L’encadrement des loyers, beaucoup de bruit pour… très peu ?

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érations volontaires, mais son cadre juridique demeure flou (Photo : Philippe Huguen)

[12/09/2014 05:25:26] Paris (AFP) Décrié par les professionnels de l’immobilier et limité à Paris par le gouvernement, l’encadrement des loyers devrait aussi être expérimenté par d’autres agglomérations volontaires, mais son cadre juridique demeure flou et son effet s’annonce marginal.

“Encadrer par la loi les montants des loyers” lors de “la première location ou à la relocation, dans les zones où les prix sont excessifs”, était l’engagement numéro 22 de François Hollande.

Mais, si Lille semble en mesure de pouvoir l’appliquer prochainement, d’autres villes désireuses de tester elles aussi cette mesure emblématique de la loi Alur, conçue par l’ex ministre verte du Logement Cécile Duflot, risquent de se heurter à des difficultés.

Comment Grenoble pourrait-elle en effet être prête rapidement, quand elle ne fait même pas partie du réseau des observatoires locaux auxquels l’Olap (Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne), l’organisme de référence, fournit un accompagnement technique ?

Ces organismes jouent un rôle central dans l’application de la mesure: la loi prévoit en effet que le loyer, à la signature d’un nouveau bail, ne puisse excéder de 20% un loyer médian fixé par le préfet, mais calculé auparavant par un observatoire local.

Dans certains cas, un “complément de loyer” sera toléré, au-delà de ces 20%, mais celui-ci reste à définir par décret cet automne.

Un autre décret, attendu ce mois-ci, doit auparavant fixer les règles de fonctionnement des observatoires, lesquels devront dans la foulée recevoir un agrément.

Après la décision fin août du Premier ministre Manuel Valls de limiter l’encadrement des loyers à Paris intra muros, à partir de la “fin de l’année”, certains élus sont montés au front pour réclamer son application dans leur ville.

La loi Alur prévoit que l’encadrement concerne 28 agglomérations marquées par des tensions locatives, où les loyers ont flambé, comme à Paris où ils ont bondi de 42% en dix ans, et en petite couronne (+32%).

Mais la confusion est telle que certaines villes non concernées par la loi, à l’image d’Annemasse (Haute-Savoie), ont affirmé vouloir elles aussi expérimenter la mesure.

A l’inverse, des villes dirigées par la droite ne l’appliqueront pas, à l’instar de Marseille ou Toulouse — dont l’observatoire était pourtant l’un des plus prêts.

– Déconcertante “zizanie” –

Ces revirements successifs ont déconcerté le secteur : Yann Jehanno, directeur exécutif du réseau d’agences immobilières Laforêt, déplore une “zizanie” qui ne fait “qu’obscurcir la question de l’investissement locatif en France”.

Car, si M. Valls dit vouloir mettre un terme à l’attentisme des investisseurs en limitant l’encadrement des loyers, il a surtout renforcé pour le moment le flou qui entoure son entrée en vigueur.

Il faut désormais définir le cadre dans lequel une agglomération pourra se porter volontaire : une date butoir pourrait être définie, probablement mi ou fin 2015, pour la mise en place de son observatoire local, agréé par un comité scientifique.

Une modification législative pourrait être nécessaire.

Or “c’est au bout de deux ans minimum de travail d’un observatoire qu’on est théoriquement prêt à encadrer les loyers”, précise à l’AFP Geneviève Prandi, directrice de l’Olap.

C’est là en effet le temps nécessaire pour réaliser “une collecte de données suffisante au calcul des médianes, et un zonage pertinent”, dit-elle.

Si elle a pu apparaître comme un règlement de comptes politique à l’égard de Cécile Duflot, laquelle a refusé d’entrer au gouvernement de Manuel Valls pour cause d’incompatibilité avec ses idées, la limitation de l’encadrement des loyers partait aussi d’un constat : le manque de données fiables et précises en-dehors de la capitale.

– Une collecte sabordée –

La raison en est simple, selon l’économiste Jean-Claude Driant : inquiets de la baisse de leurs honoraires prévue par la loi Alur, les agents immobiliers ont depuis 2013 sabordé la collecte des données nécessaire aux observatoires locaux des loyers, afin d’avoir un argument de pression sur le ministère.

“Ils ont refusé de transmettre ces données, ce qui a condamné la phase préparatoire”, dit-il à l’AFP.

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érations volontaires, mais son cadre juridique demeure flou (Photo : Philippe Huguen)

Et du temps de Cécile Duflot, le ministère du Logement “ne voulait pas entendre parler de ces difficultés, il fallait aller vite”, indique de son côté une source bien informée.

Ainsi, seuls huit des dix-neuf observatoires avaient des résultats suffisants cet été, rapporte M. Driant.

L’économiste était membre du comité scientifique chargé d’accompagner, puis d’agréer les observatoires, et dont il a démissionné en juin.

Ces dernières semaines, estimant avoir été entendus sur les honoraires de location, encadrés par décret à compter du 15 septembre mais moins réduits qu’annoncé, les professionnels ont cessé leur grève du zèle.

Mais à l’heure actuelle, au-delà de la capitale, même les données de l’organisme de référence, l’Olap, créé en 1987, sont loin d’être suffisantes, et leur traitement se révèle complexe.

“En petite couronne nous ne sommes pas prêts : nous n’avons pas suffisamment de données pour faire un zonage fin et nous ne serons jamais capables de fournir des informations fiables à l’échelle de certaines communes, dont le parc locatif privé est trop faible”, indique Mme Prandi.

Autre écueil : dans certains cas, la mesure pourrait tout simplement conduire à faire remonter les prix.

En 2013, à Paris, 7% des loyers étaient inférieurs de plus de 30% à la médiane des loyers, et 12% en petite couronne, selon une simulation de l’Olap.

Ils seraient donc susceptibles d’être relevés en cas de relocation, à la demande du bailleur, conformément à la loi Alur… mais à rebours de la volonté affichée par ses promoteurs.

En pratique, Paris devrait être divisé en une quinzaine de zones (pas forcément contigües) aux niveaux de loyers homogènes, où un loyer médian sera fixé, modulé en fonction du nombre de pièces du logement et de son époque de construction.

– Une régulation tardive –

Une simulation de l’Olap sur des chiffres de l’an dernier donnait un loyer médian allant de 19,40 euros par m2 dans une partie des 18e, 19e et 20e arrondissements de Paris, à 28,70 euros dans une partie des 6e et 7e.

“Il y aura des quartiers où l’encadrement aura relativement peu d’effet et d’autres où il touchera davantage de logements”, rapporte Mme Prandi.

L’encadrement devrait jouer davantage sur les petits studios — dont le loyer au m2 est très élevé, aux alentours de 40 euros –, et les 4 pièces, que sur les 2/3 pièces aux loyers plus homogènes.

Et dans le centre historique de la capitale, les biens exceptionnels pourraient échapper à l’encadrement grâce au “complément de loyer”.

En outre, si les premières estimations tablaient sur une baisse de 25% des loyers lors des relocations et renouvellements de baux (1 logement loué sur 3 par an), les simulations ont été affinées pour tenir compte de l’époque de construction, et elle pourrait ne toucher au final, que 10 à 15% de ces loyers.

“Cette régulation des loyers n’aura pas un impact considérable sur le marché, elle intervient trop tard : les loyers sont déjà élevés”, estime Jean-Claude Driant.

Au-delà, l’encadrement des loyers pourrait contribuer à l’érosion actuelle du parc locatif parisien — qui compte 390.000 logements aujourd’hui, contre 420.000 au début des années 2000 — et à son déplacement: avec la flambée des prix, les bailleurs ont délaissé l’ouest pour l’est de la capitale, où il est rentable d’investir.

Au final, le décret annuel qui limite la hausse des loyers à la relocation pourrait être plus efficace que ce dispositif complexe, d’autant que le loyer payé par le locataire précédent sera désormais inscrit sur le bail — une obligation créée par la loi Alur.