi sur la protection des entreprises en difficulté devra également être révisée. Le simple recours à cette modalité fera réagir bien des opérateurs qui, sous la menace de se voir dessaisis d’un outil de travail auquel ils tiennent souvent bien plus qu’à toute autre chose, feront preuve d’une imagination débordante pour sauver leur actif.
“ L’AMC peut être une bonne idée pour créer un marché pour les cessions d’unités en difficultés“.
Pour les autres, la sortie des mauvaises créances des bilans des banques arrêtera l’hémorragie et permettra aux banques de se concentrer sur leur métier. L’AMC peut être une bonne idée pour créer un marché pour les cessions d’unités en difficultés. Elle doit intervenir sur la base du principe de subsidiarité pour pallier l’absence ou l’insuffisance d’offres émanant d’opérateurs privés du secteur.
Il aurait été souhaitable, dans ces conditions, d’avoir au moins deux AMC et pas une seule pour s’assurer d’un minimum de concurrence sur ce marché étroit de la cession des unités en difficulté. De toute manière, les performances de l’AMC seront fortement corrélées à la qualité de sa gouvernance, et il faudra être vigilant à cet égard.
Le gouvernement actuel a-t-il fait, dans le dossier du tourisme, ce que le peu de temps dont il dispose lui permet de faire? Et qu’aurait-il dû faire?
Comme pour tous les autres secteurs économiques, politiques, sociaux, éducatifs ou culturels, les exécutifs en charge de la gestion des affaires publiques doivent trouver le bon arbitrage entre le temps long et le temps court. Ils ont une obligation de bonne gestion du court terme avec la nécessaire identification de solutions immédiates à des problèmes brûlants, mais toute action à court terme doit s’inscrire dans une vision de long terme, de manière à ne pas satisfaire les exigences immédiates au détriment de la viabilité à long terme.
“Le secteur a besoin de revoir ses orientations stratégiques… dont le traitement bousculera bien des rentiers et des privilégiés“
A court terme, la priorité du secteur était pour 2014 de sauver la saison, de faire mieux que les dernières années et de retrouver le niveau des réalisations de 2010, tout en sachant toutefois que 2010 n’était pas un bon cru et que la descente aux enfers du secteur était engagée depuis longtemps.
Le secteur a besoin, tout comme le reste du pays, de revoir ses orientations stratégiques, son positionnement, sa gouvernance, son mode de financement, son insertion dans l’économie mondiale, sa performance, sa durabilité, bref autant de sujets stratégiques dont le traitement bousculera à coup sûr bien des rentiers et des privilégiés.
“Les meilleurs slogans ou les campagnes publicitaires les plus coûteuses ne permettront jamais de vendre un produit médiocre“
Evidemment, la sécurité est un préalable, mais évitons d’en faire l’arbre qui cache la forêt et qui nous empêche, à peu de frais, de nous attaquer à tous les maux du secteur. Le gouvernement a préféré pour le secteur touristique essayer de sauver la saison actuelle. Bien sûr, cela était important et nécessaire, mais en aucun cas suffisant. La relance durable du secteur est tributaire de la mise en œuvre de réformes structurelles profondes.
À ce jour, celles-ci n’ont pas été entamées. La communication, seule, est insuffisante. Les meilleurs slogans ou les campagnes publicitaires les plus coûteuses ne permettront jamais de vendre un produit médiocre.
L’actuelle ministre du Tourisme se démène beaucoup. Que pensez-vous de son action?
Je parlerai moins de la ministre que du ministère. La ministre avait débarqué en Tunisie et dans le secteur, précédée d’un préjugé favorable. Elle s’est démenée. L’image qu’elle a donnée a fini par irriter plus d’un car elle a plus collé à la forme qu’elle ne s’est attaquée au fond, même s’il ne faut pas négliger la forme qui peut avoir des retombées positives et rapides, mais en aucun cas pérennes.
“L’image qu’elle a donnée a fini par irriter plus d’un car elle a plus collé à la forme qu’elle ne s’est attaquée au fond…“
Le limogeage dès le départ de son directeur général de l’ONTT a fait le plus mauvais effet en rappelant les méthodes brutales et irrespectueuses de l’ancien régime.
Pour ce qui est du ministère, ses efforts, du moins pour la partie qui en aura été visible, se sont limités à promouvoir le produit tunisien, dans le déni le plus total de ses maux structurels, de ses faiblesses congénitales. En fait, aussi bien les opérateurs que les décideurs politiques ont continué à adopter la même attitude face à la crise du secteur, celle de la fuite en avant. Rien n’a été fait pour s’attaquer à l’endettement excessif du secteur qui plombe par ailleurs plusieurs de nos banques publiques et privées. Rien non plus pour le repositionnement stratégique du produit touristique tunisien sur d’autres créneaux que le balnéaire, le tout inclusif et le bas de gamme. Rien en matière de formation, de consolidation et de diversification des canaux de commercialisation ou de conservation et de mise en valeur des ressources naturelles et culturelles de la Tunisie. Rien non plus en matière d’amélioration de l’environnement ou du traitement structurel des maux du transport aérien.
Evidemment, toutes ces réformes profondes auraient eu besoin de temps, mais elles auraient gagné toutes à être engagées, car on n’en fera pas l’économie, et plus nous tardons à le faire, plus le coût que la collectivité en supportera sera élevé.
Peut-on sauver ce qui reste de la saison 2014? Et comment?
La relance du secteur touristique aurait pu avoir lieu pour la saison 2014, mais ce n’est pas en martelant des affirmations qu’elles finissent par se réaliser. Il aurait fallu organiser la relance en coordination avec les autres départements ministériels: Transport, Intérieur, Environnement, Culture, Commerce et Artisanat, Finances, et en concertation avec les professionnels: hôteliers, agences de voyages, tours opérateurs et transporteurs.
Nous avions besoin d’une bonne saison d’été 2014 pour engranger des devises qui nous manquent cruellement, redonner de l’espoir à un secteur sinistré, l’amener à renouer avec une meilleure santé financière, restaurer des marges nécessaires au renouvellement de ses capacités et au remboursement de ses crédits et enfin relancer de multiples activités connexes, y compris le transport, l’artisanat, le commerce et les petits métiers.
Une véritable relance du secteur touristique, vertueuse pour l’ensemble de l’économie tunisienne, ne passe toutefois ni par de simples déclarations, fussent-elles ministérielles, ni par une communication effrénée. Cela a semblé possible tout au long du premier semestre mais c’était compter sans les graves événements du mois de juillet au Chaambi, sans la très forte dégradation de la situation sécuritaire chez nos voisins libyens et sans la totale indigence dans la gestion de l’environnement, tous ces problèmes qui, depuis, ont drôlement compliqué les efforts du gouvernement pour sauver la saison 2014.